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SIGRID JOHNSON & SANNA LENKEN | Interview

Quelques jours avant la sortie de Comedy Queen, lumineuse et attachante comédie suédoise sur le deuil, nous avons rencontré sa réalisatrice Sanna Lenken (My Skinny Sister) et son épatante jeune comédienne principale, Sigrid Johnson.

Sanna, qu’est-ce qui vous a séduite dans le roman La reine de la comédie et comment s’est passé le travail d’adaptation ? 

Sanna Lenken : C’est une productrice qui m’a proposé de l’adapter, quelqu’un que je respecte énormément et qui a travaillé notamment avec Lukas Moodysson (pour Fucking Amal). Beaucoup d’amis me parlaient de cette auteure et me suggéraient d’adapter ses livres. C’était presque un signe. Bien sûr, je n’aurais pas dit « oui » si je n’avais pas aimé le livre. J’ai ressenti tout de suite que c’était dans le ton de ce que j’aimais faire. Cela semblait naturel.

L’auteure était partante pour que l’on adapte son ouvrage. Elle était consciente qu’il faudrait changer certaines choses du livre car il se déroule majoritairement dans la tête de Sasha (le personnage principal – ndlr). Si l’on avait fait une adaptation très fidèle, ça aurait été trop léger pour en faire un film. Il a donc fallu développer l’histoire, on a ajouté un personnage et insufflé davantage d’humour et trouver un niveau de narration plus proche de l’adolescence.

Sigrid, qu’est-ce qui vous a plu chez Sasha et dans l’histoire de Comedy Queen quand vous avez lu le scénario ? Avez-vous connecté immédiatement avec le personnage ?

Sigrid Johnson : Cela m’a plu de devoir dépeindre une large palette d’émotions, car Sasha en ressent beaucoup. J’ai beaucoup aimé ce mélange de noirceur et de deuil d’un côté et d’humour de l’autre. Je crois que Sasha est comme moi, un peu une « tête-de-mule ». En revanche, je n’avais pas forcément des choses personnelles et intimes auxquelles me référer car je n’ai absolument pas son vécu.

Etiez-vous nerveuse avant certaines séquences ?

Sigrid : Je l’étais essentiellement autour de la scène de « stand-up » car je n’ai pas d’expérience de la scène et encore moins du « stand-up ». Je voulais que ce soit crédible, que l’on sente que c’est sa première fois mais qu’elle a du potentiel. Je devais bien connaître le texte par coeur pour tourner la séquence d’une traite. Il fallait mettre en place les bons mécanismes. Les scènes fortes en émotions représentaient un gros challenge pour moi.

Sanna, vous aviez déjà eu l’occasion de collaborer avec des jeunes comédiennes…

Sanna : Parfois, on pense que parce que c’est un enfant, c’est un amateur. Mais même les adultes peuvent manquer d’expérience. Pour ma part, je n’ai jamais considéré Sigrid comme une enfant mais comme une comédienne. Elle était bien consciente qu’elle jouait un rôle. Que tout cela était du jeu. Nous cherchions ensemble à atteindre des émotions crédibles et authentiques. Nous avons casté des comédiennes qui étaient actrices et nous ne souhaitions pas trouver une enfant déjà écorchée par la vie, avec un passif lourd. Je ne crois pas que le cinéma doive devenir une thérapie. C’est déjà difficile de tourner un film. Quand j’ai rencontré Sigrid pour les essais, j’ai immédiatement vu qu’elle était une actrice. Elle s’investissait et se livrait totalement, mais elle riait dès que la scène était terminée.

Sanna Lenken et Sigrid Johnson. © Le Bleu du Miroir

Ressentez-vous un attrait particulier pour les récits sur les troubles de l’adolescence et le passage de l’enfance à l’adolescence ?

Sanna : Récemment, j’ai également tourné une série en Suède qui suivait des personnages adultes, Thin blue line. Je crois que ce qui me plait surtout, c’est d’explorer le pan émotionnel de mes personnages. J’aime essayer de comprendre ce que c’est d’être un être humain, et à quel point cela peut être difficile. En revanche, j’ai besoin qu’il y ait une certaine dose d’espoir. J’ai besoin pour moi qu’il y ait de la lumière. Dans mes deux films, j’ai essayé de décrire ce que c’est que devenir une jeune femme. Ce sont des protagonistes forts, des jeunes filles têtues et combattives. J’avais également à cœur que mes films ne soient pas trop « girly » pour que tout le monde puisse s’identifier.

Trouver le bon équilibre entre la noirceur du sujet et l’humour a du être un sacré challenge…

Sanna : Le premier, je l’avais écrit moi-même donc c’est véritablement mon genre d’humour. Quand j’ai lu le livre, je l’ai beaucoup aimé mais j’ai senti que ce n’était pas exactement mon ton, qu’il faudrait que j’injecte quelque chose qui me ressemble. Toujours dans cette quête d’authenticité, afin de ne pas donner un sentiment de superficialité. Il n’y a pas tellement de films qui traitent d’un tel sujet avec un penchant humoristique. J’espère avoir réussi à trouver ce mélange entre un chagrin profond et une véritable chaleur humaine.

Je ne sais pas si la question vous paraîtra pertinente ou non, mais est-ce que c’était différent pour vous d’être dirigée par une femme ?

Sigrid : Sanna travaille d’une façon que je n’avais jamais expérimentée jusque là. Elle souhaitait que les acteurs se connaissent avant le tournage, qu’ils se sentent à l’aise avant d’aller sur le set. Elle travaille différemment des réalisateurs que j’ai connu. Elle a sa façon de diriger les comédiens. Je pouvais réellement me confier à elle, parler des scènes qu’on allait tourner. Elle était à l’écoute de mes questions, de mes demandes. Elle restait proche de moi lors des scènes émouvantes, elle me parlait. J’avais le sentiment de ne pas être seule lorsque je laissais sortir les émotions.

Le film va sortir en France dans quelques jours. Allez-vous le présenter dans d’autres pays d’Europe ? Sortira-t-il en salle dans ceux-là ?

Sanna : Il devrait sortir dans quelques pays d’Europe en effet. Une vingtaine, je crois.

Même en France, certains films ne nous parviennent désormais que par les plateformes ou directement en vidéo. 

Sanna : Parfois, dans certains pays, ils sont directement diffusés à la télévision. Je ne le savais pas. Par chance, Comedy queen sera projeté en salle notamment aux Pays-Bas. J’espérais que les spectateurs le découvriront dans une salle. Je comprends que le film soit diffusé à la télévision ensuite, mais rien ne vaut la découverte sur grand écran.

C’est triste, car cela devient de plus en plus difficile de faire du cinéma d’auteur, d’obtenir les financements. Je n’aimerais pas que l’on découvre uniquement mes films à la télévision.

Toute la question de la chronologie des médias qui suscite un débat très animé actuellement en France, où les plateformes font pression pour assouplir la fenêtre de sortie au cinéma pour accélérer la disponibilité des films sur leurs plateformes. 

Sanna : Je dois vous dire qu’en Suède, il faut se battre également. J’ai été assez libre lorsque j’ai tourné ma série. C’était très agréable de tourner pour la télévision. Personne n’a interféré dans le processus. Dès que je dois faire un film que j’écris moi-même, c’est beaucoup plus difficile. Tout le monde me demande si les acteurs sont connus du grand public, me rétorque que ça n’intéressera pas forcément les gens… C’est triste, car cela devient de plus en plus difficile de faire du cinéma d’auteur, d’obtenir les financements. Je n’aimerais pas que l’on découvre uniquement mes films à la télévision. Elle ne doit pas devenir le seul endroit où l’on parle de sujets qui touchent les gens dans leur intimité. Mais je sais que le cinéma n’est pas toujours abordable en Suède…

Sigrid : Avec mes amis, on n’a pas l’occasion d’y aller souvent car cela voudrait dire que l’on dépense tout notre argent de poche en une seule sortie. Pour Comedy queen, j’ai presque du les forcer à venir le voir au cinéma (rires). Plus sérieusement, avec mes amis nous sommes plutôt de milieux modestes donc la question du prix de la place joue forcément.

Par chance, en France, il y a un tarif de 4 euros pour les jeunes de moins de 14 ans… 

Sanna : J’aimerais beaucoup qu’on le fasse en Suède. Et pourquoi pas jusqu’à 18 ans même ? Tant qu’on ne travaille pas, on n’a pas de salaire, mais ça ne devrait pas nous empêcher de voir des films !

Sigrid : Pour nous, c’est presque un événement d’aller au cinéma. On doit l’anticiper sur notre budget du mois, gérer notre argent de poche ! (rires)

Comedy queen

Vous avez présenté Comedy queen en avant-première l’occasion de Mon Premier Festival, qui s’adresse essentiellement au jeune public, mais qui propose un tarif unique de 4 euros pour tous. Quels étaient les films que vous regardiez en boucle enfant ?

Sigrid : J’étais fan de Shrek ! Puis, j’ai regardé plusieurs fois The Hulk avec mon père. Donc je crois que l’on peut dire que j’aimais le vert ! Je regardais souvent les Toy Story, qui restent parmi mes films préférés.

Sanna : Quand j’avais huit ou neuf ans, je crois que je ne regardais pas tant de films, pour être honnête. Je me souviens toutefois qu’on regardait Fanny et Alexandre de Bergman régulièrement à la période de Noël quand il était diffusé. C’était ma première expérience de cinéma. J’étais terrorisée par le beau-père dans ce film, qui était très malveillant avec les enfants. Je crois que c’est à cette époque que j’ai réalisé ce que c’était faire du cinéma, diriger des acteurs – et notamment des jeunes acteurs qui sont excellents dans ce film. Le film que j’ai regardé le plus souvent quand j’étais adolescente, c’est un film français, pas forcément très connu il me semble : Mina Tannenbaum de Martine Dugowson. Elle n’a réalisé que deux films, c’est triste. Je me suis demandée ce qu’elle était devenue. Cela parle de deux jeunes filles dont on suit l’amitié de leurs premières années jusqu’à la trentaine. J’ai du le voir une vingtaine de fois, je l’ai même racheté en DVD pour le revoir adulte.

Est-ce l’un de ces films qui vous a donné envie de faire du cinéma ? 

Sigrid : J’ai commencé à être actrice à l’âge de quatre ans. J’ai trouvé ça marrant, donc j’ai voulu continuer à être actrice et cela ne m’a pas quitté depuis. Je ne savais pas si je voulais en faire mon métier. Car je rêvais aussi d’être assise derrière une caisse de supermarché (rires). J’ai été dans le monde du cinéma très jeune.

Sanna : Je pense à un film en particulier mais il est essentiellement connu en Suède. Le Garde du corps (The Guardian Angel) de Suzanne Osten. À l’époque, j’avais des problèmes de vue et je refusais de porter mes lunettes, je regardais l’écran à quelques centimètres !

Vous étiez presque dans le film, littéralement. 

Sanna : Voilà, exactement ! J’étais peut-être trop jeune pour regarder ce film amis il m’a tellement marqué que j’ai écrit dans mon journal intime « je veux devenir une actrice !« . Visiblement, j’ai changé d’avis depuis, puisque j’ai préféré être derrière la caméra.

Est-ce que vous aviez des films en tête avant de faire Comedy queen

Sanna : Comme je le disais, il n’y a pas tant de films que ça sur l’adolescence qui panachent autant la tragédie et l’humour. Ce n’est pas forcément une influence mais j’ai beaucoup aimé Été 93 de Carla Simón, que j’ai trouvé très beau. J’ai aimé essayer de retrouver l’intimité, la véracité des moments passés avec ses parents, et que j’ai essayé de reproduire dans mon film.

Sigrid, vous crevez l’écran dans le film, on espère vous revoir à l’écran. Avez-vous des projets futurs ? 

Sigrid : J’ai quelques propositions, alors je croise les doigts car j’ai envie de continuer à être actrice.


Propos recueillis et traduits par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir

Remerciements : Les Films du Préau, Vanessa F. et Laurence G.



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