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LA PORTE D’ANNA

Mercredi est sorti en salle La Porte d’Anna, très joli documentaire suivant le quotidien des jeunes du pavillon d’Anna, internat thérapeutique comprenant deux groupes de 8 jeunes de 12 à 16, handicapés par divers troubles du comportement, et ne possédant (pour la plupart) pas le langage. À cette occasion, nous avons choisi de donner la parole à une enseignante d’éducation spécialisée pour recueillir ses réactions sur le film et son point de vue sur ce vaste sujet. 


LBDM.fr : Avez-vous l’impression que l’on parle assez de l’éducation spécialisée ?

Fanny C. : Que ce soit dans les médias ou même avec mes proches, je pense que non. Cela ressemble presque à un tabou. Il y a beaucoup de fantasme autour du handicap. Tant que l’on n’a pas mis les pieds dans ce milieu, on ne peut pas réellement se rendre compte de ce qu’il s’y passe et de ce qui peut exister pour ces enfants-là. Le documentaire immerge le spectateur dans ce monde et permet au grand public de découvrir ce que vivent ces enfants et la mission des adultes qui les entourent.

Il n’y a pas de véritable intégration, pas suffisamment d’inclusion avec l’extérieur et ces établissements vivent trop souvent repliés sur eux-mêmes, comme dans un microcosme. Certaines équipes (comme celle du film) essaient d’aller contre ça et de se donner les moyens de s’ouvrir vers l’extérieur. Les enfants psychotiques ou autistes ont tendance à calquer leurs comportements sociaux sur ceux qu’ils observent, les ouvrir au monde ne peut que leur être bénéfique.

Le documentaire amène à s’interroger sur la place que ces jeunes occuperont dans la société lorsqu’ils seront adultes et soulève quelques vrais enjeux : que leur apprendre, des savoirs, des savoir-faire, des savoir-être ?

F. C. : En France, nous avons du mal à créer des passerelles. Le milieu du spécialisé illustre bien ce problème. Il serait intéressant – même si ce n’est pas forcément possible pour les élèves dans le film car ils sont en institution hospitalière – de continuer à faire classe « hors les murs », de parvenir à les inclure dans des classes dites « classiques » dès leur plus jeune âge. 

Dans les établissements spécialisés, on sait automatiser les enfants, leur apprendre des gestes et des comportements. On leur donne des moyens de vivre ensemble dans l’établissement. Mais cela devient plus difficile dès lors qu’il faut se confronter à l’extérieur. L’initiative de les pousser à effectuer des gestes du quotidien et à interagir avec les commerçants (dans le film – ndlr) est une très bonne chose, qu’il faudrait davantage encourager.

Est-ce que c’est faisable selon vous ?

F. C. : Oui, ça l’est. Mais cela demande un véritable travail en amont : de l’énergie, de la réflexion, de la construction de lien avec les différents partenaires. Dans l’établissement où je suis, on essaie de mettre certains dispositifs en place. Ce sera très ponctuel, cela reste de l’expérimentation. Nous faisons la démarche d’intégrer des lieux sociaux communs à tout le monde et de ne pas rester enfermés.

Il faut que les trois pôles continuent de travail main dans la main : le thérapeutique, le pédagogique et l’éducatif. Dans le film, le thérapeutique a forcément une place plus importante que dans l’établissement où j’exerce où l’accent est davantage mis sur l’éducatif. C’est souvent difficile d’articuler ces trois axes. Mais rien n’est impossible dès lors que chacun est motivé pour faire avancer les choses.

Travailler avec ces enfants est quelque chose de passionnant, on créé des affinités incroyables avec ces gosses. Sans une énorme implication et un véritable effort de compréhension, le lien ne se créé pas. C’est très stimulant et cela nous pousse à nous adapter, à nous remettre systématiquement en question pour innover. 

Les enseignants sont-ils suffisamment formés, armés pour enseigner avec des enfants atteints de troubles du comportement ? Ne vous sentez-vous pas trop souvent impuissante ? 

F. C. : On nous donne quelques billes mais on ne nous apprend pas vraiment ce que c’est que l’enseignement spécialisé, on le découvre véritablement sur le terrain, quand on y est. L’instinct devient parfois assez important dans ce milieu, pour rebondir sur ce que l’on sait, s’adapter à l’élève que l’on a en face de nous. Ce sont des problématiques tellement différentes et chaque petit progrès est une victoire.

Le sentiment d’impuissance est quelque chose d’inévitable et je dirais même que c’est un sentiment nécessaire. Je pense qu’il faut arriver à reconnaître ce sentiment afin de relativiser puis de réfléchir à d’autres façons d’agir, à s’interroger sur notre action. Ce qui est très enrichissant en établissement spécialisé est que l’équipe est pluri-disciplinaire. Chaque éclairage est bénéfique (un éducateur, un psycho-motricien…). Chacun apporte sa petite pierre à la construction des apprentissages et c’est une arme supplémentaire par rapport à l’école « ordinaire ». 

Dans le film, un des protagonistes affirme qu’il y a une forte rotation des personnels. À quoi est-ce du selon toi ?

F. C. : Dans tous établissements médico-spécialisés, il y a certaines choses qui nous dépassent un peu. Il est parfois difficile de faire bouger les lignes et cela peut être décourageant.

Et puis, la psychose, l’autisme, cela remue forcément des choses chez nous. C’est très sain d’arriver à se dire que l’on n’y arrive plus, que l’on a besoin de partir pour voir autre chose. Cette rotation des équipes est inévitable et peut être nécessaire. Passer des journées entières avec des enfants qui ne parlent pas, qui réagissent très différemment de nous, qui voient le monde d’une façon toute autre, cela peut déstabiliser beaucoup de gens.

N’y a-t-il pas une certaine usure qui s’installe dans le fait de devoir constamment rester sur ses gardes, dans le contrôle ? 

F. C. : Travailler au plus près des enfants permet d’apprendre à les décoder, à anticiper en voyant une réaction et à comprendre quand ça ne va pas, que ce ne sera pas possible. Mais au contraire, je pense que l’on réussit à lâcher prise avec certains enfants. On construit des relations fortes avec eux et l’on parvient à avancer ensemble.

Dans certains établissements spécialisés, l’un des premiers buts est d’atténuer les problèmes de comportement. J’apprécie aussi lorsque l’on s’aventure sur le versant psychanalytique, à essayer de comprendre, à donner du sens. La violence est effectivement présente et on s’interroge souvent sur les limites à poser à cette violence à laquelle on est confrontés. Mais la violence est un des moyens d’expression de ces enfants, c’est une façon de nous dire des choses sur ce qu’ils ressentent et il faut savoir s’en servir.

J’ai lu que le réalisateur disait « C’est un métier de l’invisible, fait d’attention, de patience, de gestes et de parole« . Dans le cursus classique, c’est déjà le cas, mais cela le devient encore plus lorsque l’on travaille avec des enfants atteints de troubles du comportement. C’est très stimulant et j’apprends chaque jour avec eux. 

Propos recueillis et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir, le 2 Juin à Paris.

Notre avis sur le film : La Porte d’Anna est un documentaire important car nécessaire. Il soulève de nombreuses problématiques liées à notre société et nous emmène à la rencontre de ces adolescents, aussi troublants qu’attachants. Il nous montre aussi les missions des intervenants, ceux qui posent un cadre pour eux, leur apprendre à être et à agir, ceux qui cherchent continuellement des nouvelles méthodes (par le jeu, la création d’un film d’animation, par des ateliers de travaux pratiques…) et qui les aident à « dire des mots appropriés dans une situation appropriée ».  Il amène à s’interroger sur le regard que la société pose sur l’autisme et plus généralement sur le handicap. 

La fiche

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LA PORTE D’ANNA
Réalisé par  Patrick Dumont et François Hébrard
France – Documentaire
Sortie en salle : 3 Juin 2015
Durée : 80 min




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