featured_drive-my-car

CANNES 2021 | Une sélection prometteuse

Parmi les réalisateurs et réalisatrices présents dans cette édition tant attendue du festival de Cannes on remarque un partage entre nouveaux venus, souvent déjà aperçus dans d’autres sélections et événements internationaux, et quelques très grandes attentes du fait du hiatus de deux ans provoqué par la pandémie mondiale. Entre découvertes, confirmations, et excitation d’un retour en grâce, cette deuxième partie souligne toute l’impatience qui est la nôtre d’assister à cette compétition qui s’annonce très prometteuse.

NOUVEAUX NOMS ET NOUVELLES ATTENTES

On constate d’emblée l’arrivée de nouveaux regards, même si on retrouve des cinéastes déjà confirmés voire chevronnés. C’est le cas de la réalisatrice hongroise Ildiko Enyedi, qui avait brillé avec son magnifique premier film Mon XXème siècle, sorti en 1989 sur les écrans, unanimement célébré depuis trente ans. Paradoxalement, un seul autre film de la réalisatrice a pu être découvert en France depuis, Corps et âmes, en 2017, et à 65 ans, ce sera l’occasion de la redécouvrir avec un nouveau projet ambitieux. Ce nouveau film s’appelle L’histoire de ma femme, et il se trouve doté d’un casting international d’où émergent l’omniprésente Léa Seydoux, Louis Garrel et Ulrich Matthes, acteur allemand aperçu dans Une vie cachée de Terrence Malick. Gijs Naber, acteur néerlandais tient ici le premier rôle masculin, celui d’un capitaine de navire qui raconte sa rencontre avec la femme de sa vie.

Bergman's island
Si Mia Hansen-Love est loin d’être une débutante, Bergman island étant son septième long-métrage, 2021 est sa première apparition en compétition à Cannes. Ses films ont toujours été de vastes mosaïques impliquant la notion de voyage ou de déplacement, et l’on remarque que régulièrement les langues et les acteurs et actrices sont de tous horizons. On ne peut donc pas vraiment dire que ce film marque un tournant plus international, un film comme Maya laissant déjà une part considérable à d’autres langues que le français, et à d’autres visages que ceux de notre cinéma national. En revanche, le film semble choisir un chemin plus onirique, interrogeant la frontière entre fictions et réalité, avec comme figure patronale celle d’un des plus grands cinéastes qui soit, Ingmar Bergman. C’est sur son île de Fårö qu’on retrouve une distribution de grande qualité, menée par Tim Roth, Mia Wasikowska, Anders Danielsen Lie et Vicky Krieps. Cette opportunité est sans doute celle pour la réalisatrice d’Eden d’enfin avoir une reconnaissance internationale plus grande et à la hauteur de son talent. 

Autre talent prometteur qui accède à la visibilité suprême, Juho Kuosmanen, qui avait beaucoup impressionné en 2016 la sélection officielle Un certain regard avec son Olli Makki. Cette histoire de boxeur qui découvre l’amour sur une très belle photographie en noir et blanc, n’avait pas laissé insensible et portait le regard sur une Finlande qui reste trop tributaire du regard omniprésent d’Aki Kaurismaki. Hytti Nro 6, ou Compartiment n°6, semble un film fort intriguant autour du déplacement de ce train qui emmène ses héroïnes à Mourmansk près d’un grand parc naturel russe. Adaptation d’un roman de Rosa Liksom, il est décrit comme à la fois un cauchemar, où percent beaucoup de douleurs, mais aussi comme l’apparition de grands moments de joie. Le traitement de l’image très réussi de son premier film fait espérer de nouvelles merveilles sublimées par le voyage en train propice au surgissement de paysages et d’intrigues singulières.

Compartiment 6
Nadav Lapid et Nabil Ayouch sont deux talents de grande valeur qui ont respectivement brillé dans de nombreux festivals internationaux depuis leurs premiers films. Le réalisateur israélien arrive en compétition après deux films très forts que sont l’Institutrice (2014), et Synonymes (2019), qui ont en commun une certaine radicalité dans les choix de mise en scène et ce qu’on montre devant la caméra. Le genou d’Ahed semble une combat contre la mort et son corollaire le deuil, mais aussi une ode pour la liberté. Lapid avait exprimé avec force les contradictions qui animent son rapport à son pays : son personnage dans Synonymes refusait de parler en hébreu, épousant le français en protestation à ce qu’il avait vécu comme soldat israélien. Dans un contexte de plus en plus brûlant en Palestine, ce nouvel essai sera particulièrement intéressant à suivre.

Le marocain Nabil Ayouch a quant à lui déjà beaucoup remué le festival de Cannes par le passé avec son très beau Much Loved en 2015, passé par la Quinzaine des réalisateurs. Cette histoire montrait des prostituées de Marrakech au delà des clichés et de l’imagerie facile qui entoure ce type d’histoire. Avec Haut et fort, on se trouve à Casablanca, et il est toujours question du rapport d’une jeune population avec le poids des traditions dans une société encore très verrouillée dans son acceptation de la différence. C’est par le biais de la culture hip-hop que le cinéaste veut regarder cette jeunesse, un vernis international qui passe aussi par le Maroc sous un autre aspect tout aussi passionnant.

Haut et fort
Dernier auteur à découvrir la compétition du festival de Cannes, Joachim Lafosse n’en est pas moins un client régulier des différentes sélections de cet événement. Que ce soit avec A perdre la raison, en 2016, où Emilie Dequenne a reçu le prix de la meilleur actrice à Un certain regard, ou L’économie du couple très remarqué à la Quinzaine en 2016, il y occupe déjà une place de choix. Les intranquilles réunit les acteurs Damien Bonnard et Leïla Bekhti autour de la question de la bipolarité dans un couple qui vient d’avoir un enfant. On retrouve les sujets forts de l’oeuvre du réalisateur belge qui adore questionner ces moments où les rouages du couple et de la famille se retrouvent grippés par un ou plusieurs aléas, et tout ce que cela sous-entend dans la vie de ces personnes. Ce type de films reposant énormément sur la direction et le jeu des acteurs, on peut s’attendre à des scènes d’un grand niveau d’intensité entre deux comédiens talentueux.

DES RETOURS ET DES CONFIRMATIONS TRÈS ATTENDUES

Après Asako 1&2 en 2018, et aussi après la présentation à Berlin cette année d’un film à sketches très réussi, Wheel of fortune and fantasy, il est peu dire que Ryusuke Hamaguchi est un candidat à la Palme d’or et l’une de nos plus grosses attentes de cette édition. A 42 ans, et seulement une poignée de films, le japonais a réussi à conquérir le cœur et l’âme des cinéphiles du monde avec un cinéma généreux et très accès sur le dialogue qui fait la part belle à ses acteurs et actrices. Drive my car est le film le plus long de cette compétition, presque trois heures, et il semble une mise en abîme d’un auteur qui arrive à se remettre en question par la rencontre d’une chauffeur de maître avec qui il arrive à se confier dans un moment de crise. Seul représentant du cinéma d’extrême orient avec Apichatpong Weerasethakul, Hamaguchi est un des représentants les plus ambitieux de sa génération, tournant vite ses projets, avec de plus en plus d’affirmation et de génie. 

Leto avait été une révélation pour beaucoup de spectateurs en 2018 et avait été un temps fort de la compétition cannoise de cette année là. Kirill Serebrennikov avait marqué les esprits durablement, avec une circonstance exceptionnelle : son absence. Cet auteur russe de 51 ans est en effet assigné à résidence par le régime dictatorial de Vladimir Poutine et, à ce jour, on ne sait pas s’il pourra venir présenter son nouveau film, Petrov’s flu (Les Petrov, la grippe, etc.), en juillet prochain sur la Croisette. Serebrennikov s’inscrit dans la lignée des grands dissidents soviétiques, puis russes, qui par l’entremise de leur art arrivent à exprimer une révolte juste et nécessaire qui dit beaucoup de leur quotidien. Dans Leto, le héros s’appelait Mike, un rocker lucide sur les limites de sa célébrité imposée par le carcan soviétique. Dans Petrov, c’est un dessinateur de bande-dessinée qui tient le premier rôle. Nul doute que par ce biais c’est bien de liberté dont il sera question, d’un art à un autre, utilisant le passé comme un moyen d’interroger le présent.


Mahamat-Saleh Haroun est un réalisateur tchadien de 60 ans, et aussi un habitué de la compétition, qu’il a connu notamment en 2010 pour Un homme qui crie (prix du Jury), et en 2013 pour Grigris. Si la France est sa terre d’adoption depuis de nombreuses décennies, il est l’un des rares représentants de cette Afrique noire qui voit si peu de ses techniciens sélectionnés dans les grands festivals, et si peu de ses films connus du public. Notons le fabuleux travail de nos camarades de Revus et Corrigés sur ce cinéma injustement mis sous l’éteignoir, avec un magnifique et important numéro sur le sujet. Lingui est le nouveau film de Mahamat-Saleh Haroun, et le sous-titre du film est éloquent : Les liens sacrés. L’auteur parle de la difficulté d’une grossesse non désirée par une adolescente dont les choix sont verrouillés par la religion et la tradition. A la lecture du synopsis du film, on pense beaucoup au récent livre de Djaïli Amadou Amal, Les impatientes, qui traitait de la condition féminine et de l’absence presque totale de liberté pour les femmes, en raison d’un système patriarcal omnipotent sous tendu par la religion. Le combat d’une mère et de sa fille enceinte promet d’être un grand moment d’émotions et le témoin de la diversité du panorama cinématographique pour ce premier festival de cinéma post-crise sanitaire.

DES CINEASTES INCONTOURNABLES HABITUÉS DU FESTIVAL

Peu d’artistes ont montré autant de fidélité à un événement comme a pu le faire Paul Verhoeven avec son Benedetta. Terminé depuis maintenant deux ans, le film avait déjà sa place dans la compétition de 2020 qui n’a jamais vu le jour. Après Elle qui avait beaucoup retenu l’attention en 2016, ce nouveau film où l’on retrouve Virginie Efira, ici dans un premier rôle, on tient ce qu’on peut appeler le deuxième opus de la période française du réalisateur hollandais. L’attente autour du projet est énorme après un si long délai dans sa présentation. Le fait qu’il traite de la peste noire dans l’Europe du XVIIe siècle, après une année marquée par une pandémie mondiale, est un hasard qui ajoute quelque chose à son histoire déjà chargée. La radicalité de Verhoeven, 82 ans, ne semble pas être émoussée et l’intérêt autour de son œuvre n’a peut être jamais été aussi grande.

Les olympiades
S’ouvre la catégorie des anciens vainqueurs de la Palme d’or de retour en compétition. Dans une année où l’on remarque la présence d’une très riche délégation française, il n’est pas étonnant de retrouver celui qui a gagné le prix suprême avec Dheepan en 2015. S’il a commencé sa carrière de réalisateur assez tard après avoir été un grand scénariste pendant les années 1980 et 1990, Jacques Audiard s’est imposé comme l’un des auteurs majeurs des années 2000, recueillant les faveurs du public, et aussi souvent de la presse. On remarque néanmoins un fléchissement depuis quelques films, avec une tendance à refuser tout engagement politique au profit d’un goût pour le cinéma de genre qu’il a investi pleinement (notamment) avec Les frères Sisters. Les Olympiades s’inscrit dans le paysage parisien, station de métro bien connue et ensemble immobilier représentatif du sud de la capitale. Le projet intéresse pour deux raisons : tout d’abord il se veut l’adaptation de trois histoires courtes du dessinateur et auteur Adrian Tomine, grand nom de la bande-dessinée américaine indépendante dans ce qu’elle a de meilleur, aux cotés des géants que sont Chris Ware ou Charles Burns. Ensuite, on note qu’au scénario, Audiard a choisi de collaborer avec Céline Sciamma et Léa Mysius, loin de ses univers peut être un trop virilistes qui lui ont valu de nombreuses critiques.

Tre piani
Vingt ans après La Chambre du fils, c’est également le retour de l’un des plus grands auteurs passés par le festival de Cannes et sa compétition, Nanni Moretti. Tre piani est également un projet qui aurait pu participer à l’édition 2020 si elle avait pu se tenir. Auteur résolument politique et très engagé, Moretti joue et raconte l’histoire d’habitants d’un même immeuble et de la difficulté de vivre ensemble dans cette époque radicalement individualiste. A l’instar de Ken Loach qui avait réussi un film prodigieux en 2016, Moi, Daniel Blake, interrogeant la solidarité entre les générations pour lutter contre un ordre établi qui privilégie la possession et l’économie à l’humain, on peut attendre beaucoup de ce Tre piani d’un Nanni Moretti qui n’a rien perdu de sa force quand il s’agit de prendre position contre les évidences et les normes oppressantes d’une société qui a pourtant soif de solidarité. Cela sera aussi la joie de le retrouver en tant qu’acteur aux cotés de Margherita Buy, Riccardo Scarmarcio et de la grande Alba Rohrwacher.




%d blogueurs aiment cette page :