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SATYAJIT RAY | Coffret 6 films Carlotta

Mondialement reconnu comme l’un des maîtres du cinéma moderne, le réalisateur indien Satyajit Ray a exploré, à travers son œuvre nourrie par la littérature et la musique, la culture de son pays et ses mutations. Ce cinéaste touche-à-tout n’aura cessé d’expérimenter de nouveaux genres tout en restant fidèle à son univers réaliste et intimiste. Produits par R.D. Bansal, les six films qui composent ce beau coffret témoignent de cette incroyable diversité, couvrant aussi bien le drame sentimental, la fantaisie policière que la comédie satirique.

Il permet de mettre en lumière des films moins connus de la longue carrière de Satyajit Ray, auteur de 37 films (courts, longs métrages et documentaires). En effet, le réalisateur bengali a été découvert à l’international grâce à son premier film, La Complainte du sentier, premier volet sorti en 1955 de la trilogie d’Apu, qui a remporté onze distinctions internationales. Quand on cite son nom, c’est souvent pour évoquer Le Salon de musique, son chef-d’œuvre de 1958. Ces deux films sont absents ici, mais peu importe, les six métrages sélectionnés (tournés à la suite les uns des autres à l’exception du dernier) permettent de montrer toute l’étendue du talent de Ray, ainsi que sa grande diversité.

LA GRANDE VILLE (1963)

Modeste employé de banque à Calcutta, Subrata peine à subvenir aux besoins de sa famille. Pour soulager son mari et arrondir les fins de mois, sa femme Arati décide de chercher du travail. Elle devient représentante pour une entreprise qui vend des machines à tricoter. Arati est satisfaite de sa nouvelle vie de femme active, qui lui permet d’élargir son cercle social, mais son mari et ses beaux-parents conservateurs ont du mal à accepter la situation.

Une famille pauvre. Comme cela se fait en Inde, tout le monde vit ensemble. Une femme brave l’interdit familial pour travailler et s’émanciper. Avec La Grande ville, Satyajit Ray livre une belle chronique sociale à hauteur d’hommes et surtout de femme, puisqu’Arati est au centre de la fiction, c’est elle le moteur du récit. Elle veut s’émanciper de son rôle de femme au foyer, mais elle doit lutter contre le poids des conventions sociales. Les aléas de la vie vont lui donner l’occasion de montrer son courage et son sens de la justice. Le talent de Ray consiste à capter l’intériorité des personnages en les filmant au plus près, avec une grande empathie. Sa façon de placer sa caméra, de jouer avec les miroirs, de donner de l’importance au hors champ, tout concourt à nous faire partager intensément les émois de cette héroïne si touchante.

Charulata

CHARULATA (1964)

Calcutta, 1879. Pendant que son mari, Bhupati, passe ses journées à s’occuper de son journal politique, Charulata comble son ennui en se réfugiant dans la lecture. Remarquant la solitude de sa femme, Bhupati décide de faire venir son cousin Amal, jeune artiste bohème, pour la pousser dans ses aspirations littéraires. Au fil de leurs discussions passionnées et de leurs séances d’écriture, Charulata va éprouver des sentiments nouveaux envers ce cousin.

Sur un canevas proche de son film précédent (l’émancipation d’une femme), Ray développe ici une intrigue toute en nuances, parsemée de plans inoubliables. Le réalisateur estimait que c’était le film dont il était le plus satisfait. Une constatation certes personnelle mais que l’on peut corroborer tant le film trouve une sorte de perfection formelle, tout en restant entièrement au service de la narration. Comme souvent, Satyajit Ray occupe un grand nombre de postes : scénario, costumes, montage, musique, réalisation… Et donne naissance à un cinéma total qui allie sens du détail et universalité des sentiments.

En l’occurrence ici, il s’agit de la naissance d’un amour que l’on n’avait pas vu venir et qui nous submerge : celui que ressent Charulata pour le cousin de son mari, avec lequel s’est noué une sorte de joute littéraire. Notre héroïne (l’extraordinairement expressive Madhabi Mukherjee), femme au foyer soumise, parvient à communiquer avec l’extérieur grâce à l’écriture. Avec finesse et en soignant autant l’image (regards caméra troublants) que le son (importance du hors-champ), Charulata s’inscrit d’emblée comme un des plus grands films de son auteur, et lui a d’ailleurs valu un Ours d’argent à Berlin.

Le lâche

LE LÂCHE (1965)

Le scénariste Amitabha Roy est en route pour Hasimara afin d’y écrire son prochain film. Mais en chemin, sa voiture tombe en panne. Au garage où il s’est arrêté, il fait la connaissance d’un riche planteur de thé qui lui propose de l’héberger pour la nuit. Amitabha découvre avec stupeur que la femme de son hôte n’est autre que Karuna, son grand amour de jeunesse qu’il a laissé partir.

Réunissant à nouveau les mêmes acteurs que dans Charulata, Le Lâche convoque encore une fois le thème du triangle amoureux mais dans une toute nouvelle configuration. Il s’agit d’une histoire d’amour contrariée par le poids des conventions qu’Amitabha Roy (Soumitra Chatterjee) ne parvient pas à renverser par lâcheté. Madhabi Mukherjee, dans le rôle de la femme abandonnée, mais qui a depuis refait sa vie avec un homme riche (dont on ne saura jamais vraiment si elle est amoureuse) est à nouveau tout à fait renversante de subtilité. Comme dans les films précédents, Ray sait aller à l’essentiel et utilise la mise en scène pour faire le lien entre le passé et le présent. Conte cruel sur la lâcheté masculine, Le Lâche, malgré sa brièveté (69 mn) – qui l’a d’ailleurs privé d’une véritable reconnaissance internationale – plonge dans les tréfonds de l’âme humaine et touche par sa sensibilité et la puissance du jeu des acteurs. 

Le saint

LE SAINT (1965)

Un riche veuf et sa fille, Bucki, font la connaissance de Birinchi Baba, un escroc se faisant passer pour un saint. Impressionné par ses prétendus pouvoirs, le patriarche lui propose de loger chez lui afin de l’aider à surmonter son deuil. Satya, le prétendant de Buchki, ne voit pas cette cohabitation d’un bon œil car il craint que sa dulcinée ne consacre sa vie à la religion et refuse le mariage. Avec ses amis, il va tout faire pour démasquer le gourou.

Deuxième moyen métrage du coffret, Le Saint a été présenté en diptyque à sa sortie avec Le Lâche en Inde. C’est le film le moins connu du lot. Comédie satirique, il montre la volonté de Ray de changer de registre et de toucher toutes sortes de publics, et pas seulement ceux qui, à l’étranger, aimaient ses chroniques sociales. Le film, par son sujet (la religion, le charlatanisme, l’identité nationale) s’adresse en priorité au public bengali, mais intéressera aussi ceux qui veulent découvrir une autre veine du talent de Ray. Sous la comédie se cache un message critique : le pouvoir de fascination exercé par la religion, et ici sans vergogne par le faux Saint du titre. Moderne par excellence, le réalisateur n’a de cesse, même dans ses films les plus légers, de faire tomber les dogmes, qu’ils soient sociétaux, moraux ou comme ici religieux.

Le héros

LE HÉROS (1966)

Acteur vedette du cinéma bengali, Arindam Mukherjee traverse une mauvaise passe. Sur un coup de tête il décide de se rendre en train à Dehli pour recevoir un prix d’interprétation. Durant le voyage, il va faire la rencontre de personnes marquantes, pourtant très éloignées de son univers, notamment une journaliste à qui il va se confier.

S’il met en scène un acteur à un moment charnière de sa vie, Le Héros n’est pas seulement un film sur le cinéma. C’est aussi un portrait de passagers d’un train, un huis-clos, qui permet de mieux les étudier. Cet acteur, joué par Uttam Kumar, une grande star de l’époque, est montré au début du film comme un héros (comme Indiana Jones, son visage n’est pas dévoilé tout de suite). Petit à petit, alors qu’il est interrogé par une femme journaliste, il se révèle au spectateur mais aussi à lui-même. Par l’intermédiaire de flash-backs et de rêves qui nous montrent des moments clés de sa vie ainsi que ses angoisses, nous rentrons littéralement dans sa tête, et nous assistons à son examen de conscience.

La question centrale du film est la suivante : un acteur est-il un homme comme un autre ? La réponse est avancée bien vite par la journaliste (interprétée par Sharmila Tagore) : « Un héros n’est pas un dieu », lui dit-elle, le laissant interloqué. De toutes les personnes qu’il va croiser, c’est la seule à ne pas être impressionnée par lui. Au fur et à mesure de leurs discussions, elle devient sa confidente, sa psychanalyste. Pour dévoiler au final le cœur du film : un homme face à sa solitude, celle de sa condition de star du cinéma. Un homme comblé mais à qui il manque l’essentiel. Sur un scénario original de Ray, Le Héros est une étude de caractère fine et touchante, et marque, par la maestria qu’il déploie pour tisser les différentes strates narratives, un des plus beaux accomplissements de la carrière du cinéaste.

Le dieu éléphant

LE DIEU ÉLÉPHANT (1979)

Pradosh Mitter, alias détective Felu, est en vacances à Bénarès en compagnie de son cousin et assistant Tapesh et de son ami écrivain Lalmohan Ganguly. Hélas, son repos est de courte durée. Un certain M. Ghosal vient lui demander d’enquêter sur la disparition d’une statuette de Ganesh, le dieu éléphant.

Dans cette enquête autour du vol d’un objet précieux, on retrouve Soumitra Chaterjee, l’acteur de Charulata et du Lâche. Dans le rôle du détective Felu, il va tenter de trouver l’auteur d’un vol dans la ville la plus sacrée de l’hindouisme qu’est Bénarès. Seul film en couleur du coffret, Le Dieu éléphant est un formidable documentaire sur une ville emblématique, mais il donne aussi l’occasion à Ray d’explorer sa veine la plus populaire. En effet, le cinéaste n’a jamais caché, un peu comme Alain Resnais, son admiration pour la bande-dessinée et le polar, ce qui lui permet de filmer ici un Tintin contemporain mêlé à la mythologie indienne. S’il souffre de certaines longueurs, le film dégage néanmoins un charme enfantin tout à fait savoureux.



BILAN

Remercions Carlotta pour ce précieux coffret qui permet de lever le voile sur tout un pan de l’œuvre de ce grand cinéaste qu’est Satyajit Ray. Artiste complet (cinéaste, écrivain, musicien, dessinateur), Ray, disparu en 1992 à l’âge de 70 ans, fait partie des plus grands cinéastes mondiaux. Il a été notamment récompensé par un Oscar pour l’ensemble de sa carrière en 1992, et son œuvre a permis de faire connaître et rayonner dans le monde entier le cinéma bengali. Les films sont présentés dans de belles copies restaurées en 2K, et chacun est présenté par Charles Tesson, auteur d’un livre de référence sur le cinéaste aux éditions des Cahiers du cinéma. Quelques bonus intéressants sont aussi proposés, notamment un entretien croisé entre Ray, Michel Ciment et Claude Sautet. Alors, si vous ne le connaissez pas encore, partez à la découverte de ce cinéaste essentiel, car comme le disait Akira Kurosawa : « Ne jamais avoir vu un film de Satyajit Ray, c’est comme ne jamais avoir vu la lune ou le soleil. »




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