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RETROSPECTIVE BO WIDERBERG

Bo Widerberg, cinéaste rebelle : Partie 1

Le Péché suédois – Le Quartier du corbeau – Amour 65 – Elvira Madigan – Adalen 31 – Joe Hill

Un cinéaste passionnant à découvrir ou à redécouvrir grâce à Malavida qui ressort ces 6 films. Des films aussi réussis formellement qu’intéressants historiquement. Et où la lucidité et l’amertume n’empêchent pas une profonde humanité et l’espoir d‘une vie meilleure. Bo Widerberg faisait montre d’une très grande sensibilité et d’une grande sobriété pour aborder des sujets essentiels avec toujours au centre l’humain, dans sa complexité et sa richesse. On peut voir ou revoir ces 6 longs métrages dès le 24 juin. Et on attend avec impatience la partie 2 de cette rétrospective !

Le pêché suédois

Le Péché suédois (1963) 

 Il s’agit du premier film de Bo Widerberg, dans lequel on ressent l’influence de la Nouvelle Vague et dans lequel on découvre déjà des thèmes récurrents comme la monotonie de la vie de famille, vue comme pesante, peu épanouissante et la résignation ou au contraire, le refus de cette dernière pour essayer de s’évader et de réussir sa vie. Bo Widerberg déployait déjà une belle liberté de ton et un humour et une distance omniprésents dans son œuvre. Les tentatives d’approche, de drague sont décrites avec humour. Un esprit doux amer règne sur le film. Les jeunes hommes apparaissent très vite velléitaires, voire fuyant totalement leurs responsabilités. Les parents de l’héroïne semblent ne s’intéresser qu’à la télévision. Mais comme on verra souvent chez ce réalisateur, l’espoir et l’évasion résident dans la musique (formidable scène dans un magasins de disques que le naturel des protagonistes et la direction d’acteurs transforment en pur moment de grâce), dans l’amour altruiste, l’écriture ou l’engagement. 

Le Quartier du corbeau (1963) 

Très vite, en quelques plans on est dans le bain. On est en 1936, on parle de la guerre d’Espagne, on joue au football et on découvre un quartier populaire. Le père du héros est paresseux et porté sur la bouteille. Il a des goûts de luxe, se prend pour un fin gourmet, dilapide l’argent et rejette la faute de son échec et de son alcoolisme sur sa femme. Le fils veut écrire. La mère porte le foyer à bout de bras. La  femme, souvent chez Widerberg, est plus forte que l’homme. Plus forte car elle continue à se battre malgré les désillusions, les défaites et l’ingratitude. Le monologue final de la mère transmet une émotion très intense. Malgré les défauts, les faiblesses des uns et des autres, le regard que porte le cinéaste sur ses personnages porte toujours la marque du respect, de la sensibilité. Il existe toujours des moments de réconciliation, même éphémères, qui passent par de petites joies, de petits moments de partages (une plaisanterie, un repas, un verre).

On trouve aussi beaucoup de pudeur dans ce cinéma, à l’image de cette scène où une ambulance vient chercher une victime (on apprendra ensuite ce qui s’est passé) : la scène est filmée de loin avec les protagonistes en arrière plan. Procédé qu’on retrouvera souvent dans les films de Bo Widerberg. Une façon aussi de remettre l’humain à sa juste place par rapport au monde et à la nature. On retrouvera aussi cette amertume liée à la conviction qu’il faut parfois s’affranchir des liens les plus intimes et les plus forts en apparence pour se réaliser.

Amour 65

Amour 65 (1965)

Dans la filmographie de Bo Widerberg, il s’agit probablement du film le plus influencé par la Nouvelle Vague et le plus autobiographique. On y sent également l’influence de John Cassavetes, avec la participation de Ben Carruthers, un des acteurs de Shadows. Beaucoup de poésie également dans les images de cette réflexion sur le couple, l’amour mais aussi le cinéma, la création. Les personnages n’ont pas peur de transgresser les conventions sociales, la morale. Il s’agit également d’une critique d’un cinéma jugé trop classique ou académique par Bo Widerberg et en l’occurrence de la tournure que prenait à son avis la carrière d’Ingmar Bergman.
Elvira Madigan

Elvira Madigan (1967)

Tirée d’une histoire vraie devenue célèbre en Suède, Elvira Madigan initie le début d’un triptyque historique (Comprenant aussi Adalen 31 et  Joe Hill). Suite de films où l’image est sublimée par la photographie de Jörgen Persson. Ces trois longs-métrages offrent à voir une beauté renversante et joignent à cette réussite plastique, qui n’a rien à envier à celle des Moissons du ciel ou de Barry Lyndon, une poésie, une humanité et un engagement politique lucide et généreux. Visuellement, on croirait voir des tableaux impressionnistes : la scène où les amants sont sur la plage au soleil couchant et où le soleil semble se liquéfier, comme si les couleurs d’un artiste coulaient sur la toile est stupéfiante. Le film fait preuve également de beaucoup de sensibilité et de finesse, en décrivant par petites touches l’évolution d’un amour qui défie les convenances mais qui est condamné d’avance. L’actrice Pia Degermark remporta pour son rôle d’Elvira Madigan le Prix d’Interprétation Féminine au Festival de Cannes 1967.  

Adalen ‘31 (1969)

Grand Prix au Festival de Cannes 1969, Adalen ’31 est un grand film à la fois spirituel et charnel. Dédié aux cinq victimes tuées lors d’une manifestation historique, cette œuvre nous parle de solidarité et d’engagement avec sensibilité et intelligence. Harald, le père du jeune Kjell est partisan de la négociation et du dialogue plutôt que de la violence. Il n’hésite pas à sauver un « jaune » du lynchage, quitte à se mettre à dos ses compagnons. Chez Bo Widerberg, l’humanité et la compassion passent par un individualisme sain et lucide, car le groupe devient vite dangereux ou sectaire même si ses idées sont au départ légitimes. La foule peut devenir inquiétante et il faut s’affranchir de l’idéologie. Pour le jeune Kjell, il faut de l’instruction pour prendre le pouvoir. Mais il s‘agit aussi d’échapper à la fatalité de l’oppression et de la pauvreté. Et à une monotonie mortifère. Avec des allusions à Monet et à Renoir (le peintre mais aussi le cinéaste), Adalen ’31 évoque aussi la découverte de l’amour physique et les luttes de classes qui peuvent séparer ceux qui s’aiment.

Joe Hill

Joe Hill (1971) 

Dédié aux ouvrières des usines textiles de Lawrence (Massachussets), qui scandaient « Nous voulons du pain et des roses aussi » durant une grève de 1912, Joe Hill nous entraine dans une Amérique où règnent misère, violence sociale et exploitation. Les premières scènes qui dépeignent le New York du début du vingtième siècle font l’objet d’une très belle reconstitution historique, mais sans en édulcorer l’extrême pauvreté qu’on pouvait y rencontrer. La scène des bas fonds avec les clochards alcoolisés comporte presque un aspect documentaire. Tout comme les scènes de répression violente qu’on trouve lorsque Joe Hill découvre l’Ouest et ses pratiques très éloignées du Rêve américain et de la Terre promise. Ou les scènes consacrées au travail dans les ateliers ou dans la mine.

Joe Hill porte un regard très critique sur le capitalisme, le patronat, mais également sur la religion, l’Armée du Salut et même sur certains syndicalistes, à l’image des compagnons du héros éponyme qui se demandent si la mort d’un des leurs ne sera pas plus profitable que son acquittement. Un martyre, une vie sacrifiée, pourraient leur rapporter plus qu’une vie sauvée. Le groupe finit par dévoyer même les idées les plus altruistes. Le film remporta le prix du jury au Festival de Cannes 1971. Avec son sens du cadre et de la composition habituels, Bo Widerberg offrait une œuvre à la fois forte humainement et visuellement.

 

 




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