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MICHAEL SARNOSKI | Interview

Nous avons rencontré Michael Sarnoski pour évoquer son premier long-métrage, sélectionné au Festival du Cinéma Américain de Deauville, et en compétition internationale à La Roche-sur-Yon. Pig est un premier long aux thématiques très personnelles. Sarnoski y met en place via un style déjà affirmé une ambiance de conte moderne et rustique ; le réalisateur ne fait jamais dans le clinquant, prend de la distance et assume un certain réalisme.

LBDM : Pig est un film singulier. Est-ce que c’est votre premier film « idéal » ? Un projet que vous portez depuis longtemps ?

Michael Sarnoski : J’y travaille depuis un moment. C’est vrai que, quelque chose comme deux ans avant de commencer à l’écrire, j’avais des images en tête : en particulier celle de ce vieil homme dans les bois avec son cochon truffier. Cette scène résonnait en moi et j’avais l’impression de pouvoir en faire quelque chose. À un moment, je me suis dit « pourquoi pas ?» et j’ai commencé à écrire.

On ne peut jamais vraiment être certain de ce que sera son premier film, mais il est très vite devenu évident pour moi que je voulais explorer cette histoire. Cela tombait sous le sens, c’était quelque chose qui me tenait à cœur et que je voulais partager, donc c’était parfait pour mon premier film. Ne vous y trompez pas, j’espère que tous mes prochains films me tiendront à cœur… Je ne les ferai pas sinon !

En fait, j’ai su très vite que je n’avais pas envie de faire de cette histoire un film sur la vengeance.

On dit souvent des premiers films – des premières œuvres en général -, qu’ils sont forcément autobiographiques. Cette histoire, vous l’aviez en vous ? Non pas que vous ayez eu une carrière de trappeur… 

Il y a évidemment beaucoup de moi dans Pig. La mort de mon père lorsque j’étais enfant a été un événement structurant dans ma vie. Dans ce film, j’explore donc ce que le chagrin et la peine peuvent faire aux gens sur le long terme, comment est-ce qu’ils portent tout ça dans leur vie, comment est-ce qu’ils interagissent avec ces émotions. Je me suis beaucoup inspiré des différents membres de ma famille pour ça ; c’est ce que je voulais explorer. Progressivement, c’est devenu une histoire sur trois personnages qui vivent leurs deuils d’une manière très différente.

Et je dois dire que j’ai aussi fait mijoter ma relation avec la nourriture là-dedans. Après la mort de mon père, ma grand-mère a emménagé avec nous. C’était une grand-mère italienne typique et la nourriture était une sorte de langage pour elle. Cuisiner pour nous, c’était une forme d’amour et aussi de contrôle : s’assurer que tout allait bien. C’était très important pour ma famille, ça se retrouve évidemment dans le film et dans ce personnage dont c’était le métier. C’est aussi pour ça que les deux parties du film portent des noms de plats !

Il y a sans doute un léger hiatus entre ce que l’on peut attendre du film en voyant le synopsis – ou même l’affiche – et le résultat final, une œuvre complexe, réflexive et même tranquille, en un sens. C’était votre intention ?

Oui et non. En fait, j’ai su très vite que je n’avais pas envie de faire de cette histoire un film sur la vengeance. Je n’étais certainement pas dans l’optique inverse d’en faire un film non-violent pour autant, mais une fois le personnage écrit, il est progressivement devenu logique qu’il ne se dirigerait pas vers une série de représailles méthodiques.

D’ailleurs, pour en revenir à la genèse du film, on a eu quelques moments difficiles, paradoxalement à partir du moment où Nick (Nicolas Cage) a rejoint le projet… Je me suis retrouvé à plusieurs reprises face à des producteurs qui m’ont dit « vous savez, on pensait que ce serait plutôt un film d’action… vous êtes sûr que vous ne voulez pas changer au moins la seconde moitié du film ? » Là évidemment, je leur disais que ça allait être difficile de travailler avec eux, mais on a fini par trouver les « bons ».

En écrivant, j’ai beaucoup pensé aux westerns dans lequel vous avez ce héros-type, que l’on reconnaît comme la meilleure gâchette de l’ouest ; c’est en quelque sorte son super-pouvoir. Dans Pig, je dirais presque que le super pouvoir du personnage de Robin, c’est qu’il a la meilleure spatule de l’Oregon (rires). Et de la même manière, tout le monde le sait quand on évoque son nom. C’est un chef donc il paraît évident qu’il ne va pas résoudre ses problèmes en se battant quand il est contrarié, mais plutôt en faisant ce qu’il sait faire : cuisiner. J’espère avoir réussi à faire en sorte que le film ne soit pas qu’une quête bornée et violente de son animal de compagnie qu’on lui a volé.

Pig
C’est vrai qu’on le voit très peu, ce cochon pourtant très mignon.

La truite est un prétexte, dans le sens où n’importe quelle intrigue dans un film est un prétexte pour explorer quelque chose de plus profond, à quoi on peut s’identifier. J’espère avoir filmé l’histoire d’un homme qui cherche son cochon mais qu’en plus de cette promesse, on en vienne à découvrir plusieurs personnages, leurs histoires, mais aussi leurs visions du monde.

C’est bien Robin, le personnage joué par Nicolas Cage qui est au centre du film. Est-ce que vous aviez cet acteur en tête au moment de l’écriture du scénario ? Comment avez-vous travaillé avec lui ?

Je n’ai pas écrit le rôle pour lui, ou pour qui que ce soit d’autre, en fait. C’était mon premier film, je n’avais même pas envisagé d’avoir un acteur de sa trempe. Et ensuite, ce n’est pas comme ça que j’ai travaillé le personnage. J’ai apprécié de créer Robin sur le papier, sans trop lui donner un visage, et ensuite d’attendre de voir ce qu’un acteur pourrait apporter au personnage.

Au moment d’envoyer le script à l’agent de Nick, je me demandais même si ça valait le coup. Je n’étais pas sûr qu’il soit intéressé, notamment par rapport à ses derniers films où il livre des performances très différentes. Mais son agent lui a transmis, il l’a lu et il a vraiment compris le personnage et souhaité faire partie du film.

Côté direction d’acteur, à partir du moment où j’ai discuté du scénario avec lui, je savais qu’il avait parfaitement compris le personnage et qu’il le jouerait comme tel. C’est un très bon acteur, donc si on lui dit que Robin est taciturne, il saura le jouer de manière plus réservée. D’ailleurs, c’est grâce à lui qu’on a tourné le film en un peu plus de vingt jours : toutes les scènes dans le film sont des premières ou deuxièmes prises. Il était totalement dedans, en phase émotionnellement avec le personnage et il savait quoi faire.

Sur le plan technique, il y a un vrai jeu autour des textures et des ambiances dans votre film. Jusqu’à donner un petit côté « conte de fées », parfois. Comment avez-vous travaillé là-dessus ?

Je suis content que vous le releviez, parce que je voulais donner une atmosphère « folklore » ou « légende » à mon film. Je suis parti de cette image du vieil homme dans les bois et je me suis dit qu’on devait continuer dans cette ambiance avec ce personnage légèrement détaché de la réalité. Robin ressent l’étrangeté du monde ; aller en ville pour lui, c’est presque changer de dimension. De sa perspective, il y a un petit côté magique ou absurde que je voulais transmettre au spectateur. Après, il ne se passe évidement qui ne puisse pas être qualifié de réaliste.

On a particulièrement travaillé là-dessus avec Patrick Scola, le directeur photo. On a tout tourné à Portland en décors réels, on n’a rien construit sinon la cabane de Robin dans la forêt. Ça nous a permis de fixer le récit tout en laissant une ambiguïté. Les bois sont comme son royaume à lui, presque magique. Dans les premiers instants du film notamment, je voulais qu’on puisse se demander à quelle époque il se déroule.

Pig
Et justement, on est obligé de vous le demander, ce cercle quasi-dystopique de combats clandestins dans les bas-fonds de Portland, c’est un vrai truc ?

Je n’espère vraiment pas, tout est inventé ! C’est fondé sur de véritables éléments, bien entendu. À mon sens, cet endroit doit parler de l’aspect exigeant du travail dans la restauration et de la nécessité de décompresser. Les bagarres entre serveurs, c’est un vrai truc. Par contre, il y a bien un hôtel à Portland sur lequel on a construit un parc sans le détruire. Pareil pour les souterrains, c’est une ville portuaire donc il y a bien un réseau de souterrains avec des mythes autour, que ce soit de la contrebande ou des kidnappings. Tout ça, c’est plus ou moins réel.

Vous signez l’histoire avec Vanessa Block, votre productrice. C’est une association que vous pourriez renouveler ?

Oui, on se connait depuis longtemps et j’ai été ravi de faire ça avec elle. Elle et tout l’équipe, en fait. On va avoir nos propres projets, bien entendu, mais je dois dire que sur le tournage de ce film tout le monde a donné tout ce qu’il avait à donner. Peut-être que comme c’était un film calme, comme vous le disiez tout à l’heure, on a attiré des gens dont c’était le truc. Des gens profonds et sensibles, de belles personnes, quoi !

Mais vous ne re-travailleriez peut-être pas avec la truie ?

Non, peut-être pas (il se marre). Je dois dire que la truie était adorable, vraiment. Mais le problème c’est qu’elle n’était pas entraînée spécialement pour le tournage : on n’aurait pas pu se le payer. On a décidé d’utiliser un animal d’une ferme des environs et Vanessa et moi sommes donc allés nous balader dans l’État, à la rencontre des cochons locaux, si j’ose dire. Ils étaient tous super mignons, super intelligents. Le plus dur pour la truie qu’on a choisie a sans doute été de se retrouver sur un plateau de tournage, un univers effrayant et bruyant pour un petit animal. On a vraiment essayé de faire attention à elle, mais elle faisait un peu ce qu’elle voulait.

Nick a eu une relation privilégiée avec elle, notamment parce qu’il lui donne à manger dans plusieurs scènes. Elle l’a donc associé avec la nourriture. Sur le plateau, elle le suivait et le regardait attentivement (tendrement ?), parce qu’elle savait que c’était le responsable des snacks. En bref, je crois qu’on a réussi à obtenir une super pig performance, elle a fait un très bon travail. Bon, par contre, elle a mordu Nick une fois ou deux. Je me suis dit que c’était un peu de ma faute… mais c’était pour le film (rires).


Interview réalisée, retranscrite et traduite le 5 septembre 2021, à Deauville (via fibre optique) par Augustin Pietron pour Le Bleu du Miroir


Crédits photos : Olivier Vigerie © photographe officiel du Festival de Deauville



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