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VINCENT MAËL CARDONA | Interview

À l’occasion de la sortie DVD des Magnétiques, Vincent Maël Cardona a accepté de revenir sur une drôle d’aventure. Des propos qui transpirent le sens du collectif et le plaisir autant artistique qu’artisanal de la fabrication du cinéma. Le succès du film devrait nous assurer de le retrouver très vite derrière une caméra. D’abord pour une série puis pour un deuxième long métrage. Rencontre avec un homme qui n’a plus de temps à perdre.

Le film est sorti en salle le 17 novembre dernier, il a reçu un bon accueil et le César du 1er film. Aujourd’hui, l’édition DVD est sans doute l’opportunité de donner une nouvelle vie au film et d’élargir son public ?

Vincent Maël Cardona : Ce sont des questions que je ne maîtrise pas très bien, mais c’est sûr qu’on espère toucher un public qui n’a pas pu se déplacer en salle voire pas entendu parler du film à sa sortie. Il y a un côté « séance de rattrapage » avec ce support qui devient de plus en plus désuet mais auquel on est encore un certain nombre à être attachés.

En terme de visibilité, le César est-il toujours un atout ?

C’est certain. D’abord les nominations puis le César, ça a permis à beaucoup de gens d’entendre parler de ce film. C’est une chance gigantesque pour nous. C’est compliqué de faire un film, encore plus de faire un premier film. On sous estime toujours à quel point ça peut être cruel de parvenir à ses fins, de réussir un film à peu près à l’image de ce qu’on imaginait et puis finalement de passer inaperçu. Et c’est très facile de passer inaperçu. Une des grandes difficultés, c’est de susciter de l’attention, de l’intérêt parmi des dizaines et des dizaines de propositions.

Lors de la remise du prix, votre producteur a évoqué une longue bataille pour monter le projet. Pouvez-vous revenir sur votre parcours, entre vos deux courts-métrage et ce premier long ?

Oui c’est un parcours assez éloquent. En troisième année de la Fémis, on a fait un court-métrage qui s’appelle Sur mon coma bizarre glissent des ventres de cygnes, exercice qui a eu une assez belle carrière en festival. Ensuite, il y a eu Coucou les nuages, mon film de fin d’études qui lui aussi, a fait une petite carrière dans divers festivals internationaux. Et puis 10 ans ont passé. À la Fémis j’étais en réalisation donc je ne suis pas sorti de l’école avec un scénario. Je me suis attelé tout de suite à l’écriture en pensant faire le film en 3 ou 4 ans. Jamais je n’aurais pensé que ça me prendrait autant de temps. J’ai commencé à écrire Les Magnétiques avec un groupe d’auteurs, on était produits à l’époque par Grégoire Debailly au sein de Lazennec, la maison de production d’Alain Rocca qui a fermé boutique au bout de deux ans. On a alors dû arrêter le développement de ce film. Ensuite je suis parti sur un autre projet avec les producteurs de SRAB, Christophe Barral et Toufik Ayadi, sur lequel on a travaillé pendant quatre ans mais qui n’a pas pu être financé. C’est à ce moment-là qu’on a rencontré Marc-Benoît Créancier d’Easy Tiger. Il était mon camarade de promotion à la Fémis. Il venait de faire Divines et nous a proposé son aide. On a repris l’écriture des Magnétiques en 2017. On peut dire que ça a été une assez longue bataille.

Maintenant que les choses ont changé, le projet abandonné pourrait-il voir le jour ?

C’est exactement ce qu’on est en train de faire, en espérant que le vent ait un peu tourné et qu’on pourra trouver des conditions de financement plus heureuses.

On peut dire que ça a été une assez longue bataille.

Vous parlez d’un groupe d’écriture. Six scénaristes sont crédités au génériques des Magnétiques. Comment on organise ce travail collectif ?

C’est vrai que c’est rare au cinéma mais c’est assez fréquent pour les séries. C’est assez simple et ça marche très bien. J’avais demandé aux copines et aux copains qui m’ont rejoint, de m’aider à écrire mon film. C’était pas une écriture purement horizontale, je suis arrivé avec une matière première, des personnages, des idées à développer. Il y avait une notion de direction d’écriture. Ensuite il y a une dynamique qui se crée. Tout est plus rapide, la documentation, l’écriture. On parle des arcs puis on se répartit le travail et on avance comme ça. Très rapidement on a trouvé une patte commune, avec un peu de chacun de nous partout.

Samuel Aïchoun et Pierre Bariaud apparaissent au générique comme mixeur et monteur mais aussi comme conseillers techniques à la mise en scène du son. Avez-vous été confronté à un potentiel conflit entre le son et l’image ?

Non, ça ne s’est pas posé en termes de conflit mais par rapport à la caractérisation du personnage principal, par rapport à l’utilisation du son pour convoquer une époque passée, le son a pris les devants à divers endroits du scénario. Il est arrivé avant l’image, alors que la plupart du temps, c’est le contraire. On a parfois inversé l’ordre traditionnel d’écriture. Ce ne sont pas des conflits, ce sont des enrichissements mutuels. J’aurais voulu mettre un crédit « direction artistique sonore » mais ça n’a pas été possible alors on a inventé celui-là. Leur travail est l’équivalent de celui fait à l’image par le chef opérateur.

Si on prend l’exemple de la scène du réfectoire, c’est la bande son qui conduit le récit, et vous avez trouvé, dans un second temps, l’idée des pots emboîtés comme marqueur de l’image ?

C’est exactement ça. Je souscris à l’idée de trouver quelque chose pour que l’image tienne, existe et propose quelque chose de complémentaire. Le cinéma c’est une bande image qui court à côté d’une ban son. Il faut trouver le moyen de les faire se répondre de manière synchronisée. Pour cette scène en effet, j’avais besoin de trouver quelque chose à l’image qui existe un peu plus. C’est comme ça que nous est venue l’idée de ce contrepoint un peu burlesque qui vient contrebalancer le romantisme du message et les enjeux émotionnels qu’il véhicule. C’est le genre d’écriture qui m’intéresse beaucoup. Quand on arrive à produire ce mélanges d’émotions, je suis très content. Dans la vie, tout est toujours mêlé, il faut arriver à retrouver ça. Je cherche toujours un angle léger dans les scènes dramatiques et inversement à introduire un peu de gravité dans les scènes légères.

La bande son est aussi riches de beaucoup de musiques additionnelles, quelle couleur complémentaire ou supplémentaire pouvait apporter la musique originale ?

C’était une difficulté parce que la bande son est déjà très copieuse. C’est toute la question de la dynamique sonore qui doit garder un certain équilibre. On a cherché une musique qui soit un liant et qui vise à l’universalité des sentiments. C’était aussi une manière de questionner le rapport que le film entretient avec l’époque dans laquelle il s’inscrit. Le film convoque le basculement entre les années 70 et 80 mais s’adresse aussi à notre époque actuelle, à notre affect contemporain.

Certains thèmes font penser aux films policiers des années 70.

C’est une référence parmi beaucoup d’autres qui ont nourri David Sztanke.

La photographie, notamment dans les scènes nocturnes, éloigne le film, par la saturation des couleurs, du naturalisme.

Ce n’est pas un film sur ma jeunesse, je suis né à ce moment-là et avec les collaborateurs du film, on est tous de la même génération. Je voulais être fidèle à des souvenirs sensoriels et aussi à des souvenirs fantasmés, un peu irréels. Les scènes nocturnes représentaient un espace où pouvaient se rencontrer le réel et l’onirique. La décoration a été aussi très importante sur cette question. Dans la maison familiale, tout le rez-haussée est ancré dans le réel, et quand on monte à l’étage ça devient plus mental, plus artificiel, on s’approche d’une dimension presque fantastique. Pour moi c’était un choix de ne jamais rentrer dans les chambres pour faire vivre la force symbolique du couloir. Là, on a dû construire un décor pour filmer avec le recul perpendiculaire nécessaire. C’est un exemple parmi d’autre qui permet le mariage d’une dimension naturaliste et d’une dimension plus onirique.

Il y a un plan bref mais très important, lorsque Philippe s’octroie une permanence et rentre à la maison, vous le filmez derrière la grille, et Jérôme le frôle sans un mot. Cette scène a t-elle une valeur de charnière dans le récit ?

Juste avant, il y a un plan extérieur sur la fenêtre et le spectateur entre dans la pièce par le son au moment où Marianne tourne la page et lève les yeux. C’est une séquence qu’on a particulièrement soigné au découpage. C’est drôle parce qu’à cet endroit, on enfreint à peu près toutes les règles grammaticales du cinéma et pour le plan que vous évoquez, je n’arrivais pas à les convaincre. C’est un plan que je me suis offert et je suis content parce que l’image et le son prennent complètement en charge le sens.

Le film convoque le basculement entre les années 70 et 80 mais s’adresse aussi à notre époque actuelle, à notre affect contemporain.

Avez-vous participé à l’édition du DVD ?

Hélas, pas du tout, je le regrette beaucoup. J’aurais adoré faire une piste de commentaires audio, ajouter mes deux courts-métrages mais je tourne une série cet été, et la préparation m’accapare complètement.

Vous parlez beaucoup du collectif, avez-vous le sentiment de faire partie d’une famille de cinéma ?

Pas encore, je ne crois pas. J’aimerais, l’histoire du cinéma est faite de ça aussi. J’ai des amis bien sûr, Vincent Le Port est un très bon copain, il vient de sortir son film Bruno Reidal.

Le film est sorti en mars.

Ah bon, il est déjà sorti ? Oh la la, je suis très occupé en ce moment mais quand même, ça en dit long sur ce que disais en introduction, l’extrême difficulté de se rendre visible. C’est un film d’une très grande force. On a fait nos études ensemble. Nos cinémas sont différents mais je me sens en familiarité avec son travail. Un autre bon copain, Jacques Loeille, va sortir son film Birds of America très bientôt. Avec ces gens-là, il peut y avoir une réflexion commune qui aboutit à des films très différents.

Vous pouvez nous dire un mot de la série sur laquelle vous travaillez actuellement ?

C’est une série pour Arte intitulée De grâce située au Havre dans le monde des dockers. Je n’en suis pas l’auteur, seulement le réalisateur.


Propos recueillis par François-Xavier Thuaud pour Le Bleu du Miroir.

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