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VIGGO MORTENSEN | Entretien

À l’occasion de la prochaine sortie en salle de Captain Fantastic, auréolés de deux prix au dernier Festival de Deauville, nous avons rencontré le comédien Viggo Mortensen qui nous a confié ses impressions sur le tournage, son rapport à l’éducation et les déviances liées aux nouvelles technologies, ses origines danoises… Le tout en français dans le texte

S.L. : Comment s’est déroulée la préparation du film avec les enfants, ainsi que l’entraînement physique en amont ?

Viggo Mortensen : Lors de la phase finale du casting, avec les six enfants, nous avons commencé à connaître chacun d’entre eux. C’était bon pour Matt (Ross – ndlr) qui a pu commencer à me voir dans le rôle du père, avant même le tournage. Nous avons eu deux semaines pour nous entraîner ensemble, apprendre les activités collectives que l’on devrait montrer durant le tournage : les arts martiaux, la musique… Tout ce que la famille fait dans la forêt. Quand nous sommes arrivés au premier jour du tournage, nous formions déjà une petite famille.  Cela se passe très bien. Nous ne parlons pas en profondeur des films, de façon collective. Ce sera lundi soir. Nous ne voulons pas nous influencer mutuellement. Les ressentis sont parfois très différents, du fait de nos critères personnels. Sur huit films, nous devrions parvenir à un consensus sur un film ou deux en particulier.

LBDM.fr : Et concernant la préparation culturelle ? Matt Ross vous a recommandé plusieurs lectures…  

V. M. : En effet, il m’a fait parvenir une liste d’ouvrages qu’il me fallait connaître. Fort heureusement, j’en avais déjà lu une bonne partie. Nous avons pu discuter des valeurs de la famille, de l’importance de l’éducation et de la culture, du respect mutuel… J’ai également pu parler de tout ça avec les enfants pendant la préparation.

S. L. : Quel est votre regard sur le personnage de Ben, le père que vous incarnez ? Vous êtes vous senti proche de lui ? 

V. M. : Je pense qu’il peut parfois être le meilleur père du père, et d’autres fois le pire. À l’image du film, je pense qu’il est provocant, émouvant mais au final essentiellement sincère et modeste. Je me suis senti proche de lui à plusieurs reprises. Sa façon d’agir, de poser les bases de la famille, son honnêteté, sa curiosité, le fait qu’il ne mente jamais aux enfants… C’est important et cela peut se mettre en pratique à la ville. C’est nécessaire de dire la vérité aux enfants, mais il faut être plus flexible. On ne peut pas utiliser le même langage avec un enfant de 17 ans comme un enfant de 7 ans. Mais au final, il reste fidèle à sa philosophie, ce qui est plutôt beau. 

Tous ces acteurs qui se jettent sur leur smartphone dès qu’une prise est terminée, je déteste ça !.

LBDM.fr : En tant que père vous-même, avez-vous fixé à votre fils des règles éducatives assez strictes ? Mis à part le choix de votre équipe de football fétiche… 

V. M. : (Il rit). Même pour ça, il était libre ! Plus sérieusement, nous ne mettions pas la télévision. Il ne la regardait que pour découvrir des films en VHS puis en DVD. Sa mère et moi avons choisi ce qu’il avait le droit de regarder ou pas. C’était une autre époque, sans smartphone et réseaux sociaux. Nous avons essayé de nous engager pour lui inculquer nos valeurs : comment manger, que regarder à la télévision… 

LBDM.fr : Matt Ross, le réalisateur, a déclaré avoir passé un contrat moral avec les enfants pour leur restreindre l’utilisation de leurs téléphones et tablettes, et pour les pousser à éviter la junk-food durant le tournage… 

V. M. : Ils étaient libres chez eux ou à l’hôtel, mais sur place ils n’avaient pas le droit de les utiliser ou de manger de friandises. C’est assez rare aux Etats-Unis de ne pas avoir ça sur le plateau. Nous avions des légumes, des fruits… Pas de Coca-Cola ou de barres chocolatées ! Et il leur avait interdit d’avoir de téléphone sur le tournage. J’ai même voulu mettre en place un gage (50 pompes) si l’un d’entre eux était pris en flagrant délit.

Plus généralement, je trouve ça bien. Nous ne devrions jamais avoir de téléphones sur un plateau. De nos jours, les acteurs se jettent sur leur téléphone entre les prises. Je trouve ça détestable ! Cela n’aide pas à créer une émulsion collective, à se concentrer sur l’histoire que l’on veut raconter. Selon moi, il faudrait sortir de la pièce lorsque l’on a un message à envoyer. Comme lorsque l’on souhaite fumer une cigarette. On devrait mettre en place une loi, comme pour le tabac ! On ne fume pas sur le plateau, on n’utilise pas de téléphone non plus. 

S. L. : Vous avez dit que ce rôle était l’un des plus complexes que vous ayez joué…

V. M. : C’est un véritable périple émotionnel. Pour un père, c’est difficile de tout donner (son temps, son énergie) à ses enfants et de réaliser que l’on n’est pas sur le bon chemin. C’est délicat de l’accepter, psychologiquement. Dans le cas de Ben, il se donne corps et âme à ses enfants. Il est très investi. Cela demande de la patience, du travail. Lorsqu’il réalise qu’il se trompe, c’est une épreuve.

Quand le voyage débute, les enfants ont fini d’apprendre en théorie. C’est une remise en question de cet apprentissage. Il n’est plus le « roi » de cette famille. C’est déroutant pour lui, alors qu’il est complètement opposé à la rigidité, à la tyrannie. Il en devient lui-même un peu arrogant, une sorte de dictateur bienveillant, à ses dépens. Il impose une isolation à ses enfants. Cela fait de lui quelqu’un de strict alors que cela va à l’opposé de ses valeurs. C’est une bonne chose de parler de sexe, de mort ou de santé mentale avec ses enfants. C’est beau d’oser aborder tous ces sujets, comme je le disais. Et il ne réalise pas qu’il devrait trouver un compromis. La fin le conduit vers davantage de modestie, il cherche à s’adapter et à devenir un meilleur père. 

S. L. : Le fait de tourner en pleine nature, cela vous plait ? Ce n’est pas la première fois bien entendu… 

V. M. : J’aime ça. La forêt, le camping, la chasse, la pêche. Tout ça m’a été enseigné par mon père lorsque j’étais petit, au Danemark. J’aime toujours ça et c’était appréciable de pouvoir tourner dans cette région. 

LBDM.fr : Vous évoquez vos origines danoises. Quel regard portez-vous sur le cinéma danois et avez-vous envie d’y prendre part ?  

V. M. : C’est une toute petite nation et pourtant il y a une grande histoire de cinéma, de télévision dans ce pays. Il y a toujours eu un haut niveau de technique (réalisateurs, scénaristes, comédiens…) depuis plusieurs décennies. L’histoire du cinéma danois s’est bâtie dès les années 20. Copenhague était un lieu central dans la création cinématographique. La formation des comédiens est remarquable.

Et cela vous plairait de tourner là-bas ?

V. M. : Je n’ai fait qu’un film où j’ai eu l’occasion de parler danois, Jauja. C’était une co-production argentine et danoise. J’ai eu quelques propositions mais cela ne s’est pas concrétisé car j’étais déjà engagé sur certains projets. Mais j’espère que cela se fera !

Avez-vous vu La communauté de Thomas Vinterberg, qui se déroule également dans une communauté hippie, un peu recluse ?

V. M. : Non mais je vais devoir le découvrir. Thomas Vinterberg est un des plus grands réalisateurs européens. J’aimerais beaucoup travailler avec lui. 

Propos recueillis et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir. 
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Croquis réalisé par Viggo Mortensen, avec sa citation préférée du film « Power to the people. »

Entretien réalisé en binôme avec Sophie Laubie (AFP), à Paris, début Octobre 2016.
Remerciements : Viggo Mortensen, Jean-Marc Feytout et Laurette Monconduit.



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