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ISABELLE CARRÉ | Entretien

Quelques jours avant la sortie de Le coeur régulier de Vanja D’Alcantara, nous avons rencontré la comédienne Isabelle Carré pour évoquer l’expérience de ce tournage délocalisé et la belle renaissance d’Alice, son personnage, dans un long-métrage épuré et introspectif. Rencontre avec l’une des actrices les plus talentueuses du paysage français… 

Le personnage d’Alice a-t-il résonné en vous dès la lecture du scénario ?  

Isabelle Carré : En fait, j’ai adoré le scénario mais pas pour le personnage d’Alice. Pour le personnage de Daïsuke. Vanja (D’Alcantara, la réalisatrice – ndr) m’a expliqué qu’il existait et continuait sa mission : essayer de sauver des vies, après avoir échoué à le faire auparavant lors de sa carrière de policier. J’ai trouvé ça très touchant, et juste. Dévouer sa fin de vie à essayer de sauver des gens au bord du gouffre. J’ai eu très envie de le rencontrer. Même si je n’ai pas pu le faire vraiment, j’ai eu le sentiment de le rencontrer à travers Jun Kunumura, qui l’incarnait à l’écran. Je ne connais pas le vrai Daïsuke, mais j’ai aimé l’autorité qu’il dégageait, associée à une lumière, à cette malice presque enfantine qui éclairait son visage et son regard. C’est touchant de voir un tel altruisme. 

Le film transmet beaucoup par les silences, les regards…   

I. C. : En effet. Cela ne l’a d’ailleurs pas aidé pour le financement du film. Les gens regrettaient qu’il n’y ait pas d’événements dans la forme concrète des choses, alors qu’au fond il y a plein de choses. Ce sont des événements intérieurs. Il y a un voyage, la disparition du frère, ce départ pour partir à sa « recherche ». C’est une sorte de thriller, mais un thriller très intime : on souhaite savoir comment tout cela va se résoudre pour Alice. 

Avez-vous préparé le rôle en lisant le livre d’Olivier Adam ?  

V. D. :  Vanja m’a demandé de ne pas le lire, afin d’être telle une feuille blanche. Ainsi, je découvrais les choses progressivement. Le scénario a beaucoup évolué, elle a mis quatre ans à parvenir à sa version finale. Mais même lors du tournage, elle restait très ouverte à la découverte et disposée à s’adapter à ce qu’il pouvait se produire en moi, mais aussi dans ce cadre japonais et ces paysages… Elle s’est servie de tout ça. Elle ne voulait pas se calquer précisément au scénario, à un story-board très calé. Elle était prête à tout sacrifier du moment que cela semblait juste au moment présent, que ce soit naturel.

Il n’y a pas de désir de performance.

C’est une démarche assez courageuse… Est-ce que la prise de risque est l’un des moteurs de votre carrière ? 

I. C. : C’est ce que j’aime et que j’ai apprécié ici. Il n’y a pas de désir de « performance » dans le film. Ne pas être dans le bruit. On ne cherche pas l’événement, le spectaculaire. On peut aussi raconter une histoire qui, en apparence, n’a rien de spectaculaire mais qui raconte tout de même la transformation d’une personne. 

Dans votre filmographie, il y a comme un fil rouge centré autour de l’humain, et de la renaissance.  

I. C. : C’est ici complètement l’histoire d’une renaissance. Pas du tout l’histoire d’un deuil, même elle part là-bas pour le retrouver. C’est aussi une histoire de fidélité, à l’enfance et à la fraternité. Concernant mon parcours, j’ai longtemps eu l’impression que les points communs de mes rôles étaient l’innocence, une femme pure avec quelque chose qui se brisait. Dans La femme défendue, Les sentiments. Mon personnage vivait un choc et se reconstruisait, même si subsistait une fêlure. J’ai longtemps ressenti cela.

Désormais, même dans un autre registre dans 21 nuits avec Pattie, on sent une recherche de liberté. Pattie s’émancipe du passé. Il y a d’ailleurs beaucoup de points de commun avec Le coeur régulier. Le film des Larrieu avait quelque chose de Rabelaisien, avec une touche de Lewis Caroll.  Ici, c’est un film sur l’intériorité, sur le mystère. Que peut-on voir à travers un visage ? Qu’est-ce qui s’exprime dans un silence ? Le Japon était un endroit rêvé pour ça. C’est une civilisation où l’on a droit au silence, on n’a pas besoin de combler le vide. Et ce film évoque bien cela. Le vide n’a pas la nécessité d’être comblé. 

Il faudrait arrêter le dévaloriser le « non ».

À titre personnel, vous aviez déjà un lien avec la culture et à la spiritualité japonaise… Cette expérience a-t-elle changé votre regard ? 

I. C. : Cela a changé mon regard. Mais mon approche du japonais n’avait rien de spirituel. C’était plutôt matériel, très concret. Mon père était designer et a beaucoup voyagé au Japon dont il rapporté de nombreux objets. Progressivement, j’ai vu la maison de mon enfance se japoniser. Du coup, c’était étrange d’aller pour la première fois dans ce pays, d’être à la fois dans un univers qui m’était à la fois familier et totalement inconnu. Je connaissais certains codes, comme celui de ne pas pouvoir dire non… Qui me correspond très bien, j’ai beaucoup de mal à dire non ! C’est très dur de dire non. Pourtant, dans l’éducation, il faudrait arrêter de dévaloriser le « non » car parfois on en a drôlement besoin. C’est constructif et cela peut nous protéger. (Elle s’arrête).

Au final, j’ai été très surprise de retrouver un Japon qui n’était pas celui des cartes postales. J’ai découvert un Japon authentique, très modeste et proche de la réalité. 

Ce fut une appréhension pour vous ?

I. C. : J’ai plutôt ressenti l’appréhension du voyage. Le voyage me fait peur. Sûrement quelque chose de lié à l’inconnu, aux accidents, à l’éloignement. J’ai beaucoup d’imagination. C’est une très  bonne chose pour mon métier… Mais il y a aussi le revers de la médaille dans le privé. Je me raconte des histoires, par rapport à mes proches. Les premiers jours, j’étais très mal car j’étais déçu : cela ne correspondait pas du tout à ce que j’attendais. Et je ressentais l’éloignement par rapport aux gens que j’aime. Puis j’ai eu ce « deuxième effet Kiss-Cool », comme une révélation. Petit à petit, les choses me sont apparues sous un autre jour et j’ai aimé tout ce que je découvrais. Profondément.   

C’est un peu ce qui arrive à votre personnage… 

I. C. : Oui, parfois je réalise que l’on n’est pas si étanche que cela. Passer trois jours sur les falaises, à jouer à la vie et à la mort. Ces falaises étaient très très impressionnantes, nous étions tout proches du vide. C’était particulièrement angoissant. Rien que cela, c’est fragilisant. On s’interroge. Je n’aime pas me laisser envahir par le doute, cela peut ne pas paraître très professionnel… Mais on ne peut pas tout maîtriser. Marivaux disait, en parlant des acteurs : « Ils font semblant de faire semblant ».  

Propos recueillis et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir
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Entretien réalisé à Paris, le 21 Mars 2016

Remerciements : Isabelle Carré, Julie Tardit, Matilde Incerti & Jérémie Charrier



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