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UNIVERSAL MONSTERS | Partie 2 : Assagir l’horreur

Après l’expressionnisme allemand : assagir l’horreur

Attardons-nous à présent sur le contenu de ces productions. Si nombre d’entre elles n’ont pas vocation à rester dans les mémoires, les plus connues méritent cependant de figurer dans l’histoire du film d’horreur, dans la mesure où elles établissent un nouveau canon du genre.

Il faut ici resituer le projet de Carl Laemmle Jr dans l’histoire du genre. Ce dernier reprend les commandes du projet, en pleine Grande Dépression, une dizaine d’années après les chefs-d’œuvre du cinéma expressionniste allemand. Les raisons du succès ? Proposer à une population américaine morose des films de divertissement un brin inquiétants qui s’inspirent, en même temps qu’ils les assagissent, des films expressionnistes.

L’esthétique de ces derniers marque durablement les productions Universal. Aussi bien dans les personnages (Dracula reprend Nosferatu, Frankenstein s’inspire du Golem), les décors (l’escalier tortueux de la tour de Frankenstein fait écho aux maisons anguleuses du Cabinet du Dr Caligari) que dans le jeu d’acteur (le jeu outrancier et anti-réaliste de Béla Lugosi s’apparente aux gesticulations de pantin de Max Schreck dans Nosferatu, importantes dans l’esthétique du cinéma muet). De ce point de vue, le Universal Monsters rend hommage à cette avant-garde, dont il reconnaît la richesse plastique.

Mais la comparaison s’arrête là. Car le grand patron Jr ne s’aventure pas dans la vision subversive du pouvoir qu’opère l’expressionnisme. Au contraire de ces films, qui brouillent les frontières entre norme et marge, entre réalité et fantastique, donnant l’image d’une société gangrénée par le Mal, Jr assagit l’horreur, et la dépolitise complètement. Venues de l’extérieur (Dracula et son accent d’Europe de l’Est de Transylvanie, la Momie de l’Égypte antique), les créatures n’exercent plus de trouble fascination sur le public, et ne perturbent nullement l’ordre social bourgeois.

C’est précisément cette crainte de la fascination, pour ne pas dire de la contamination, qu’on retrouve au centre de la plupart des productions. La Momie en est le plus emblématique. Revenu à la vie en pleine Égypte britannique, Imhotep cherche à contrôler les populations indigènes par son regard hypnotique, afin de détrôner symboliquement les colons. On peut facilement faire une lecture colonialiste du film, et voir dans la momie la menace d’une prise de conscience indigène, sous la direction d’un chef spirituel, qui aboutirait à l’émancipation des colonies. Fort heureusement, La Momie, comme les autres films, se termine sur une fin heureuse (en général bâclée, comme si l’œuvre avait peur de sa propre créature) qui voit le monstre éradiqué.  

Aussi le Universal Monsters réaffirme des frontières bien nettes entre le Bien et le Mal, la norme et les marges, le freak et l’humain. Et ceci passe par ce qu’on pourrait appeler une poéthique de la monstration. Il s’agit en effet de montrer le monstre, de le désigner en tant que tel de manière à lever toute ambiguïté sur sa nature, et donc à légitimer son exclusion. On est loin d’un Caligari ou du Faust de Murnau, où le Mal se trouvait dans chaque être humain, et se révélait donc insaisissable. Toutefois, ce manichéisme tend à s’estomper au fur et à mesure des franchises. Dès La Fiancée de Frankenstein, la créature se dote d’un sens moral, et tente d’apprendre auprès d’un vieil ermite aveugle les rudiments de la vie en société.

Cette poéthique de la monstration, qui exposait en pleine lumière les créatures, trouve une nouvelle actualité avec le Dark Universe. La Momie de 1932 reposait sur un usage du maquillage qui faisait ressortir les yeux brillants de malice de Karloff, La Momie de 2017 sur la profusion d’effets spéciaux numériques. Dans les deux cas, on ne cherche pas à dissimuler – même si Karloff/Imhotep emprunte les atours d’un notable égyptien, Ardath Bey, son regard étrange trahit sa véritable nature. Le reproche que l’on fait aux effets numériques – à savoir leur besoin de tout révéler au lieu de cacher les menaces – tient sans doute dans la filiation du Universal Monsters. Montrer, pour ne pas se mêler ; désigner, pour mieux séparer.

 

> > > Lire aussi : lla première partie de notre dossier Universal Monsters




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