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DAVID TREDLER | Interview

Mardi 27 octobre a commencé la 15ème édition du Festival du film coréen à Paris. Seul festival en France exclusivement consacré aux films coréens, le FFCP a tenu et fait preuve d’une grande résilience face à un contexte sanitaire qui oblige à sacrifier de nombreux événements culturels.

Sans aucune certitude de pouvoir arriver au terme de sa semaine de projections, nous avions envie de nous entretenir avec son chef programmateur, grand spécialiste de ce cinéma d’extrême orient, David Tredler. Grand cinéphile et passionné, il a contribué avec ses équipes à faire du FFCP une véritable institution, rendez-vous incontournable de l’agenda parisien. Cela nous permet également d’entrer au cœur de l’organisation d’un festival de cinéma, d’appréhender ses doutes, ses difficultés, mais aussi ses joies.


Quel chemin vous a amené au cinéma coréen, qui n’est pas forcément une évidence quand on est un spectateur français ?

Le cinéma coréen je l’ai découvert comme beaucoup de français au début des années 2000. C’est le moment où sortent les films d’Im Kwon-taek, Kim Ki-duk, Hong Sang-soo, Bong Joon-ho ou Park Chan-wook. Cette nouvelle vague est arrivée et j’ai toujours beaucoup aimé le cinéma, j’avais 20 ans et je m’intéressais à un peu toute sorte de cinéma. J’ai tout de suite bien accroché et de plus en plus avec les années. Ensuite je me suis rendu au festival Paris cinéma, qui a disparu depuis, et qui mettait chaque année un pays à l’honneur. En 2006 ce fut le tour de la Corée du Sud, avec beaucoup de cinéastes invités, et beaucoup de films. A passer une semaine en immersion je me suis rendu compte à quel point le cinéma coréen était vraiment très très intéressant.

Cela nous amène donc au festival du film coréen à Paris. J’imagine que vous en avez d’abord été spectateur ?

Exactement. 2006 ce fut donc l’année de la Corée du Sud à Paris Cinéma, mais ce fut aussi la première édition du FFCP, et je m’y suis rendu en spectateur. A l’époque je tenais un blog sur mes pérégrinations de cinéphile parisien, et du coup j’ai pas mal écrit sur le festival. De le faire plusieurs années de suite ça m’a donné l’occasion de me rapprocher et de sympathiser avec l’équipe qui organisait à l’époque le festival. Une place de programmateur a fini par se libérer et le directeur de l’époque me l’a proposée.

FFCP 2020
J’ai cru comprendre qu’une de vos premières missions fut de trouver un nouvel écrin pour le festival, une nouvelle salle pour l’événement. Quelle importance cela a de trouver le bon endroit pour projeter ses films ?

C’est vrai qu’à l’époque se posait une problématique d’espace pour nous. Lors de mon intégration dans l’équipe le festival se déroulait au Saint André des Arts dans le Quartier Latin. Un tout petit cinéma, malgré ses trois salles, la plus grande n’excède pas les 130 sièges. Je m’étais rendu compte en tant que spectateur que pour avoir sa place il fallait arriver tôt. 200 ou 250 personnes venaient et il n’y avait pas de la place pour tout le monde. C’était très vite plein, de plus la deuxième salle faisait dans les 75 places. Comme je connaissais bien les cinémas de Paris, le directeur coréen m’a demandé de l’aider à trouver un nouveau cinéma, avec une salle d’au moins 300 places et une autre de plus petite taille pour compléter. J’ai démarché tous les cinémas parisiens qui avaient ce type de profil, et après quelques refus le premier intéressé fut le Publicis.

Nous y sommes depuis 2013, avant nous vagabondions et avions du mal à trouver notre écrin comme vous dites. Le Publicis permet d’allier le confort pour le spectateur, la qualité technique de projection et une équipe qui fait partie à part entière de la notre aujourd’hui.

Est-ce que pour vous c’est une forme de résistance de continuer à exister quand beaucoup (si ce n’est tous) des festivals asiatiques se sont arrêtés, à l’instar de Deauville Asia ?

Je pense oui. Chaque festival est différent, mais le notre est composé à 100% de bénévoles, donc des passionnés, qui n’ont rien d’autre à gagner ici que la passion et la joie de faire vivre le festival. Chaque année est comme une montagne à gravir, parce que chacun a sa vie à coté, et le temps qu’on donne c’est sur son temps libre, le soir, les week-ends, ce pendant de longs mois.
L’économie des festivals n’est pas évidente, et la logique semble être à terme la disparition à un moment ou un autre. Que nous soyons de continuer à exister après toutes ces années, et à se réinventer aussi. A résister quand il le faut, avec les hauts et les bas que cela sous entend. Parfois ça serait plus facile de laisser tomber parce que souvent il y a des années très difficiles, cette année particulièrement. C’est un engagement fort de poursuivre le festival année après année.

Le FFCP a tendance à être extrêmement pointu sur la représentation des femmes, avec une parité respectée entre réalisateurs et réalisatrices presque chaque année, là où beaucoup même de grand festivals peine à y arriver. Est-ce une volonté affirmée chez vous, ou cela se fait-il plus naturellement ?

Déjà la première facilité qu’on a vis à vis de ça c’est que le cinéma coréen compte des réalisatrices passionnantes. Même si on avait pas à penser à cette question là, ça se ferait naturellement en effet, car la parité est constante dans nos choix. C’est vrai que c’est une question qu’on se pose à un moment où un autre du processus de programmation. On a pu noter certaines années que c’était un peu moins le cas, mais nous n’avons jamais enlevé un film aimé pour en imposer un autre moins bon pour des questions de parité. De toute façon, quoi qu’il arrive nous n’avons jamais eu besoin de faire ce type de compromis. La parité s’impose d’elle-même à chaque fois une fois notre tri fait parmi les films visionnés, ce grâce à la qualité des réalisatrices coréennes, notamment au sein du cinéma indépendant. Peut être est-ce plus dur pour le cinéma dit commercial, même si on a remarqué que même là les lignes bougeaient ces dernières années. C’est donc une question qui est centrale et importante, mais nous n’avons jamais eu besoin de changer nos choix pour l’atteindre.

FFCP 2019
Comment est-ce de préparer un festival dans un contexte de crise sanitaire comme nous le vivons en ce moment ? Qu’est-ce qui a été le plus difficile et le plus douloureux ?

Le plus difficile c’est de tout simplement de travailler nuit et jour pendant des mois sans savoir si au final cela va servir à quelque chose. Un festival ça dure une semaine pour les spectateurs, ou au moment où on l’annonce, où ils font leur planning. Pour nous le début c’est un an plus tôt, on commence à travailler au tout début de l’année pour projeter à la Toussaint, ce sont des heures de visionnage, de négociations, d’acquisition, d’écriture, de sous-titrage et de traduction. C’est vrai que quand on se lance dans le festival on sait que ça va durer des mois, on avait commencé cette année un peu avant le début de la pandémie en France. Quand elle nous est tombée dessus on était vraiment lancés. Au moment du confinement on s’est dit qu’on verrait bien la suite des choses. Plus on avance et plus on se pose de questions.

Tout le processus en amont ne nous coûte rien financièrement. On engage pas encore de frais, mais à un moment cela intervient. Et alors on s’engage un peu plus à partir de là. Quand on a décidé de le faire, de continuer, chaque semaine qui passait, on allait être obligés de s’adapter, de programmer moins de films, de ne pas avoir d’invités, mais on va le faire. Et au final des annonces gouvernementales interviennent et on se rend compte que ça ne va pas être possible, qu’il fallait encore changer.

Cette année la situation nous a obligé d’être dans le renouvellement permanent, de ce que devait être le festival pour pouvoir avoir lieu tout simplement. Avec les mois de préparation c’est déjà assez épuisant en général, mais là par exemple au moment de la publication de nos catalogues et programmes intervient l’instauration du couvre-feu 48h après. A moins de deux semaines du festival il faut de nouveau tout réorganiser parce qu’on ne peut plus avoir de séances après 18h. Il faut recommencer, refaire un planning, repenser tout en terme d’organisation, renégocier avec les distributeurs pour savoir s’il est possible de séparer le festival en deux. Après, on commence et il se pose encore la question d’un nouveau chamboulement avec les rumeurs d’un reconfinement. Étant au pied du mur on lance le festival.

Habituellement quand on commence le festival le plus dur est fait. On est sur des rails, on aura des petits problèmes mais on sait gérer ça. Là on ne sait pas du tout si le festival pourra arriver au bout ni ce qui va se passer. Le plus dur c’est cette incertitude permanente tout du long de ces mois de travail.

Pour finir sur une note un peu plus joyeuse, si vous deviez citer un grand moment de joie au sein de toutes ces éditions du festival, qu’est-ce qui vous viendrait en premier à l’esprit ?

Mes plus grands moments de joie je pense que c’est souvent les derniers soirs. Ce qui me procure le plus d’émotions ce sont les cérémonies de clôture et les heures qui suivent. C’est pour moi le « climax » de cette semaine faite de hauts et de bas, d’intensité et de stress. Le dernier soir concentre tout ça, et s’installe déjà la nostalgie du festival, que le lendemain ça sera terminé, plus de films à présenter ni de spectateurs à rencontrer. C’est un moment d’intensité émotionnelle, où nous sommes tous là, toute l’équipe qui a participé pendant des mois parfois et d’autres juste pendant la semaine. Cette espèce de jubilation teintée d’amertume qui se mélangent, nous accompagnent jusqu’au bout de la nuit. C’est toujours très difficile avec des rires et des larmes. La grande difficulté cette année on ne pourra pas finir comme ça, dans le meilleur des cas on finira sur un trottoir en se donnant un coup de coude. On va certes s’épargner certes la mélancolie de la fin mais on va aussi perdre tout le sel qui fait cette montagne russe d’émotions des derniers instants du festival.


Propos recueillis et édités par F.B pour Le Bleu du Miroir // Crédits Photos FFCP



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