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SARA FORESTIER | Entretien

À quelques jours de la sortie de son premier long-métrage derrière la caméra, M (en salle le 15 novembre), l’actrice devenue réalisatrice Sara Forestier nous a accordé un entretien… 

LBDM : Huit ans pour l’écrire, quatre ans pour le concrétiser. Ce temps de gestation était-il nécessaire pour que votre projet de cinéma murisse ? Initialement, Adèle Exarchopoulos devait tenir le premier rôle, était-ce par désir de ne pas vous éparpiller sur le plateau avec plusieurs casquettes ?

Sara Forestier : Cette gestation était nécessaire. Si cela ne s’est pas fait avec Adèle, c’est surtout parce que le film a pris plus de temps à se faire et je ne pouvais bloquer son planning trop longtemps car elle recevait de nombreuses propositions. J’ai casté des jeunes filles bègues au départ mais rien ne me convenait. Adèle était partante mais avec le temps j’ai du la librérer. Puis j’ai fini par trouver mon bégaiement et cela a été moi. Aujourd’hui, je n’arrive pas à imaginer le film autrement et le destin a imposé sa vérité sur le film.

Il y a une émotion brute à l’écran, avec une sensibilité pure qui se ressent dans votre histoire… 

S. F. : Le film nécessitait une sincère totale et que je donne de moi, avec cette intensité. Ce film m’a pris seize ans de ma vie et j’ai sacrifié les quatre dernières années, à peu tourner. Il m’a pris mon corps, mon coeur et mon âme. J’ai eu peur, j’ai pleuré, j’étais enthousiaste. Je lui ai tout donner à ce film donc pourquoi céder à ce dernier critère de retenue en ne jouant pas dedans ?

Il y a un bel équilibre dans le film où l’émotion est frappante mais sans qu’il tombe dans le larmoyant, avec ce dosage entre la pudeur et l’impudeur pour raconter ces deux cabossés de la vie… 

S. F. : La douleur devait être encore à vif. Je tournais énormément, parfois dix heures sur la même scène. C’était une recherche de spéléologue pour trouver l’émotion juste. Creuser au fond de soi pour trouver la vérité de la scène.

Ce mode de travail rappelle celui de Abdellatif Kechiche, qui vous a certainement guidée ? 

S. F. : Il a déterminé ma vie car il m’a montré comment le cinéma pouvait se faire. Après, je m’inspire de la vraie vie, les gens que je rencontre et que j’ai connus, les sensations que j’ai éprouvées. On ne peut pas toujours mettre de mots dessus et le cinéma permet de refaire ressentir ce que la vie nous fait vivre.

Et cela fonctionne et accompagne le spectateur après son visionnage… Il reste une trace diffuse et non éphémère. 

S. F. : C’est le meilleur compliment que l’on puisse me faire. Dans ce monde de l’immédiateté et de la performance, ces retours-là me touchent car on sous-estime l’intelligence émotionnelle des spectateurs. Et les choses importantes ne résonnent pas immédiatement, on ne les comprend pas tout de suite. Bien après. Cette résonance est l’une des seules manifestations d’une vérité dans l’existence. La longueur d’onde de celle-ci traduit à quel point une émotion vous accompagne.

L’émotion du film est quelque part entre Katell Quillévéré (avec qui vous avez travaillé sur Suzanne) et Charlie Chaplin, que vous citez régulièrement comme une forte inspiration au film. 

S. F. : Ce que j’aime dans Chaplin, c’est que le cinéma c’est de vivre, pas de regarder. On s’amuse avec lui, on pleure avec lui.

Avec « un sourire et, peut-être, une larme… »

S. F. : Exactement.

Vous avez fait une formidable trouvaille avec Redouanne Harjane. Ce fut pourtant compliqué de trouver votre Mo (le personnage masculin) ?

S. F. : Je n’ai pas eu le coup de foudre instantané pour lui. On a beaucoup répété, puis j’ai vu chez lui quelque chose qui m’a plu dans son regard, une noirceur. Il était très différent du rôle dans sa psychologie donc ce fut intéressant d’aller fouiller en s’accrochant à ce que j’avais vu à ce moment-là pour l’y conduire.

Avez-vous le sentiment d’être attendue au tournant avec ce premier film ?

S. F. : Je ne prête pas attention aux postures, ça n’a aucun intérêt. Je préfère me concentrer sur le crumble que je suis en train de manger (elle rit).

Avez-vous envie d’enchaîner avec une seconde réalisation ? Est-ce qu’elle mûrit déjà en vous ? 

S. F. : Oui et ce sera plus rapide. Mon second film s’appellera Alpha et je vais encore piocher dans d’autres éléments personnels. En grandissant, j’ai évolué beaucoup et j’ai réalisé qu’un détail peut faire chavirer votre vie. Parfois, une présence peut tout changer et cela se passe en creux, dans les regards, les silences. Cela vous transporte. On le vit de façon décuplée. C’est presque de la physique quantique !

La présence de Jean-Pierre Léaud, justement très silencieuse et pourtant écrasante, est palpable à l’écran. 

S. F. : Je souhaitais que son fauteuil ressemble à un trône placé au milieu de la pièce. Lorsqu’il est là, il ne laisse pas d’espace aux autres personnages pour exister.

> > > Lire aussi : le questionnaire cinéphile de Sara Forestier.

Paris – 2 Nov. 2017. Propos recueillis et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du miroir.

Remerciements : Sara Forestier, Hassan et Camille



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