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OULAYA AMAMRA | Interview

Oulaya Amamra fut révélée en 2016 dans Divines, de Houda Benyamina, qui reçut la Caméra d’or au festival de Cannes, récompensant le meilleur premier film toutes sélections confondues. Elle n’a cessé depuis de tourner, avec un soin particulier dans le choix des ses films, que ce soit avec Téchiné, pour L’adieu à la nuit, Philippe Garrel, pour Le sel des larmes, ou encore Quentin Dupieux, pour Fumer fait tousser, prévu en salles le 30 novembre prochain. C’est dans le rôle de jurée de la compétition du festival britannique de Dinard et sa 33ème édition que nous la retrouvons pour un entretien.

Depuis Divines et votre César, on vous a vu dans des projets très variés : du cinéma d’auteur chez Philippe Garrel ou André Téchiné, des séries Netflix surnaturelles, un film de Romain Gavras… Est-ce que c’est une diversité à laquelle vous tenez ?

J’avoue que je n’ai pas cherché à entretenir cette diversité, même si j’ai fait des choix, et qu’avec mon agent Grégory Weill, on prête beaucoup d’attention à ce dans quoi on s’engage. Mais c’est d’abord un projet, puis un metteur en scène ; je crois qu’André Téchiné, par exemple, c’est difficile de refuser… Philippe Garrel, c’était encore autre chose, un film en noir et blanc, en pellicule, qu’on a répété pendant un an et demi. À chaque fois, je me dis que j’ai beaucoup de chance, car ce sont des réalisateurs qui ont des univers totalement différents, des méthodes de travail différentes, et ça me permet d’apprendre en express.

Après deux films plutôt légers – une comédie avec Quentin Dupieux et un comédie dramatique, Fragile – on vous retrouve dans Citoyen d’honneur, un film plus social et plus engagé, dans le rôle de Selma, une jeune militante algérienne. Qu’est-ce qui vous a motivé à travailler sur ce projet ?

C’est aussi une comédie, mais une comédie sociale, comme le fait très bien Mohamed Hamidi. Je joue une étudiante à la fac qui fait du rap et qui se mobilise beaucoup pour le pays dans le cadre du Hirak (mouvement de protestation sociale pour la démocratie en Algérie qui a eu lieu de 2019 à 2021, ndlr). On a tous assisté à ces manifestations via nos téléphones et nos télés, ici en France. Tous ces jeunes qui se lèvent en Algérie, qui ont envie de renverser le pouvoir… Mohamed a touché une vérité sociétale du pays. Je ne me suis pas dit “ah tiens, là, il faut que je fasse un film engagé”, mais j’aimais bien l’idée, et le challenge du rap que propose le film, de l’écrire, de l’interpréter. J’aime beaucoup cette musique, c’était trop bien. Ça libère, c’est comme la boxe !

Mais la pression, je l’aurais toujours, quelle que soit la récompense. Peut-être qu’il y a des gens qui m’attendent au tournant, mais finalement, je ne les connais pas, donc ça m’importe peu

Quels critères avez-vous en tête lorsque vous choisissez un rôle ?

C’est d’abord l’histoire, parce même si le metteur en scène est important, sans un bon scénario, il ne peut pas faire grand chose. Le personnage est important aussi : je regarde ce que je peux, moi, en faire. Est-ce que j’ai un plaisir à jouer ça ? Ensuite, c’est le réalisateur, puisqu’il nous choisit mais qu’on les choisit aussi, avec leur sensibilité et leurs univers. J’adore découvrir des histoires à travers des réalisateurs. Ce n’est pas pareil si c’est lui qui la raconte ou bien un autre. Romain Gavras avec Le Monde est à toi, il n’y avait que lui qui pouvait raconter cette histoire comme ça, par exemple.

Comment vit-on la reconnaissance d’un César ? Est-ce que ça ne s’accompagne pas aussi d’une pression, au vu des attentes qu’une telle distinction peut générer ?

La pression, au fond, je me la mets moi-même. Ça aide d’avoir un César, parce qu’on reconnaît ta légitimité, on te dit : “ok, tu es légitime, on va pouvoir te proposer tel ou tel rôle”. Mais la pression, je l’aurais toujours, quelle que soit la récompense. Peut-être qu’il y a des gens qui m’attendent au tournant, mais finalement, je ne les connais pas, donc ça m’importe peu.

Vampires, sur Netflix, était votre première série. Est-ce que c’est un format qui vous a plu ?

C’était tout nouveau pour moi, sur un thème fantastique, à Paris, tous les ingrédients étaient réunis pour me séduire ! C’est trop tentant pour un acteur de pouvoir jouer ça. Physiquement, c’était dur, parce que ça prend énormément de temps, ça va très vite, ce n’est pas comme le cinéma : je pense à André Téchiné, qui tourne une séquence par jour, là, on en fait neuf, parce qu’il y a plusieurs épisodes. C’est un vrai rythme, mais au final, avec six épisodes de cinquante minutes, tu as presque fait six long métrages ! Je crois que c’est quelque chose que j’aimerais bien réitérer.

Le côté surnaturel, l’horreur, c’est un univers qui vous plaît ?

J’adore ! Même avant la série, je regardais Buffy contre les vampires. L’horreur et le fantastique, ce sont des choses qui m’inspirent, que j’ai envie de faire et de refaire. C’est aussi pour ça qu’on a envie de voir des films. En tant que spectatrice, quand je vois Harry Potter, ou des sagas de ce genre, je voyage. Ça sert aussi à ça, le cinéma. C’est bien qu’on nous montre la réalité, qu’on réfléchisse, c’est important, mais c’est bien aussi d’en sortir.

Divines
C’est la première fois que vous êtes jurée pour un festival. Qu’est-ce que ça fait, en tant qu’actrice, de se retrouver du côté critique de ce genre d’événement ?

J’avais déjà été jurée pour des courts-métrages, mais jamais pour des longs. À Dinard, on a un jury super bienveillant, on a l’air d’être assez d’accord, même si on va évidemment discuter. Je découvre des œuvres, j’en débats avec d’autres acteurs, c’est super -en plus, j’adore le cinéma britannique. Je me dis aussi, « wow, j’ai été à la place des équipes en compétition« , je sais ce que c’est. Je crois que grâce à ça, je peux d’autant plus juger l’œuvre – même si on ne juge jamais vraiment, c’est très subjectif d’aimer ou non un film. On salue la performance : j’aime bien dire qu’un prix ne signifie pas qu’on est arrivés, ça veut juste dire qu’on est d’accord sur le fait qu’une personne a, par exemple, très bien interprété un rôle, qu’elle nous a fait ressentir des émotions. C’est ça, en vérité, les prix. Ce n’est pas une fin en soi. Dans tous les cas, j’irai saluer tous les acteurs, les actrices, les réalisateurs et les réalisatrices, même s’ils n’ont pas de prix, parce que je trouve que c’est déjà saluable d’être là.

On vous retrouvera dans le prochain film de votre sœur, Houda Benyamina, qui adapte les Trois Mousquetaires, un retour assez attendu depuis Divines. Avez-vous hâte de retravailler avec elle, six ans après votre premier film ?

J’ai très hâte ! Des fois il y a des duos réalisateur/acteur qui se forment et je crois qu’on a cette connexion. Avec elle, il y a des choses que je fais sans les comprendre, sans même me rendre compte que je les fais, et c’est pareil pour elle. On transcende quelque chose. Peut être que ce sont les liens familiaux, mais en tout cas, j’en suis très heureuse. Je ne saurais pas dire à l’avance comment ça va se passer, mais je pense que ça va être bien. C’est mon premier film historique, donc je suis impatiente.

Mais je regarde mes amis qui sortent des écoles, qui ont tout, et pour qui ça ne marche pas… Il n’y a pas de rôles, en fait. Du coup, avec ma bande de potes acteurs, on se met à écrire pour nous, pour s’écrire des rôles qui sortent des clichés habituels.

Aujourd’hui dans le cinéma français, on voit de plus en plus de diversité à l’écran, une diversité dont vous faites partie. Est-ce que c’est une assignation qui peut être difficile à porter parfois ?

On m’y associe parce qu’en ce moment, les choses changent, et c’est génial. Je sors du conservatoire et la diversité y est de plus en plus présente, alors qu’il y a dix ans, c’était inexistant. Je ne peux pas dire que j’ai souffert de cette absence de diversité parce que très vite, j’ai eu Divines, on a eu un beau succès, il y a eu le César et on m’a proposé des rôles complètement différents de là où on m’attendait, donc je ne sais pas si j’en ai été victime. Mais je trouve ça génial qu’il y ait des films comme Gagarine, par exemple, qui se fassent, et je crois que ça va continuer.

J’ai des amis qui galèrent, pour lesquels c’est dur, mais au-delà de la couleur de peau, de toutes façons, c’est un métier très dur -même si on ne sauve pas des vies, il faut relativiser. On doit s’accrocher et être passionné, c’est très difficile moralement d’attendre, de réussir à se faire une place. Tu dépends du désir des autres, et quand il n’est pas là, tu as beau être le meilleur acteur au monde, ça ne suffit pas. Évidemment, en fonction d’où tu viens, tu te rajoutes des poids, c’est encore plus dur si tu viens de banlieue et que tu es noir, par exemple. Mais je regarde mes amis qui sortent des écoles, qui ont tout, et pour qui ça ne marche pas… Il n’y a pas de rôles, en fait. Du coup, avec ma bande de potes acteurs, on se met à écrire pour nous, pour s’écrire des rôles qui sortent des clichés habituels.

La réalisation, c’est quelque chose qui vous tente alors ?

Oui, totalement. Peut être d’abord un court-métrage. On est en train d’écrire des choses à plusieurs, c’est très embryonnaire pour l’instant. Déborah Lukumuena, par exemple, qui joue dans Divines et qui est ma meilleure amie, vient de réaliser son premier court-métrage.

Des envies pour la suite de votre carrière ? Des personnes avec lesquelles vous rêvez de travailler ?

Je crois que je suis déjà très, très chanceuse. J’aimerais toucher à tous les genres. On parlait de film d’horreur, j’adorerais tourner avec Julia Ducournau, ce genre de réalisatrices, ou Audrey Diwan… Kéchiche aussi, j’aimerais beaucoup. Il y en a plein !


Propos recueillis par Lena Haque au Festival de Dinard, pour Le Bleu du Miroir



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