Vanja-d’Alcantara-entretien

VANJA D’ALCANTARA | Entretien

À l’occasion de la sortie de son deuxième long-métrage, Le coeur régulier, nous avons rencontré à l’improviste Vanja D’Alcantara, pour un échange spontané particulièrement intéressant. Confidences d’une cinéaste qui aime s’émanciper des étiquettes… 

Evoquer sans dire, est-ce que ce fut le crédo de votre adaptation du livre d’Olivier Adam ?  

Vanja D’Alcantara : Oui, cela fait partie de mon langage. Je fais énormément confiance et à l’image, à ce qu’elle peut apporter de fort. J’aime les visages. Quand on peut dire les choses sans mots, c’est plus fort. C’est présent dans mes films précédents. Dire sans les mots, raconter les liens et les rencontrer avec économie. Je trouve ça très beau que deux êtres humains puissent devenir intimes sans forcément avoir à parler. C’est aussi ce qui m’attire énormément dans la culture japonaise : on n’a pas peur du silence. Au contraire. Il vaut mieux rester silencieux que de dire quelque chose d’inutile. C’est complètement à l’opposé de notre culture.  

Comment êtes-vous venue vers cette philosophie-là ?    

V. D’A. : Je crois qu’il y a toujours eu cela en moi. J’ai toujours eu cette volonté de laisser de l’espace à ce qui n’est pas dit. En Occident, on est obnubilés par nos pensées, on existe à travers la parole. Cela m’intéressait d’explorer ces cultures où l’on trouve une existence dans quelque chose de plus apaisé. Il y a peut-être là une clé pour se retrouver, vivre un peu mieux. 

Alice a une situation matérielle très confortable. Elle s’en émancipe pour se retrouver…  

V. D. :  C’est probablement universel. Elle vit dans un univers assez aseptisé. Elle a tout. Le mari, les enfants, le confort. Malgré cela, c’est comme si elle vivait à côté d’elle-même, comme si elle avait oublié de se demander si c’était la vie qu’elle souhaitait. On arrive tous à un moment ou un autre à cette réflexion-là. Ce voyage au Japon est comme une métaphore. On peut trouver cette introspection sans quitter sa propre chambre. Cela vaut la peine de se demander si l’on est au bon endroit dans sa vie. C’est d’ailleurs la question que Nathan, son frère, lui pose. Il vit vraiment. Alice est telle une morte-vivante au début du film…

Niels Schneider a un côté cheval fou, solaire et explosif.

En deux-trois scènes clés, le frère (superbement campé par Niels Schneider) créé justement cet électro-choc…  

V. D’A. : Ce fut un véritable enjeu : trouver l’acteur acceptant de jouer un rôle « réduit » mais qui a une influence sur le film entier. C’est un tourbillon dans l’histoire. Le film est basé sur son absence, sur le manque. Dès que Niels est rentré dans la pièce, j’ai su que c’était lui. Il y a eu un coup de foudre mutuel pour ce personnage, qui lui collait à la peau. Niels a un côté cheval fou, solaire. Il apporte cela au personnage : la touche explosive qui détermine la suite du film. 

Et le spectateur ressent cette absence, ce vide. On imagine que c’est volontaire, tout comme cette épure où le spectateur projettera ses propres questionnements existentiels ? 

V. D’A. : C’est le cas. J’ai voulu lui faire confiance. Le but est d’inviter le spectateur à ce voyage, à combler les vides. Si je peux faire partager cette excursion et traduire cet apaisement, alors j’ai réussi. S’il accepte de recevoir cela, j’en suis ravie. 

Le vide, c’est un peu l’élément central du film : le vide symbolique, le vide matériel, le vide existentiel, le vide devant lequel s’avancent les personnages sur les falaises…

V. D’A. : En effet ! Vous êtes le premier à mettre le doigt dessus. C’était vraiment un des thèmes qui devaient être omniprésents dans l’histoire. Nathan flirte avec le vide, il a rempli le sien. Il reste borderline, bien sûr. Alice, elle, se retrouve face au vide de sa vie, et à celui qu’a causé la disparition de son frère. C’est un peu ce que l’on ressent lors d’un deuil. Elle s’engouffre dans ce vide et y trouve une source de rebondissement, de renaissance. 

Je ne rentre dans aucune case. Je le revendique, mais c’est vrai que l’on a besoin de vous coller des étiquettes.

Le coeur régulier a ce mérite de ne pas être trop didactique…   

V. D’A. : Je reste convaincue que les gens ont besoin de ça. Mon film n’a rien révolutionnaire. Mais comme le dit Tracy Chapman, « Talking about a revolution, with a whisper » (Parler d’une révolution, avec un murmure – ndr). Pour moi, le parcours d’Alice est une révolution intérieure. Même si j’ai conscience que ce n’est pas à la mode… 

Avez-vous trouvé des influences dans le cinéma asiatique pour réaliser votre film, qui semble se détacher de cette identité de cinéma européen… 

V. D’A. : Nous avons montré le film à des distributeurs japonais, qui avaient la crainte du cliché du réalisateur occidental qui vient tourner chez eux… Ils ont été soulagés de voir que mon film correspondait à quelque chose qui leur ressemblait. C’est d’ailleurs assez problématique pour moi. Je suis belge, j’ai tourné mon premier film au Kazakhstan, j’ai fait celui-ci au Japon… Je n’entre dans aucune case. Je le revendique, mais c’est vrai que l’on a besoin de vous coller des étiquettes…    

Vous avez craint que votre film ne soit difficile à financer ou à vendre ?  

I. C. : Un peu. Le film a mis beaucoup de temps à trouver son financement. Cela m’a permis de rencontrer Isabelle (Carré – ndr), de faire mûrir le film et son personnage. Cela a mis deux ans à se concrétiser et ce temps nous a permis de nous rapprocher et de créer ce lien de confiance. Nous avons pu échanger, en prenant le temps, en se donnant mutuellement de l’espace. Ce fut un mal pour un bien. 

> > > Lire aussi : notre entretien avec Isabelle Carré.
Propos recueillis et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir
Remerciements : Vanja d’Alcantara, Julie Tardit, Matilde Incerti & Jérémie Charrier



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