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Il y a bien longtemps dans une salle de montage lointaine, très lointaine…

Le monteur américain Paul Hirsch raconte ses cinquante ans de montage de films hollywoodiens à succès : La Guerre des étoiles, Carrie, La Folle journée de Ferris Bueller, Mission : Impossible, et d’autres.

Chacun sait que le rôle du monteur est primordial dans l’élaboration d’un film. Pourtant, une fois cette phrase prononcée, difficile d’expliquer à quel point cela est vrai, et surtout pourquoi. Les mémoires de Paul Hirsch, disponibles sur le site de Carlotta, répondent à cette question (et à bien d’autres). Combien y a-t-il de livres de monteur qui soient aussi accessibles et passionnants et non pas destinés uniquement à un public de spécialistes ? Très peu (1). Cet ouvrage est un compte-rendu précieux du métier ; il montre aussi comment sont fabriqués les films dans l’industrie hollywoodienne depuis cinquante ans.

Aussi évident que respirer ou boire ? Effectivement, le montage au cinéma, quand il est bien fait, semble couler de source. Pourtant, la science sur laquelle se fonde le langage cinématographique est complexe. Le livre de Paul Hirsch nous permet de comprendre de l’intérieur le rôle essentiel du monteur au cinéma. Loin de régler ses comptes avec une industrie qui ne fait pas de cadeau, le monteur relate avec modestie les hauts et les bas d’une carrière riche en rencontres et en expériences de toutes sortes. Avec humour et candeur, il nous fait rentrer dans la cuisine de fabrication de films que nous pensions déjà connaître par cœur, dont le Star Wars (1977) de George Lucas et sa suite L’Empire contre-attaque (1980).

Sur le tas

Né en 1945, Hirsch a suivi des études d’histoire de l’art à New York avant de faire un détour par Paris où il a complété sa connaissance du cinéma. De retour chez lui, il a appris le métier de monteur sur le tas en travaillant sur des publicités et des bandes-annonces, avant de rencontrer Brian De Palma et de faire ses premières armes au cinéma à ses côtés sur Hi, Mom ! (1970) et ses films suivants. Grâce aux relations établies dans le métier, Hirsch construit petit à petit son réseau et se fait une place dans l’industrie. Le livre est bourré d’anecdotes plus amusantes les unes que les autres et ne manque pas de surprises. On y apprend notamment qu’une nomination aux Oscars (en l’occurrence celle pour Ray en 2004) n’amène pas forcément son lot de propositions. On y voit surtout le travail sur la pellicule 35 mm, maintenant disparue, et les contraintes avec lesquelles le monteur doit jongler.

Indirectement, le livre éclaire d’un nouveau jour nombre de personnalités du cinéma, à commencer bien sûr par Brian De Palma avec lequel le monteur a fait douze films dont Obsession (1976) mis en musique par Bernard Herrmann. Les pages sur le compositeur de Citizen Kane (1941) sont fabuleuses et émouvantes tant on voit en action un génie de la musique et du cinéma, qui pouvait être exécrable, mais qui pouvait aussi suggérer une scène d’ouverture de film tout à fait pertinente. On pensait que le rôle du compositeur se limitait à la musique, on y apprend qu’Herrmann avait une telle expérience du cinéma que son intuition de conteur d’histoires était souvent juste. C’est une des raisons qui font de ce livre un témoignage précieux car il nous permet d’élargir notre connaissance du cinéma.

Sauver Star Wars

Le monteur est un peu comme le batteur dans un groupe de rock. Il est en retrait mais son importance est capitale. Son intervention, son génie peuvent sauver un film. George Lucas compare la création d’un film à un voyage sur l’océan. Hirsch le cite page 140 : « Tu sais quand tu prends la mer et tu espères que tu sais où tu vas, mais il arrive que tu te retrouves au milieu de l’océan et qu’il n’y ait aucune terre en vue nulle part. » Trouver du sens là où il n’y en a pas, faire qu’un film fonctionne est un art que seul les meilleurs monteurs maîtrisent. Si Paul Hirsch est d’une grande humilité, Lucas estime lui-même un peu plus loin que c’est lui qui a sauvé Star Wars. Et cette fois, l’Académie ne s’y est pas trompée puisqu’elle a octroyé au monteur et à ses assistants un Oscar du meilleur montage.

À de nombreuses occasions, Paul Hirsch a permis aux producteurs et réalisateurs de sauver leur mise, comme sur Obsession, où le fait de modifier un plan a changé la signification du film et lui a permis au final de trouver un distributeur.

De nombreux autres aspects de la création cinématographique sont montrés de l’intérieur : l’importance des projections test, la pression des délais imposés par les contrats de la Directors Guild of America (qui spécifient que les réalisateurs ont dix semaines à la fin du tournage avant d’être obligés de montrer leur montage aux producteurs), le fait qu’un réalisateur filme chaque jour en moyenne entre quarante-cinq minutes et une heure de pellicule (seul Joel Schumacher descendait sous la barre des trente minutes car le visionnage des rushes lui était trop pénible), comment les réalisateurs se positionnent par rapport aux acteurs (en restant tout près d’eux ou en surveillant leur jeu de loin sur un moniteur, voire les yeux fermés juste avec un casque audio), l’importance des musiques provisoires pendant le montage et la valse des compositeurs virés pour cause d’incompatibilité avec le projet… (2)

Si le monteur a travaillé sur des films prestigieux, il a aussi connu son lot de navets ou de films commerciaux. Deux réalisateurs ont beaucoup compté dans sa carrière : John Hughes et Herbert Ross. Ce dernier est moins connu en France, mais il gagne à être redécouvert tant certains de ses films sont émouvants (Potins de femmes), drôles (Sherlock Holmes attaque l’Orient-Express) et d’autres simplement distrayants (Footloose, Le Secret de mon succès).

Le livre permet aussi d’assister à la mise en place progressive du numérique dans le cinéma à partir des années 1990 et comment le monteur (et toute l’industrie) s’y sont progressivement adaptés. 

Enfin, on recueille de-ci, de-là de savoureuses phrases sur le métier : « La véritable forme d’art à Hollywood, c’est d’humilier les gens », ou encore sur la nécessité de faire des films courts : « Peu importe si le plat est bon, on finit toujours par en avoir assez. » ou encore sur la nécessite de mettre parfois de côté les considérations artistiques : « On est dans le show business, pas dans le « show art » ».

Bien écrit et découpé en chapitres courts, le livre de Paul Hirsch se lit facilement et donne une furieuse envie de voir ou revoir les films sur lesquels il a travaillé. Une mine d’or pour les cinéphiles, de multiples raisons de découvrir et d’aimer le cinéma pour les autres.

Paul hirsch

LIVRE ÉDITÉ PAR CARLOTTA & ALMANO FILM, 2022, 470 PAGES


(1) notons tout de même l’ouvrage de Walter Murch, In the Blink of an Eye: A Perspective on Film Editing, ainsi que celui du monteur d’Alain Resnais Albert Jurgenson Pratique du montage (avec Sophie Brunet).
(2) comme Alan Silvestri remplacé par Danny Elfman sur le premier Mission : Impossible (1996).



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