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Wim Wenders | Entretien

À quelques jours de la sortie de son film Every thing will be fine, nous avons rencontré l’immense Wim Wenders, auteur des grands classiques Les ailes du désir ou Paris, Texas. L’occasion d’évoquer le tournage de son mélodrame tourné en 3D, de sa collaboration avec le chef-opérateur Benoît Debie, de son utilisation de l’espace et des couleurs, de ses influences philosophiques pour les thématiques de la culpabilité et du pardon, de son choix de James Franco pour le rôle (principal) de Tomas et de son rapport aux femmes et aux enfants…  

Comment avez-vous appréhendé l’utilisation de la 3D pour retranscrire à travers le visuel le sentiment des personnages ? Comment s’est passé le tournage du film en 3D ? 

Wim Wenders : Comme il n’y avait pas de références – il n’y avait pas de films en 3D dans le domaine dramatique que l’on aurait pu étudier – nous avons fait beaucoup de tests. Nous avons tourné un court-métrage, avec le fils de Dennis Hopper (Henry Hopper – ndlr) et une actrice allemande, pour étudier avec de vrais acteurs devant la caméra. Nous nous sommes rendu compte qu’il fallait être très vigilant car la caméra 3D voit deux fois plus de choses qu’une caméra classique. Nous avons tourné deux semaines… D’ailleurs, nous ne l’avons toujours pas monté et il faudra que je le fasse car je l’ai promis.

Nous avons donc réalisé, en tournant avec eux, que pour les acteurs la caméra 3D était un médium très dangereux car la caméra voit chaque intention. C’est quelque chose d’assez angoissant pour un metteur en scène également car il ne suffit pas d’être à côté de la caméra et de regarder l’acteur jouer. Je préfère regarder l’acteur en direct plutôt que sur le moniteur mais avec ce dispositif il fallait aussi que j’aille sous la tente pour vérifier. En direct, on peut avoir l’impression que c’est formidable et lorsque l’on vérifie ce que ça donne, on se rend compte que l’acteur se projette encore trop. Mon travail était donc de réduire au maximum leurs intentions pour que ça ne fasse pas trop. 

Je me suis toujours demandé pourquoi des grands acteurs comme Johnny Depp, dans la série des Pirates des Caraïbes, ou Ben Kingsley dans le film de Scorsese, interprètent de façon caricaturale. Je me suis rendu compte que la caméra accentuait leur jeu. Si l’acteur surjoue un peu, la caméra 3D l’amplifie et cela devient gigantesque. J’ai compris qu’il fallait être extrêmement prudent et réduire encore plus leurs intentions que ce que je pouvais percevoir à l’œil. J’ai du très souvent vérifier une performance sur l’écran 3D car je n’avais pas tout vu en direct.  

Tourner face à deux caméras est assez impressionnant pour les acteurs.

Les quatre acteurs principaux du film, James (Franco – ndlr) et les trois femmes, sont des acteurs qui n’aiment pas se voir sur le moniteur. Certains comédiens trouvent cela extrêmement utile de se voir, certains ont même besoin de se voir. Heureusement, je suis tombé sur des acteurs qui n’en avaient pas besoin. Ils n’avaient pas besoin de vérifier et suivaient simplement mes indications. Ils étaient un peu intimidés par notre grande tente avec les moniteurs 3D. Pour eux, c’était déjà assez impressionnant d’être face à deux caméras en même temps.

Comment avez-vous pensé le traitement de l’espace ? Vous semblez y accorder beaucoup d’importance : dans le film, l’espace est presque infini. Vous avez utilisé de nombreuses techniques pour rapprocher les personnages avec les surimpressions, le dolly zoom (travelling contrarié) ou même le montage. Pourquoi ? 

Wim Wenders : Nous avions de superbes paysages, que nous avions longuement recherchés – la rivière, la maison de Kate… Ce ne sont pas des paysages extraordinaires mais je les aimais beaucoup, surtout en hiver. Nous avons décidé de travailler différemment avec la profondeur de champ. Jusqu’à maintenant, dans les films en 3D que j’ai vu, tout est net du premier plan jusqu’au fond du champ. On me disait qu’en 3D il fallait avoir un plan complètement net. Avec Benoît, nous avons décidé de travailler avec une profondeur de champ réduite. Dans les gros plans, l’arrière plan est flou. Ce qui donne une impression différente de la profondeur. Lorsque c’est flou derrière, on perçoit tout de même l’espace et l’éloignement mais cela paraît plus naturel à l’œil ainsi. Notre stéréographe, Joséphine (Derobe – ndlr), avait peur car elle aussi pensait que le fond devait être net mais elle a été convaincue que c’était plus agréable à regarder par le simple fait que nos yeux sont davantage habitués à une profondeur de champ réduite.

Même si c’était flou derrière, je trouve que cela a bien fonctionné. Ce que je n’aime pas dans la 3D lorsque tout est net c’est qu’on a l’impression que les personnages sont découpés et collés sur du relief. Nous avons tout fait pour éviter cette sensation. 

Il me fallait quelqu’un d’aventureux. Et sur ce point là, Benoit Debie s’impose.

LBDM.fr : Comment en êtes-vous arrivé à travailler avec Benoit Debie, un chef-opérateur extrêmement talentueux qui n’avait jamais tourné en 3D. Comment avez-vous collaboré avec lui ?  

Wim Wenders : J’ai regardé parmi les chefs-op ayant déjà travaillé en 3D et je n’ai trouvé personne qui me correspondait pour ce film… Et comme c’était assez nouveau pour moi aussi, je me suis dit que c’était mieux de choisir quelqu’un qui n’avait jamais tourné en 3D. Ainsi, nous allions pouvoir apprendre ensemble. Et je pense que ce fut une bonne décision. Nous avons tourné sans film de référence, en apprenant sur le terrain. Et pour cela, il valait mieux prendre quelqu’un d’aventureux. Et sur ce critère, le choix de Benoît s’impose.

Je connaissais son travail avec Gaspar Noé, avec deux films en particulier dont je parle souvent avec mes étudiants, je savais donc comment Benoît travaillait. Je me suis rendu à Détroit pour le rencontrer. Il tournait avec Ryan Gosling (Lost River – ndlr) et je l’ai vu travailler avec lui sur place. En l’observant, j’ai été convaincu que c’était celui qu’il me fallait. Nous avons beaucoup expérimenté et fait des tests. Nous avons choisi une nouvelle gamme d’objectifs que l’on a été les tout premiers à utiliser avec la 3D. Ils nous ont permis de filmer en profondeur réduite, avec des ouvertures très larges. Nous sommes restés avec l’objectif ouvert, ce que les assistants craignent beaucoup car le focus devient parfois critique. 

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LBDM.fr : Lui avez-vous fait des demandes particulières concernant la tonalité à l’écran ? La palette de couleurs est très riche. On sent que vous jouez avec les couleurs, chaudes et froides, pour refléter les émotions des personnages par l’image… Quelles indications avez-vous données sur ce point à votre équipe technique ?  

Wim Wenders : Nous avons fait un gros travail sur les couleurs avec Benoît (Debie) mais aussi avec la costumière (Sophie Lefebvre) et les chefs décorateurs (Frédérique Bolté et Jean-Charles Claveau – ndlr). Nous avons réalisé que certains textiles, certaines matières, n’attrapaient pas bien la lumière en 3D.

Une bonne partie de la tonalité du film vient de la peinture d’Andrew Wyeth, que nous avons longuement étudiée avec Benoit, aussi bien pour la représentation spatiale que pour les tons de ses peintures. Au début, on s’est intéressé à la façon de peindre la neige. Peu de peintres savent la peindre. C’est ainsi que nous sommes tombés sur ses œuvres. Nous avions peur de ce que donneraient les scènes en neige en 3D et nous avons beaucoup pu apprendre de lui. Mais aussi pour ses gros plans, ultra-réalistes. Dans les années 40-50, personne ne faisait ça. Cet hyper-réalisme correspondait vraiment avec nos craintes du rendu avec la caméra 3D. Cela nous a beaucoup aidés. 

Benoît, c’était un choix génial. Nous avons travaillé relativement vite. Nous n’avions que 35 jours de tournage, ce qui est peu pour un film en 3D. Nous étions bien préparés. Nous passions nos nuits à préparer le lendemain, il était toujours très disponible. Nous savions toujours assez bien ce que nous allions faire, surtout dans la neige où il n’y a pas de place à l’improvisation. On ne faisait que quatre ou cinq prises par jour dans ce froid…

Ce qui m’a le plus intéressé pour le film, c’est l’acte de pardonner. (…) J’ai été très inspiré par le philosophe Martin Buber.

J’ai lu que le philosophe Bel Abbès vous inspirait énormément pour construire la psychologie de vos personnages. Je me demandais si d’autres penseurs vous avaient influencé pour les écrire car la thématique de la culpabilité (et la façon dont on la surpasse) étant centrale dans le film, cela m’a beaucoup rappelé les travaux de Nietschze ou Paul Ricoeur…  

Wim Wenders : La culpabilité est un des sujets du film. Mais ce qui m’a le plus intéressé dans le film, et j’espère que cela se ressent, c’est l’acte de pardonner. Le philosophe qui m’a accompagné sur le film est un philosophe juif qui s’appelle Martin Buber. Son œuvre principale s’intitule « Je et Tu« . Dans celle-ci, il dit que le « moi » existe seulement s’il accepte le « toi ». Pour moi, c’était vraiment important pour le personnage de James (Franco – ndlr) qui vit sans référence aux autres personnes, même dans ses relations avec ses compagnes – surtout avec Sarah au début, où l’on a l’impression qu’il ne la remarque pas. Il est très replié sur lui-même. À la fin, Tomas (le personnage de James Franco) doit s’ouvrir pour accepter le personnage de Christopher. J’espère que cela se traduit dans le film, mais c’est comme si à partir de ce moment là ce jeune garçon pouvait venir chez lui quand il veut. Et la résolution de tout ça est inspiré par Martin Buber.  

C’est très lié à la paternité finalement cette question de la culpabilité… C’est très récurrent d’ailleurs dans votre filmographie ce thème de la paternité ? Est-ce que c’est lié pour vous ?

Wim Wenders : (Il sourit). Oui, je me rends compte qu’on peut voir cette figure du père involontaire, de « père malgré lui », dans d’autres films que j’ai fait comme Paris Texas ou Don’t come knocking. C’est peut-être parce que c’est un personnage que je connais bien, sur lequel je peux mieux m’exprimer car il s’y prête mieux. Il est vulnérable.

Christopher a une image de Tomas – on le voit quand Tomas regarde le dessin de l’enfant – qui est celle d’un homme qui le porte sur ses épaules. C’est une image forte en symboles, assez mythique. C’est qui ce Saint qui porte Jésus sur son dos au fait ? 

LBDM.fr : Saint-Christophe ?

Wim Wenders : Oui, Saint Christophe. Celui qui porte l’enfant sur son dos. Un peu un personnage mythique. Ce n’est pas lié, c’est un hasard. Je me suis rendu compte plus tard que cela pouvait renvoyer à cette figure biblique.  

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James Franco interprète un écrivain. C’est un homme très artiste et créateur – comédien, réalisateur et même écrivain. L’avez-vous choisi pour ces raisons ?  

Wim Wenders : J’ai lu le livre qu’il a écrit et c’est une des raisons pour lesquelles je tenais à le rencontrer. C’est un acteur assez minimaliste mais il est également écrivain et metteur en scène. Par son expérience, il saisit le cœur d’une histoire. Il est parvenu à comprendre cette culpabilité d’utiliser le vécu dans la fiction. 

Aviez-vous besoin de quelqu’un capable de faire preuve de détachement face à des situations dramatiques, comme dans cette séquence de la fête foraine ?  

Wim Wenders : Oui. En plus, il est comme ça dans la vie. Il est resté extrêmement calme lors du tournage. C’est la première fois que j’ai un acteur qui ne quitte jamais le plateau. James était toujours là. Du matin au soir, il était présent sur le plateau. Quand il ne jouait pas, il lisait. Il a du lire une vingtaine de bouquins pendant le tournage. Il était dans un coin, avec son livre. Quand je l’appelais, il arrivait et commençait à tourner en sachant exactement où on en était, ce qui se passait. Puis, quand je disais « Coupez », il retournait lire son livre. Il était toujours plongé dans un livre. Il préparait une thèse en littérature. 

On sent que son personnage a du mal à créer de l’intimité avec les adultes, avec les femmes dans sa vie. Il y a beaucoup de scènes de tendresse mais très peu de scènes d’intimité, de couple… Il a du mal à être dans la proximité.  

Wim Wenders : Oui, c’est le personnage de Tomas tel que je l’ai envisagé. J’espère qu’à la fin du film on sent que dans ses autres relations cela va changer et qu’il sera un autre homme. 

> > > Lire aussi : notre entretien avec Marie-Josée Croze, qui tient un second rôle dans le film.

Propos recueillis et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir.
Entretien réalisé le 14 Avril 2015, avec Léa Auger (Nouvel Ecran) et Laura Ferdinand (Le Mauvais Coton)

La fiche

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EVERY THING WILL BE FINE
Réalisé par Wim Wenders
Avec James Franco, Charlotte Gainsbourg, Rachel McAdans, Marie-Josée Croze…
Allemagne, Canada, France – Drame
Sortie en salle : 22 Avril 2015
Durée : 115 min

Remerciements : Wim Wenders, Lamia El Assad (Déjà)



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