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LA NUIT DU CHASSEUR

Lumineux

Au coeur des années 30, deux enfants, John et Pearl, sont pourchassés par un tueur en série, dissimulé en société sous des faux airs de prêcheur bienveillant. L’objet de la traque : la rumeur d’un pactole de 10 000 dollars bien mal acquis par le père des enfants, et dont ces derniers ont le secret de la localisation.
 

Les extrémités du spectre.

Malgré son ténébreux titre appelant déjà deux des appréhensions fondatrices de l’enfance et de ses contes, La Nuit du Chasseur est une affaire de lumière. Une histoire d’aura. L’aura de son réalisateur, Charles Laughton, brillant acteur et metteur en scène de théâtre. Il signe là son unique long métrage, adapté du roman homonyme de Davis Grubb. Celle de Robert Mitchum, bad boy dans sa plus belle définition, aussi happé et marqué par son rôle que par la drogue, l’alcool et les ragots qu’il laissera au mythe du tournage. L’aura d’une lumière qui laisse spectateurs et spécialistes pantois d’une telle maîtrise. La Nuit du Chasseur a engendré nombre de mythes plus ou moins fantasmés. Suivant les points de vue, cela va de soi, mais également suivant les époques. D’abord relégué au rang d’immondice cinématographique par les premières critiques de l’époque, allant de pair avec un profond rejet moral de l’oeuvre, Laughton en conclura d’un pacte intérieur que le 7e art lui sera proscrit. Ce n’est que plusieurs années plus tard, porté par le militantisme acharné des autobiographies de Mitchum autant que d’une science du ragot à la sauce hollywoodienne, que le chapeau d’Harry Powell viendra hanter les nuits des cinéphiles du monde entier.

Même les contines que les parents chantent avant de dormir n’empêchent pas de faire des cauchemars. C’est bien par une lullaby enfantine que s’ouvre La Nuit Du Chasseur, avant que l’horrible tueur en série Harry Powell (Robert Mitchum) ne pointe le bout de son affreuse trogne, fier et rusé au volant de sa voiture. Persuadé que ses meurtres lui sont directement insufflés par la volonté de Dieu, ses réflexions théologiques macabres tranchent avec la quiétude et l’innocence des enfants John et Pearl. Elle ne durera pas longtemps. Pendant les 90 minutes de son récit, Laughton ne s’embarrasse pas de superflu et installe des oppositions nettes, à l’image de son noir et blanc tailladé – merci au passage à Stanley Cortez, directeur photo le plus souvent associé à La Splendeur des Amberson d’Orson Welles. Les enfants résistent aux adultes, où les lumières et les ombres se tranchent entre elles. Le paternel Ben Harper (Peter Graves) commet un crime juste, opposé au malicieux Harry Powell dont la bienséance n’est que parure, recouvrant les plus vils péchés. La main gauche de la haine s’oppose, dans une terrible étreinte, à celle droite de l’amour. Qui est le gagnant d’un bras de fer aussi factice que celui qu’on s’inflige à soi-même ? Celui qui nous arrange, bien entendu.

Le magot de John et Pearl est un cadeau sucré pour Powell. Une somme de toutes les proies d’affection pour ce chasseur assoiffé de bêtes blessées. L’avarice, le vol, la violence, le mensonge : Mitchum et Laughton s’y complaisent, chacun à leur manière, scène après scène. L’un dans une interprétation glaciale et bouffante à l’écran. L’autre dans une somme de cadrages et de jeux d’ombres, où les rapports dominants / dominés vont jusqu’à flirter avec le fantastique tant leur puissance impacte le spectateur. À l’image de la célèbre scène de la cave, où le plan d’évasion des enfants est entrecoupé des “Children !” lancinants de Powell et de ses menaces proférées au rythme d’une comptine. Mais si La Nuit Du Chasseur est marquant par l’empathie immédiate des spectateurs aux enfants, l’impact de son grand méchant dépasse cette première oppression. Quand d’autres figures diaboliques du cinéma s’efforcent de faire croire que le Diable n’existe pas, Powell n’est jamais complètement dans l’ombre. Au contraire. Il se complaît dans la lumière, dévoile sans détour son dessein au spectateur, harangue les foules par la simple force de sa voix et de quelques tours de passe-passe bibliques. Dans une société démunie par les retombées de la crise de 1929 où tous sont misérables à leur manière, les fantasmes sont prompts aux effritements de la raison. Doit-on comprendre l’innocence de la plèbe, inapte à concevoir la singularité de cette haine extraordinaire, ou blâmer la crédulité de celle-ci, prête à vendre sa foi au premier beau parleur venu ? Avec Laughton, pas de juste milieu. La Nuit Du Chasseur est une oeuvre de jugement, et non de constatation distanciée.

On laissera le soin au spectateur de (re)découvrir les viles tentatives de Powell pour arracher, littéralement s’il le pouvait, l’emplacement des 10 000 dollars. Autant d’occasions d’admirer la place centrale de Mitchum sur les plans de Laughton. Le jeu d’acteur est assez puissant pour éviter les contre-champs incessants, pour imposer une présence par l’insistance des plans. Place aux regards obliques vers le ciel dès que la fausse droiture de sa posture ne peut s’empêcher de s’incliner face à ses véritables motivations. Même après la fuite des enfants le long du fleuve et ses douces vagues d’expressionnisme mélodieuses, il suffit d’une silhouette sifflante sur une colline et la terreur refroidit les coeurs qui pensaient l’avoir quitté de l’autre côté du rivage. Heureusement, la bonté rigide tient tête à la séduction malicieuse en la personne de Rachel Cooper (Lillian Gish), vieille tenante d’un orphelinat improvisé. Elle ne place sa confiance que dans les enfants, acceptant les fardeaux de la vie avec une force sans égale. Elle sait les apparences trompeuses. Acculée face à un Powell menaçant à son perron, les deux antagonistes chantent quasiment trait pour trait la même chanson. “Bercés dans les bras éternels” du temps, l’humanité semble en permanence ballotée entre les deux extrémités du spectre : l’amour et la haine. Comme toutes les extrémités, ils se confondent parfois l’un l’autre.

À terme, le bien triomphe, mais comme toujours dans La Nuit Du Chasseur, il ne se fait pas sans conséquence. Un dernier détour du côté du peuple : fourches et torches s’empressent de menacer Powell, celui par qui découlait la morale et la voix de Dieu il n’y a pas vingt minutes de cela. Là encore, sur le dos des condamnés et des victimes, le jugement, superficiel et prompt à un nouveau retournement de veste sitôt une nouvelle histoire sordide révélée. Laughton préfère doucement glisser des lumières tranchantes à un monochrome plus doux et tamisé, à mesure que les enfants trouvent enfin un foyer tranquille. Cette fois, dans la morale finale proposée par la vieille Cooper, pas de regards obliques, pas de citation de la Bible, pas de promesses veines. Une simple constatation empirique, humaine et soulagée. Et la certitude qu’à la prochaine nuit, au prochain chasseur, les enfants trouveront toujours les ressources pour surmonter des épreuves grandes comme des montagnes.

La fiche

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LA NUIT DU CHASSEUR
Réalisé par Charles Laughton
Avec  Robert Mitchum, Shelley Winters, Lillian Gish…
Etats-Unis – Thriller, Drame, Horreur
Sortie : 11 Mai 1956
Durée : 93 min




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