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Marie-Josée Croze | Entretien

À quelques jours de la sortie de son film Every thing will be fine, nous avons rencontré la comédienne Marie-Josée Croze, à l’affiche du nouveau film de Wim Wenders en salle le 22 Avril. Malgré l’heure assez matinale, l’actrice franco-québécoise s’est confiée avec la franchise et la gentillesse qui la caractérisent. Elle revient sur l’expérience de ce film tourné sous la direction d’un cinéaste qu’elle admirait énormément, des amusantes circonstances qui l’ont amenée à croiser sa route et à rejoindre ce projet audacieux, et évoque également, avec humour et sincérité, les aléas du métier d’actrice, d’un casting en visio-conférence aux tournages délocalisés…  

LBDM.fr : Comment avez-vous rejoint le projet et quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris qu’il s’agissait d’un mélodrame tourné en 3D ? 

Marie-Josée Croze : J’ai été contactée par un directeur de casting qui souhaitait savoir si j’étais disponible pour un film de Wim Wenders. Je jouais sur une pièce de théâtre, j’ai donc du répondre que je n’étais pas libre. Dans la foulée, je suis partie tourner un film à Montréal. Alors que je marchais dans la rue, me promenant dans Montréal. Soudain, je me retrouve face à face avec Wim Wenders. On s’est regardés, on ne s’est pas immédiatement reconnus. Et puis soudain, ça m’a frappée : Mais c’est Wim Wenders ! Il était sur place pour faire du repérage avant le début du tournage prévu pour septembre. C’est hallucinant, un tel hasard ! Je venais de croiser cet homme ayant réalisé Les ailes du désir, un film qui m’a beaucoup marquée personnellement. J’avais 18-19 ans lorsque j’ai rencontré cette oeuvre à tomber par terre. Les ailes du désir parle des choses inexplicables de la vie, des trucs magiques qui nous arrivent… et là je vivais cette coïncidence de le croiser dans la rue ! En rentrant le soir, j’ai joint mon agent à Paris et lui ai dit qu’il fallait qu’on en sache plus son projet. Le lendemain matin, j’avais un message de celui-ci me disant qu’il avait discuté avec les producteurs allemands pour que l’on puisse s’arranger au niveau des dates de tournage. Il m’a demandé s’il pouvait donner mon mail à Wim… (Elle rit). « Bien entendu ! »

C’est tout sauf compliqué de travailler avec un grand metteur en scène.

On a donc commencé à s’écrire avec Wim. J’ai lu le scénario et nous nous sommes rencontrés… On a parlé du film et il m’a donné le rôle. D’emblée, je souhaitais travailler avec lui. Il n’y a pas beaucoup de très grands réalisateurs avec lesquels on rêve de travailler, dont on n’oserait même pas formuler l’espoir que cela se fasse un jour, tellement c’est surréaliste… J’ai eu la chance de travailler avec Spielberg (pour Munich – ndlr), et Wim Wenders, c’est du même ordre ! Ce sont des gens qui ont inventé le cinéma ! Quant au scénario, c’est évident qu’il allait me plaire. Je n’imaginais même pas qu’il puisse ne pas me plaire. 

LBDM.fr : Et quelle a été votre réaction au fait que le film soit tourné en 3D ? 

MJ. C : Par mail, il m’avait expliqué que le film serait en 3D, que les personnages traverseraient une période d’une dizaine d’années, mais qu’il ne souhaitait pas faire de vieillissement en marquant l’époque d’une façon plus subtile. Je ne connaissais pas trop la 3D, je n’avais même pas vu Pina à ce moment-là. Wim m’a organisé une projection à Montréal avec une vingtaine de personnes, Charlotte (Gainsbourg – ndlr) y a aussi eu droit à Paris. Ce qui m’a le plus frappé, c’était le travail qu’il faisait avec les gros plans sur les visages.

Comment avez-vous vécu l’expérience avec lui ? 

MJ. C. : Tout s’est passé avec beaucoup de facilité. C’est un homme d’une grande intelligence, il est très doux. Il met l’équipe à l’aise, il a une autorité naturelle. Le tournage a été à son image, tout le monde s’affairait sérieusement. Nous étions tous très concentrés… et cela s’est bien passé. C’est tout sauf compliqué de travailler avec un grand metteur en scène. C’est même ce qu’il y a de plus facile ! 

LBDM.fr : Vous évoquiez la question des gros plans… Est-ce que le fait de tourner un film en 3D modifie beaucoup votre préparation au rôle et votre interprétation ? Est-ce que l’on ne se rapproche pas encore un peu plus du jeu au théâtre où l’espace et le cadre importent d’autant plus qu’ils sont très définis et plutôt réduits ?

MJ C. : Et bien c’est vrai qu’il y a plus de travail qui doit se faire en amont, d’installations de lumières pour tourner une scène. Les journées ne s’étirent pas, donc le temps qui est pris sur la technique rogne sur le temps de jeu… Lorsqu’une scène a été mise en place, on la tourne comme elle était prévue. Il n’y a pas de place à l’improvisation, on ne peut pas changer d’avis en décidant finalement de s’allonger plutôt que d’être assis, etc. Tout est très établi dès le départ. C’est de toute façon souvent le cas au cinéma : lorsqu’on installe un travelling, on ne va pas décider au dernier moment qu’on n’a plus besoin de travelling. On ne peut pas perdre de temps.

De toute façon, je pense que Wim sait exactement ce qu’il veut, il a en tête les plans qu’il souhaite faire. Pour lui, cela ne semblait pas faire une grande différence. Je lui ai même posé la question… Cela ne semblait pas compliqué.

Tourner en 3D, c’est extrêmement chirurgical.

Ce n’est pas que cela ressemble à du théâtre, cela reste du cinéma. Mais c’est un cinéma très « classique » avec un gros dispositif à gérer. Il n’y a pas de petite caméra HD, portée à l’épaule… Je viens de finir un tournage, un premier film en Lituanie avec un réalisateur finlandais qui tournait tout en caméra HD, en utilisant les lumières de l’hôtel dans lequel on tournait. J’avais l’impression de faire cinq jours en un, tellement je bossais. On avait tout le temps pour jouer, on faisait 30 prises par jour – ce qu’on ne peut pas faire sur un film comme Every thing will be fine, où on faisait un nombre plus limité de scènes, où l’on se retrouvait souvent à attendre.  

D’ailleurs, cela pouvait souvent être frustrant d’attendre autant… Mais c’est tellement excitant quand on pense au résultat qu’on obtiendra. Comme Wim le dit très bien, la caméra 3D ne permet aucun mensonge, elle voit tout, on ne peut rien planquer. C’est extrêmement chirurgical. Et malgré toute cette rigueur, il y a quelque chose de très onirique dans le film, presque féerique. Même si l’on voit tout, ce n’est jamais cru. On voit beaucoup de choses mais tout est suggéré.     

LBDM.fr : Je vous rejoins lorsque vous parlez d’onirisme. On a l’impression de voir un conte de fées, le jeu sur les couleurs chaudes et froides pour retranscrire les émotions à l’écran et des figures fortes dont le personnage que vous incarnez qui a un rôle salvateur et apaisant, qui est celui de la reconstruction, qui ne cherche pas à se mettre en avant et s’avère canalisant pour Tomas. 

MJ. C. : Oui, je pense qu’elle l’adoucit. Je crois qu’elle reprend, sans le savoir, le flambeau de sa première compagne qui n’a pas réussi. D’ailleurs, je trouve qu’il y a une forme de similitude entre nos deux personnages (celui de Rachel McAdams et le sien – ndlr), physiquement ou même au niveau des looks. On a un peu la même coiffure… Il y a l’idée de réparation, il reproduit une sorte de schéma avec une autre femme, la « femme infirmière ».

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Du fait de votre carrière plutôt internationale et de vos nombreux tournages délocalisés, remarquez-vous une approche différente du cinéma selon le pays dans lequel vous tournez ?  

MJ. C. : Un tournage est toujours à l’image du metteur en scène. Au bout de deux-trois jours, l’équipe est à l’image de son metteur en scène. Si on a quelqu’un qui ne sait pas trop ce qu’il veut, son équipe sera aussi désorganisée, s’il est agressif avec les autres, il y aura de la tension et des conflits sur le tournage… S’il n’y a pas de pilote dans l’avion, cela peut vite mal tourner. Le metteur en scène est le chef d’orchestre.

Je n’ai pas vu de véritables différences entre les pays, j’ai surtout vu des natures et des tempéraments différents, avec des metteurs en scène plus intéressants que d’autres. J’ai tourné un premier film avec une réalisatrice marocaine – il ne devrait lui aussi pas tarder à sortir – et j’ai été impressionnée par cette femme que j’ai trouvé très forte. Elle avait des qualités qui m’ont interpelée Wim. Pourtant, elle est marocaine, il est allemand. Je ne crois pas que cela tienne à un pays. On a toujours une caméra et une histoire à raconter. Chacun est là avec une fonction et un rôle à jouer sur le film.  

Steven Spielberg est toujours enjoué sur un tournage, il s’émerveille d’un rien.

Pour faire des lieux communs assez faciles, je peux dire que j’ai été assez impressionnée par les lituaniens qui bossent énormément. Il n’y a pas la même législation que chez nous donc les journées sont très longues. Douze heures. Six heures, une coupure, six heures à nouveau. Les journées sont longues mais les gens ne rechignent pas. Je n’en ai pas entendu un râler, se plaindre qu’il était fatigué. Il n’y avait même que moi qui me plaignais parce que je commençais à être un peu épuisée, à avoir froid. Mais cela n’avait pas d’écho, personne d’autre ne se plaignait. (Elle éclate de rire). Il y a des petits détails culturels qu’on peut remarquer comme celle-ci mais la vision du cinéma et l’exécution du travail sont les mêmes. 

D’ailleurs, pour l’anecdote, lorsque j’ai tourné avec Spielberg, je m’attendais à trouver face à moi un homme sérieux, impressionnant. Et puis j’ai eu l’impression de voir un étudiant de cinéma qui faisait son premier court-métrage tellement il était hyper enjoué et excité. Il s’émerveillait d’un rien et commentait ce qu’il voyait… (Elle l’imite) « C’est beau quand tu fais ce geste, avec ton regard et la lumière, c’est magnifique, on dirait Lauren Bacall… » (Elle rit). Il est comme ça. On tournait la nuit, il faisait des bons partout, il était très dynamique et enjoué… et ses collaborateurs me regardaient avec amusement en me disant « Oui, il est comme ça Steven ». Et beaucoup de gens qui ont travaillé avec lui l’ont confirmé. Mathieu Amalric, Matthieu Kassovitz…

Est-ce qu’on est intimidé lorsque l’on joue pour Wim Wenders ou Steven Spielberg ? 

MJ. C. : Oui… j’étais très intimidée avant de tourner pour Wim. Bien évidemment. Comme je le disais, c’est lui qui m’a sollicitée. Il m’imaginait dans le rôle d’Anne avant même de me rencontrer. J’étais très inquiète, même dès la rencontre. Même si nous avions beaucoup échangé par mail, j’avais cette crainte que ça puisse ne pas coller lorsque l’on s’est vus, qu’il me dise que finalement ça ne le ferait pas. D’ailleurs, lors de cette rencontre, il ne parlait pas beaucoup et m’écoutait parler. J’avais peur de trop parler. À un moment donné, il a reçu un coup de fil et parlait avec excitation en allemand, je ne comprenais pas trop… En raccrochant, il m’a expliqué que c’était sa femme… Je lui ai demandé ce qu’elle faisait dans la vie et il m’a dit qu’elle était photographe et qu’elle serait notre photographe de plateau sur Every Thing... C’est comme ça que j’ai compris que j’avais définitivement le rôle !

J’étais extrêmement inquiète que cela ne fonctionne pas, cela m’aurait brisé le coeur si cela avait été le cas. C’est un métier où l’on peut parfois rater un rôle, pour un détail ou une rencontre qui ne tourne pas comme on le voudrait… Parce qu’on est trop jeune, trop vieille, que le réalisateur ne vous imaginait pas comme ça… Pour toutes sortes de raisons. Elles sont toujours très bonnes, d’ailleurs. Une fois, une réalisatrice m’a vu pour la première fois par Skype, elle m’imaginait plus vieille que je l’étais. Je restais sceptique mais elle y croyait… et en me voyant, elle était étonnée à quel point je paraissais jeune ! J’ai perdu le rôle. L’actrice qui l’a eu a même remporté des prix pour celui-ci, mais ça arrive ce genre de choses…

(Wim Wenders toque à la porte, l’entrouvre doucement et passe sa tête par l’interstice avec un grand sourire amusé…)

Wim Wenders : Est-ce que tu racontes n’importe quoi ? (Il sourit malicieusement). Je vous dérange ? 

MJ. C : La demoiselle allait me poser une dernière question…

Wim Wenders (très théâtral) : On vous laisse alors !

Vous jouez des rôles très différents… Comment appréhendez-vous chacun de vos rôles, dès la lecture du scénario, lors de la préparation de celui-ci ?

MJ. C. : J’imagine chaque personnage en dehors de moi et j’essaie d’y aller. J’essaie de trouver en moi ce qui fait écho avec le personnage. Je l’imagine toujours extérieurement à moi. Parfois même, j’imagine d’autres actrices dans le rôle et si j’en vois trop, généralement, je refuse le rôle. Mais si je me vois dans le rôle, si je parviens à m’oublier dedans, j’utilise ce qu’il y a en moi et qui pourrait m’être utile au rôle…

Par rapport à votre personnage d’Anne et à celui de Tomas, comment perceviez-vous le personnage de Tomas, personnellement ?

MJ. C. : Personnellement, je ne pourrais jamais être la femme de Tomas. Il y a énormément de femmes, et d’hommes, comme elle. C’est une femme qui travaille en périphérie des artistes. Elle travaille dans une maison d’édition et travaille pour les artistes. Elle est complètement fascinée par Tomas, qu’elle connait d’abord en tant qu’artiste. Et on peut comprendre qu’elle soit dupe, qu’elle le plaigne, qu’elle lui pardonne énormément de choses – même si vers la fin, elle en a un peu marre – car cela tient à l’admiration qu’elle lui porte. Elle le place très haut dans sa vision. C’est peut être aussi grâce à cela que son couple, car elle est prête à accepter énormément de choses que je ne pourrais accepter. Et puis, il est charmant au demeurant… Mais personnellement, je ne pourrais pas être dans un tel couple, cette absence de communication est glaçante… Mais je ne suis pas un exemple… (elle rit).

La question bonus :

LBDM.fr : Vous avez parlé d’un film lituanien, mais il me semble que vous avez également tourné sous la direction de Vincent Garenq (réalisateur de L’enquête) avec Daniel Auteuil que vous retrouvez pour l’occasion…  Où en est le film ?

MJ C. : Oui, Daniel, again ! (Elle sourit). Le tournage est terminé, ils bossent sur le montage… Nous aurons l’occasion d’en reparler lorsqu’il sortira… 

> > > Lire aussi : notre entretien avec Wim Wenders.

Propos recueillis et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir.

La fiche

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EVERY THING WILL BE FINE
Réalisé par Wim Wenders
Avec James Franco, Charlotte Gainsbourg, Rachel McAdans, Marie-Josée Croze…
Allemagne, Canada, France – Drame
Sortie en salle : 22 Avril 2015
Durée : 115 min

Entretien réalisé le 14 Avril 2015, avec Léa Auger (Nouvel Ecran) et Laura Ferdinand (Le Mauvais Coton)
Remerciements : Marie-Josée Croze, Lamia El Assad (Déjà), Bac Films



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