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PROMETHEUS | Carte blanche

Carte blanche est notre rendez-vous pour tous les cinéphiles du web. Régulièrement, Le Bleu du Miroir accueille un invité qui se penche sur un grand classique du cinéma, reconnu ou méconnu. Pour cette vingt-troisième occurence, nous avons invité l’un des talentueux rédacteurs du site Filmdeculte.comRobert Hospyan. Plume en main, à quelques semaines de la sortie de Covenant, il choisit de redorer le blason de son prédécesseur : Prometheus.

Carte blanche à… Robert H.

Qui ne s’est jamais adonné à une prière silencieuse au moment où les lumières s’éteignent dans la salle ne peut connaître l’ascenseur émotionnel que vit un passionné qui s’apprête à découvrir un film qu’il attend plus que tout. Pour tout spectateur, et plus encore pour tout cinéphile, la suite d’un film réussi vient inéluctablement avec son lot d’attentes et de craintes. Par conséquent, la danse que se livrent expectatives et déception est presque tout aussi inévitable. Et pour peu qu’il s’agisse de la résurrection d’une franchise en cryosleep depuis 15 ans – oublions les spin-offs Alien Vs. Predator – marquant qui plus est le retour derrière la caméra de son créateur, le défi est tout simplement impossible à remporter haut la main. Les exemples faisant l’unanimité, comme Mad Max Fury Road, sont minoritaires. La plupart des tentatives rencontrent plus souvent l’opprobre, à plus ou moins juste titre : de Blues Brothers 2000 au quatrième Indiana Jones en passant évidemment par La Menace Fantôme, la déception a toujours été au rendez-vous. Prometheus ne déroge pas à la règle.

Disons-le d’emblée, Prometheus est objectivement imparfait. Aucune défense du film ne peut justifier l’indigence de l’écriture de certaines scènes ou de certains personnages comme ces scientifiques qui se comportent comme les plus abrutis des stéréotypes de slasher. Toutefois, ces clichés bénéficient davantage d’indulgence de la part du public pour des films pourtant infiniment moins ambitieux. D’aucuns acceptent ce genre de facilité dans le moindre film d’horreur tandis que le ressenti des fans colore vraisemblablement tout le film de Ridley Scott de leur déception, balayant injustement toutes ses qualités. Et ses qualités sont nombreuses. S’il a les défauts d’un film d’horreur, Prometheus présente également la richesse thématique d’un film de science-fiction. Un constat révélateur de l’étrange paradoxe de ce chapitre de la saga Alien, meilleur dès lors qu’il ne cherche pas à se rattacher à l’épisode originel : une préquelle ratée mais un film de SF intéressant.

Si l’on daigne donner une seconde chance au film, il est plus aisé, étant donné que l’on sait désormais à quoi s’attendre, de se focaliser sur ce qui importe. Quand on sait que tout cet éparpillement des contaminations au milieu du film n’est là que pour proposer des fausses pistes, quand on connaît les véritables motivations de chacun, notamment celles de David et Vickers, la progression de l’ensemble paraît tout de suite plus logique. Le récit, au service d’un propos dense à l’arborescence thématique cohérente, sur la remise en question de Dieu et de la religion, sur la création et sur la paternité, suit en particulier deux arcs : celui de Shaw, l’âme croyante, qui veut rencontrer son Créateur (les Ingénieurs), et celui de David, le sans-âme, qui veut tuer son Créateur (les humains).

Dans Prometheus, chacun est destiné à être déçu par son Créateur. Holloway se demande un christique « Pourquoi nous ont-ils abandonné? », David apprend qu’on l’a crée « parce qu’on le pouvait », Vickers est mise à l’écart par son père parce qu’il considère David comme « le fils qu’il n’a jamais eu » et Weyland se verra refuser sa requête d’une vie plus longue lorsque le dernier Ingénieur à avoir survécu, son créateur, le tuera. Agonisant, il dit « Il n’y a rien » et comme l’avait précisé David au début du film, citant Lawrence d’Arabie, « il n’y a rien dans le désert et nul homme n’a besoin de rien ». Chez Scott, l’exploration de mondes débouche invariablement sur une désillusion : Colomb à la fin de 1492, le sens des croisades dans Kingdom of Heaven… Et donc ici Shaw ne trouve pas ses réponses, son créateur ne l’ayant pas créée dans un but spécifique, comme pour David, qui a beau se créer une identité, se teindre les cheveux et prendre des modèles, au final, « il n’y a rien ». Il n’y a pas de sens caché à la vie, à leur existence, et il n’y a vraisemblablement rien après la mort.

Les Ingénieurs ne sont pas les seuls Créateurs, les humains le sont aussi. Dans Prometheus, l’Homme est devenu Dieu. Dans la Bible, Dieu punit les hommes pour avoir construit la Tour de Babel. Dans la mythologie grecque, Prométhée, qui a participé à la création de l’Homme, est puni pour avoir volé le feu et l’avoir donné aux hommes, condamné à se faire dévorer le foie jour après jour. L’image du créateur avec son abdomen ouvert revient par deux fois dans le film : lorsque l’Ingénieur « donne naissance » au proto-Alien final mais surtout lorsque Shaw a recours à une césarienne pour se débarrasser du monstre qui grandit en elle. Ce faisant, Scott pervertit également l’image de la Vierge Marie. Après tout, Shaw tombe enceinte mais pas de son compagnon, inséminée malgré elle et de façon improbable, David se chargeant de l’Annonce faite à Shaw, qui « accouche » donc le 25 décembre. Par ailleurs, ce n’est pas la seule déviation qu’opère Scott sur le texte biblique : si le design de l’Ingénieur renvoie au David de Michel-Ange, il fait figure de Goliath face à David l’androïde, et dans Prometheus, c’est David et non Goliath qui se fait décapiter.

La scène de la césarienne sonne d’ailleurs comme un plaidoyer pro-avortement, dimension d’autant plus intéressante que c’est Shaw, qui porte la croix, qui souhaite avorter à tout prix. Un avortement qui n’est pas la seule tentative de tuer sa progéniture figurant dans le film. En effet, Scott semble développer une thèse à travers tout le film, comme soulignée par John Kenneth Muir : tous les parents, y compris Dieu, sont menacés par l’existence de leurs enfants et les enfants sont destinés à supplanter ceux qui leur ont donné la vie. Chacun des parents dans le film rejette son enfant et chaque enfant tue son géniteur. Weyland rejette Vickers, sa fille biologique, en faveur de David, le fils qu’il a créé, avant de rejeter ce dernier parce qu’il n’a « pas d’âme ». Vickers veut tuer son père parce qu’elle n’est pas l’enfant préféré, tout comme Commode dans Gladiator commet un parricide par jalousie envers Maximus. Holloway rejette David, la création de son espèce, Shaw rejette le fruit horrifique de ses entrailles, les Ingénieurs rejettent l’Humanité…qui va tenter de détruire le dernier Ingénieur et c’est la « progéniture » de ce dernier, le proto-Alien, qui finit le travail.

« Tous les enfants ne souhaitent-ils pas que leurs parents meurent ? » demande David. À l’instar de son modèle, T.E. Lawrence, David, ni humain, ni Ingénieur, n’a « pas de tribu », une qualité que Lawrence estime faire de lui la personne parfaite pour « appliquer la loi ».  Ainsi s’expliquent les actes ambigus de David tout au long du récit, n’ayant aucune allégeance réelle et ne cherchant au fond qu’à suivre sa loi, son objectif : tuer ses parents, les humains. Selon Nietzche, pour devenir un surhomme, il faut voir au-delà des notions du bien et du mal influencées par la religion et abandonner l’idée de l’âme. David n’a pas d’âme. Au bout du compte, Scott paraît partagé entre ces deux protagonistes : Shaw la fidèle, qui ne désespère pas et poursuit sa quête malgré la déception, et David l’amoral, puni à son tour mais toujours « vivant ». Parce que, comme le disait Lawrence, « l’astuce, c’est de faire abstraction de la douleur ». Si l’on fait abstraction des faiblesses scénaristiques de Prometheus, le terreau thématique qu’il propose, d’une richesse indéniable et fascinante, mérite d’être réhabilité.

Robert H. 




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The Valeyard
The Valeyard
7 années il y a

Merci d’ajouter à mon argumentaire ! Personnellement je passe sur les défauts du film pour ces mêmes raisons, et surtout pour sa photographie. Une SF épurée qui me transporte à chaque fois…
Il faut juste que j’aille me faire un café lorsque commence la scène avec le cartographe qui est le seul à se perdre. Et ça passe.

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