still_unfriended

Y a-t-il un flip pour sauver le found footage ?

On sait qu’il faut se méfier de la rumeur. Mais parfois, on a envie d’y croire. Par exemple, quand on nous dit qu’Unfriended, en salle depuis le 24 juin, redore le blason du si mal-aimé found footage. Found-footage, comme « enregistrement trouvé » ? Mais oui, vous savez, ces films à l’image tremblotante et (très souvent) pas jolie à regarder. Un sous-genre qui s’attaque en particulier aux films d’horreur/fantastique, et qui constitue un véritable sous-genre à lui tout seul, dont le nombre de films en production ne cesse de grandir depuis 2007 et le succès monstrueux de Paranormal Activity.

À l’origine, il y eut Cannibal Holocaust (1980) de l’italien Ruggero Deodato, un esthète tout en finesse qui n’hésitait pas à tuer véritablement les animaux qui avaient le malheur de passer un museau sur le plateau de tournage (une petite pensée envers cette gentille tortue et à ce singe tout mignon qui n’avaient pourtant rien demandé). Un film qui fit scandale à l’époque, et qui a eu pour conséquence de créer un genre : celui de ces films « dont on a trouvé les bandes et qu’on vous diffuse comme ça, brutalement ». Soit : le found footage.

«Cannibal Holocaust»

«Cannibal Holocaust»

Le genre est né, mais ce n’est pas pour autant que celui-ci explose. À ce moment-là, c’est davantage le film de cannibales qui est en pleine expansion. La seconde salve a donc lieu en été 1999, avec le carton monumental du Projet Blair Witch. Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans… À l’époque, ce fut véritablement un phénomène. Tout le monde jouait à se faire peur en allant voir et revoir ce petit film dans les salles obscures. Et il n’y a pas à dire : plus de 15 ans après sa sortie, le film du duo Eduardo Sanchez/Daniel Myrick continue de faire son petit effet.

Paranormal Inactivity

Ayant rapporté près de 250 millions de dollars dans le monde, il a forcément fait des petits, les producteurs hollywoodiens n’étant pas les derniers pour exploiter un filon qui rapporte. Pourtant, il faudra là encore attendre quelques années pour que le genre n’explose vraiment. Car c’est avec la sortie de Paranormal Activity en octobre 2007, habilement orchestré par le buzz (c’était pourtant avant l’avènement de Twitter), que le found footage va prendre son essor et inonder littéralement les écrans de cinéma du monde entier. Et paradoxalement, c’est là que le genre va partir en vrille.

Parce que Paranormal Activity, en quelques mots, c’est : des dizaines de plans de chambres vides, des dizaines de plans subjectifs de caméra de surveillance et des dialogues non-intéressants débités par des acteurs non-intéressants (en plus d’être de sombres inconnus), entrecoupés de temps en temps par de gros bruits stridents et des jump scares pas très flippants (oh mon dieu ! une chaise qui bouge). La seule chose qui ferait vraiment peur là-dedans, ce serait de voir émerger une idée de mise en scène. Ça, ce serait surprenant ! Pourtant, la campagne promo du premier jurait que Steven Spielberg lui même en avait eu la trouille de sa vie.

«Paranormal Activity»

«Paranormal Activity»

Pour s’éviter de graves maux de tête, les gens derrière tout ça préfèrent jouer principalement avec les attentes du spectateur. Un spectateur qui est venu ici chercher précisément ce qu’il attendait, c’est-à-dire du frisson à bas prix, vite consommé et vite oublié. Mais offrir aux spectateurs précisément ce qu’il attendait, c’est l’antithèse même de la notion de suspens. Et pourtant, ça marche. On essaie de créer la tension avec un plan fixe anodin sur un lieu où il ne se passe rien, on fait durer la scène, encore et encore, jusqu’à ce que jaillisse un micro-événement (un drap qui bouge, une chaise qui se déplace toute seule…), aussi surprenant que bref. On coupe et… plan suivant et rebelote.

Du cinéma ? Où ça, du cinéma ?

Cette même formule paresseuse sera appliquée à la lettre sur des dizaines d’ersatz qui fleuriront par la suite. Outre Paranormal Activity 2, Paranormal Activity 3, Paranormal Activity 4, Paranormal Activity : The Marked Ones et Paranormal Activity : Tokyo Night (oui, le problème des chaises mouvantes touche aussi le Japon), on a pu se délecter entre autres de The Baby, Le Dernier Exorcisme, Apollo 18, CatacombesQuarantine (le remake de l’espagnol [REC]), V/H/S et ses deux suites, Grave Encounters, Les Chroniques de TchernobylDevil InsidePyramide… et j’en passe. Difficile de tous les citer, la liste serait trop longue, mais sachez que dans ma quête désespérée de la perle du genre, j’en ai vu énormément. Sans doute trop.

Autant de films d’une pauvreté cinématographique affligeante, où l’on navigue entre le film de chambres et le film de couloirs, dans lesquels il ne se passe strictement rien 90% du temps. Des films dénués de la moindre idée de mise en scène un tant soit peu efficace, incapables de faire ressentir la moindre empathie envers des personnages dont on n’a que faire, des effets qui piquent les yeux et les oreilles, et des trames scénaristiques qui respectent absolument toutes le même schéma : on ne s’embarrasse pas de créer un semblant de dramaturgie, on fait bêtement monter la sauce en multipliant les jump scares foireux, soutenus par une bande-son stridente, jusqu’à un climax criard où la caméra passe en mode shakycam et où le spectateur ne discerne plus rien de ce qui se déroule à l’écran. De toute façon peu importe, dans la majorité des cas, ça se termine par un hurlement et un écran noir. BOUM ! C’est supposé faire peur, mais après avoir subi une quarantaine de films basés sur le même modèle, ça fait surtout bailler.

catacombes

«Catacombes»

D’autant plus qu’en tant que spectateur, le found footage nécessite d’accepter certains codes inhérents au genre. Le plus important de ces codes étant que les événements sont filmés intégralement par une ou plusieurs personnes, qui continuent de documenter tout ce qui leur arrive, et ce malgré l’énormité des situations dans lesquelles ils se retrouvent. Si l’univers dépeint est crédible et que les personnages sont attachants, c’est typiquement le genre de considérations que l’on est prêt à oublier.

Mais si ce que l’on nous montre est d’une bêtise sans nom et que l’on ne s’intéresse à personne, une des premières choses qui nous vient en tête est alors : « Mais pourquoi est-ce qu’ils continuent de filmer alors qu’un gars possédé par un démon leur court après ? » C’est donc aux réalisateurs et producteurs de soigner leurs mises en scène et leurs scénarios, pour que ce type de questions ne nous vienne pas à l’esprit. Malheureusement, ils ne semblent que très peu s’intéresser à ces considérations, préférant appliquer ad nauseam la même recette. Et tant que les chiffres du box-office donneront raison aux responsables de ces produits formatés, il y a de quoi rester pessimiste.

Genre en péril cherche réalisateur(s)

Pourtant tout n’est pas à jeter dans le genre. Même si, à l’image du cinéma d’horreur « traditionnel », il est de plus en plus difficile de tomber sur des pépites, on a pu constater qu’il était tout de même possible de faire de bons found footages. Et qui fichent réellement la trouille ! Car lorsque le genre est abordé par un réalisateur un minimum ambitieux, il est possible que le found footage s’en retrouve transcendé.

Par exemple, lorsque Matt Reeves balance un simili-Godzilla dans New York pour les besoins de son Cloverfield, le principe de la caméra portée sert ici à renforcer l’immersion du spectateur, qui se retrouve comme plongé dans le chaos d’une ville attaquée par un monstre géant. Le réalisateur est suffisamment malin pour que le found footage prenne ici l’aspect d’un reportage de guerre, en ne s’appuyant pas seulement sur les effets de style au rabais évoqués précédemment. Alors des jump scares, il y en a bien sûr. Mais c’est loin d’être le seul élément qui provoque l’effroi, tout en n’oubliant pas d’être extrêmement spectaculaire grâce à un budget relativement confortable (merci J.J. !).

cloverfield

«Cloverfield»

C’est ce qu’avait parfaitement compris George A. Romero – à qui on ne la fait pas dans le domaine de l’effroi – pour Diary of the Dead. Certes le film est loin d’être parfait, mais il a au moins le mérite de permettre à Romero d’utiliser les nouvelles technologies de l’image afin de faire revivre ses morts bien-aimés.

Le principe des différentes sources d’images (camescopes, caméras de surveillance) avait également été utilisé à bon escient par Brian De Palma pour Redacted. Un procédé de mise en scène qui lui avait permis à la fois d’aborder une nouvelle mouvance du cinéma, tout en pervertissant les codes du found footage et en continuant d’explorer ses thématiques obsessionnelles, que sont la manipulation des images et la multiplicité des points de vue. Passionnant. Parmi les autres réussites, on peut également citer Chronicle de Josh Trank (qui revisitait le film de super-héros via le found footage), les 2 premiers [REC] du duo Jaume Balaguero/Paco Plaza, The Poughkeepsie Tapes (un faux documentaire bien flippant sur un tueur en série) ou bien encore The Bay de Barry Levinson (oui, oui, on parle bien du réalisateur de Rain Man et Sleepers).

Donc étrangement, on constate que lorsqu’il y a un réalisateur compétent derrière la caméra et non pas un yes-man uniquement là pour exécuter les ordres, il est possible de tordre les codes et de proposer du found-footage de qualité. À ce titre, il sera intéressant de voir ce que nous proposera M. Night Shyamalan – celui que l’on présentera éternellement comme le « réalisateur du Sixième Sens avec Bruce Willis » – qui vient de terminer The Visit, une comédie horrifique sous forme de found footage prévue dans nos salles en octobre prochain. Au vu de la bande-annonce qui fait peur – malheureusement pas dans le bon sens du terme – l’espoir demeure infime.

Mais restons optimistes, afin qu’on en finisse une bonne fois pour toutes d’une expression qui n’a que trop duré : le « found footage de gueule ». Alors s’il-te-plait Hollywood, surprends-nous !




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Robin Souriau
8 années il y a

Globalement d’accord avec l’analyse, notamment sur cette quête masochiste de trouver, enfin, le found footage parfait. En même temps, difficile de donner tort au constat de la surexploitation, mais quelques films cités auraient mérité de ne pas se retrouver au milieu du marasme ambiant.

Je cite les deux Grave Encounters par exemple (à voir absolument par deux) qui, comme il est suggéré dans l’article, trouvent la raison d’être de leur footage dans le documentaire TV (à l’instar de REC) et surtout, surtout

Spoiler
, dans le fait que le montage en lui-même devienne un vaisseau maléfique et que sa production fasse l’objet d’un doute – même factice, on salue
. On peut également parler des V/H/S (hors Viral, à mon grand regret). Le format court apporté par l’anthologie offre évidemment une qualité variable, mais certains segments font preuve d’un amour scénaristique et technique à tout épreuve. A voir absolument, s’il n’en fallait qu’un, le travail de Gareth Evans sur V/H/S 2. Magique.

Après, rien de plus à dire sur The Baby, Paranormal (pour lequel j’ai longtemps caché mais désormais avoué une grande faiblesse, allez savoir…) et autres Catacombes que vous résumez parfaitement. Le plus gros doigt d’honneur revient au dernier Oren Peli, Area 51, puant tellement l’exploitation commerciale à longue traîne qu’il en oublie carrément les scènes d’angoisse. Et quand on a même pas un jumpscare, même pas un alien, même pas un couteau dans l’œil à se mettre sous la dent, c’est là qu’on se dit que finalement, le reste n’était pas si imbuvable.

Ah, et respect éternel pour Poughkeepsie Tapes. Jamais un épisode de « Faites Entrer L’Accusé » m’aura fait autant flipper.

Julien Lahmi
8 années il y a

Bel article ! L’absence de mise en scène ici est d’autant plus désolant que le terme de Found Footage désignait d’abord une avant-garde cinématographique des années 50 et 60.
Found Footage était jusqu’alors synonyme de renouveau cinématographique !

Ne faudrait-il pas dénommer cela autrement ?

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