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MANI KAUL – Le secret bien gardé du cinéma indien

Nous allons pouvoir découvrir ou redécouvrir quatre films de ce réalisateur, moins connu que Satyajit Ray, mais tout aussi passionnant à en voir cette sélection aussi variée que réussie plastiquement. Né en 1944 et disparu en 2011, Mani Kaul était également scénariste et producteur et a enseigné le cinéma. Il pratiquait aussi la peinture et la musique, d’où un soin esthétique et sonore présent dans chacun des œuvres présentées dans cette rétrospective d’un grand intérêt. Cette exigence formelle se double d’ailleurs d’une recherche spirituelle ou morale. 

Mani Kaul a eu des problèmes de vision quand il était enfant et n’a bien vu et découvert le cinéma que vers ses treize ans – d’où un choc esthétique qui l’a vite incité à vouloir faire du cinéma. Au départ, il désirait être acteur, ce à quoi son père s’opposa. Puis il vit un documentaire sur Calcutta qui le marqua profondément. Son oncle réalisateur, Manesh Kaul qui vivait à Bombay, est parvenu à convaincre le père de Mani d’envoyer son fils étudier dans une école de cinéma : celle de Poona. Parmi les enseignants, un cinéaste, Ritwik Ghadak, auteur aussi radical qu’influent. Très marqué par Robert Bresson, notamment par son film Pickpocket, Mani Kaul commence par réaliser des documentaires, puis un premier long-métrage de fiction à la fin des années 1960.

Notre pain quotidien

Son Pain quotidien (Uski roti)

Réalisé en 1969, adapté d’une nouvelle de Mohan Rakesh : une femme, Balo, prépare le repas de son mari, chauffeur de bus. On apprendra que ce dernier ne passe qu’une nuit par semaine avec son épouse. Officiellement, parce qu’il est accaparé par son emploi. Mais Balo apprendra que son mari Sucha Singh a probablement une maîtresse. On trouve un aspect presque documentaire dans cette œuvre : la façon dont le réalisateur passe du temps à filmr la préparation du repas de son mari par Balo, femme dévouée et soumise. La violence des hommes, leur égoïsme est évoqué à plusieurs reprises. On notera beaucoup de plans fixes sur les visages des interprètes. Mani Kaul travaille comme un peintre (qu’il est également dans sa vie) par petites touches subtiles. Il est donc question de la condition de la femme, mais aussi de façon plus large de l’amour en général, de celui qui est sans retour, de l’attente de l’autre, de la dévotion. 

Un jour avant la saison des pluies

Un jour avant la saison des pluies

Film de 1971, Un jour avant la saison des pluies est l’adaptation d’une pièce de Mohan Rakesh, déjà inspirateur de Son pain quotidien. Cette œuvre a pour point de départ l’histoire d’amour entre Mallika et le poète Kâlidâsa. Ce dernier est parti dans une autre ville et s’est remarié avec une princesse. Il a changé de nom et a rencontré le succès, la gloire. Il est question de solitude, de dénuement. Autant Son pain quotidien était proche du documentaire et comportait peu de dialogues, autant on a affaire ici à un oeuvre très littéraire, sans que les échanges ne paraissent ampoulés. Au contraire, le texte est d’une grande beauté. On peut également y voir une méditation sur le temps qui passe, le destin et encore une fois l’amour et son attente. Un jour avant la saison des pluies fait montre d’une grande beauté plastique, et a été tourné dans un somptueux noir et blanc.

Duvidha

Duvidha (Le Dilemme) :

D’après une légende du Rajahstan. Long-métrage de 1973, essentiellement en voix off. Un jeune commerçant doit s’éloigner de son foyer pour ne pas laisser passer d’opportunités commerciales. Mais un esprit prend sa forme et sa place auprès de son épouse. Sorte de conte pour tous les âges, Duvidha constitue un émerveillement visuel tant est grand et minutieux le soin apporté au traitement de l’image, des couleurs, plus chatoyantes les unes que les autres. 

Nazar

Nazar (1989) 

La Douce, une nouvelle de Dostoïevski, avait déjà fait l’objet d’un film, réalisé par Robert Bresson, grande référence de Mani Kaul. On y voit une idylle entre un antiquaire et une de ses clientes se déliter dans une vision des rapports amoureux assez cruelle. 

Ces quatre longs-métrages de Mani Kaul, assez différents les uns des autres nous donnent un bel aperçu du talent de cet artiste dont on espère un jour découvrir les autres réalisations, notamment son adaptation, en 1992, de L’Idiot, le roman de Dostoïevski. Il s’agit d’un cinéma à la fois exigeant, radical, mais aussi d’une grande richesse et d’une belle générosité. La beauté plastique, la recherche esthétique n’y sont jamais vaines mais accompagnent une recherche d’une certaine forme de vérité. De même que les dialogues parfois littéraires ne sont jamais verbeux, mais restituent la beauté intérieure des personnages. 

Ces quatre films sont donc à voir ou à revoir à compter du 4 janvier – pour la majorité des spectateurs, il s’agira vraisemblablement d’une première vision et très certainement l’occasion d’un coup de foudre cinématographique. Cette rétrospective orchestrée par ED Distribution nous fait très bien débuter cette année 2023 qu’on espère riche en rééditions aussi précieuses. 

Bande-annonce

4 janvier 2023De Mani Kaul




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