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QUI C’EST LES PLUS FORTS ?

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Vert de rage

Saint-Chamond, dans la Loire, de nos jours. Samantha, qui tutoie la petite trentaine, est au chômage depuis que son usine de poulets a fermé. Peu qualifiée, en galère, elle peine à retrouver un emploi et redoute de perdre la garde de sa petite soeur de 12 ans qu’elle élève depuis la mort de leurs parents. Avec Céline, sa colocataire et meilleure amie (et aussi ancienne collègue de travail), elles imaginent toutes les solutions pour arrondir les fins de mois et s’en sortir – du téléphone rose à l’art floral –jusqu’au jour où un couple inattendu vient sonner à leur porte… 

Terrain minable.

Qui c’est les plus forts ? « Evidemment, c’est les Verts », est-on tenté de répondre à l’énoncé de cette question qui fleure bon la tignasse de Rocheteau, le maillot couleur gazon et le logo Manufrance. Hélas, la référence à l’hymne stéphanois fait simplement office de titre cache-misère à la dernière comédie de Charlotte de Turckheim.

À la lecture du pitch, on imagine une comédie sociale « à l’anglaise » délocalisée (ah, les ravages de la mondialisation !) dans une bourgade française à la grise mine. Présupposé qui tend à se confirmer lorsqu’on entend la réalisatrice répéter combien elle a été influencée par The Full Monty ou Billy Elliot. La bande-annonce achève de nous convaincre de l’approche « feel-good movie » avec ces ex-ouvrières en galère reconverties en pom-pom girls* et qu’on verrait bien, en deux mouvements de bras et trois pas-chassés, écrire leur success-story. Le tout dans une pittoresque ambiance « Allez les Verts !« . On vous prévient : si vous vous attendez à ça, préparez vous à la douche froide une fois en salle.

Bienvenue donc à Saint-Chamond. Ou plutôt, « Saint-Ch’mon » comme le prononcent les acteurs avec zèle, histoire de faire « accent du Forez ». Bref, bienvenue dans cette sous-préfecture de la Loire avec son bar PMU, ses braves gens qui savent s’entraider et ses supporteurs de l’AS Saint-Etienne toujours prêts à mettre une branlée au PSG. La moitié des personnages sont au chômage et ils s’appellent Samantha, Dylan ou Kim quand ils ne se surnomment pas Valou ou Pépin. Si le Loto sportif permettait de miser sur des clichés, le film serait millionnaire (et sans avance sur recettes). On est un brin de mauvaise foi, on le reconnaît. Mais si le film se limitait à ça, il ne serait qu’une médiocre comédie française de plus.

Tract de la « manif pour tous »

Or, Charlotte de Turckheim veut nous parler d’un sujet dans l’air du temps : la GPA. Oui, la GPA comme « gestation pour autrui » ; le recours aux mères porteuses, si vous préférez. On ignore si le fait que ce thème soit absent de la bande-annonce s’explique par une volonté de préserver la surprise ou par le souhait de ne pas braquer le public « manif pour tous » avant qu’il ne paie son ticket, mais, en tous cas, cette question occupe une part importante du film.  Aucun sujet ne doit être tabou au cinéma, mais la GPA, que l’on soit pour, contre ou que l’on s’en fiche, en est un qui est bien trop complexe pour être traité de manière aussi badine et avec autant d’approximations.

Le « couple inattendu » qui vient sonner à la porte de Samantha est un couple gay. Vous noterez qu’en 2015, être un couple d’hommes est encore qualifié d’ « inattendu ». Circonstance atténuante, « des pédés, il n’y en a pas à Saint Ch’mon », explique Dylan, le beauf concon qui a le droit d’être homophobe sans qu’on le remette à sa place parce qu’il est bien sympa de se porter toujours volontaire pour réparer la chaudière de sa voisine (alors qu’en fait, il veut simplement se la taper – la voisine, pas la chaudière). Ce qui est surtout « inattendu », c’est qu’ils ne se comportent pas comme un couple (ni câlin, ni mot ou geste tendre) mais comme deux experts-comptables qui ont bien du mal à boucler le dossier Cogirep. Il faut donc faire un effort d’imagination pour se convaincre que Paul et Gordon s’aiment. Le premier est un avocat français, le second est un avocat britannique, et tous deux vivent à Londres. Et ils font le trajet depuis l’Angleterre, jusqu’à Saint-Chamond, afin de demander à Samantha de bien vouloir porter leur enfant en échange de 200.000 euros.

Tout ce trajet vaut bien la peine : Gordon aime « tout ce qui est français » et a hâte d’avoir un enfant « made in France ». Chaque réplique de Gordon pourrait se retrouver sur un tract de la manif pour tous qui chercherait à montrer que la GPA instrumentalise le corps de la femme au profit de couples capricieux, prêts à choisir leur bébé sur catalogue. Il faut les comprendre Gordon et Paul, ils ont déjà tenté le coup avec une Ukrainienne qui est finalement partie avec l’enfant et l’argent. Alors qu’on peut avoir confiance en la bonne française qui a à tout prix besoin de cet argent pour pouvoir conserver la garde de sa petite soeur Kim, qui est très malade sans qu’on comprenne bien de quoi elle souffre (elle se trimballe en permanence avec un casque anti-bruit et regarde le Télé achat sans le son, drôle de syndrome).

« Tantes » et « faces de pamplemousse »

Le scénario ne dit pas que Gordon et Paul ont largement les moyens de recourir à la GPA dans un pays où la démarche est légale. Les Etats-Unis, par exemple. Ou le Royaume-Uni. Eh oui, le pays de résidence du « couple inattendu » autorise les mères porteuses depuis 1985, à condition de répondre à de strictes conditions, dont l’absence de transaction financière. Autrement dit, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Parce que cela priverait sans doute Qui c’est les plus forts ? de ses meilleurs saillies homophobes. Par exemple, lorsque la générosité du couple homo est comparée à celle « de l’oncle d’Amérique », on ne s’empêchera pas de rigoler en disant qu’il faudrait plutôt parler de « tante ». Bon, remarquez, il y a peu d’asiatiques dans le film mais les dialogues nous infligent quand même des « faces de pamplemousse » au sujet des Coréens (encore un bon mot de ce Dylan très sympa mais très con, mais il répare la chaudière) ou un « maharadjah » teinté de mépris à l’égard d’un grand patron indien.

Après le catastrophique Toute première fois, on a envie de dire aux réalisateurs et scénaristes qui se proclament LGBT-friendly de se remettre en question. S’ils sont pro-égalité des droits, s’ils estiment qu’être homo est aussi naturel qu’être hétéro, que la bisexualité n’est pas une tendance mode et que les femmes trans sont des femmes comme les autres et les hommes trans des hommes comme les autres, qu’ils s’abstiennent alors de verser dans l’humour le plus beauf, réac et méprisable à l’égard de ces personnes. On peut rire de tout à partir du moment où c’est bien fait. Et on peut préférer « rire avec quelqu’un » plutôt que « rire de quelqu’un ». Il y a une nuance.

Le pire reste que l’équipe du film aura sans doute l’impression d’avoir participé à la réalisation d’une oeuvre progressiste, qui parle du monde comme il va et qui fera changer les mentalités. Si c’était ça l’objectif, il est raté. Comme le but avorté à cause des poteaux carrés, ce soir de mai 1976, en finale de la Coupe d’Europe des clubs champions. Saint-Etienne se retrouvait privé de trophée. Avec Qui c’est les plus forts ?, il y a aussi plus d’une raison d’être en colère. D’être vert. De rage.

La fiche

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QUI C’EST LES PLUS FORTS ?
Réalisé par Charlotte de Turckheim
Avec Alice Pol, Audrey Lamy, Grégory Fitoussi…
France – Comédie
Sortie en salle : 3 Juin 2015
Durée : 103 min

* Note du redac-chef : Précisons qu’il n’y a jamais de pom-pom girls à Geoffroy-Guichard – on n’est pas en NBA – et qu’elles ont été copieusement sifflées le jour du tournage. À juste titre. 




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ffred
8 années il y a

J’avais déjà pas envie de le voir mais après ça je vais définitivement m’abstenir…

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