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HISTOIRE PERMANENTE DES REALISATRICES

C’est l’américaine Joan Micklin Silver qui a les honneurs cette année de ce programme qui a par le passé remis en lumière les filmographies de Lina Wertmüller, Muriel Box, Dorothy Azner, Larissa Chepitko ou Ida Lupino. Joan Micklin Silver prend la caméra à 40 ans, produite par son mari Raphaël D. Silver (après avoir essuyé le refus des majors). Le festival a choisi de montrer 3 de ses dix films plus On the Yards pour lequel mari et femme ont inversé les rôles. Nous avons vu Hester Street et Between the Lines, de très belles découvertes qui révèlent, sous le vernis de la comédie, un œil de sociologue et une grande créatrice d’atmosphère.

Hester Street, 1975

Hester Street, dans le Lower East Side new-yorkais, à la fin du XIXe siècle. Jake, Juif immigré, a quitté la Russie il y a trois ans, laissant derrière lui sa femme Gitl et leur petit garçon. Travaillant dans un atelier de couture et fréquentant la belle Mamie, rencontrée dans une soirée dansante, il fait tout pour s’intégrer. Installé, il peut désormais faire venir femme et enfant. Mais Gitl, attachée aux traditions orthodoxes, est déroutée par cette nouvelle vie… 

Hester street

Il fallait du culot et surtout une bonne dose de créativité pour récréer, avec un budget de 3OO OOO dollars, l’ambiance du New-York de 1896. Dans un noir et blanc peut contrasté où s’épanouissent les gris, la réalisatrice parvient, en quelques scènes d’extérieurs, à redonner au quartier sa vie d’antan. Le très beau travelling à la moitié du film donne même l’idée d’un foisonnement pittoresque.  

Le cœur du film se situe ailleurs, dans un petit deux pièces que Jake partage avec l’austère M. Bernstein, ancien talmudiste. Suffisamment installé, Jake peut faire venir Gitl, sa femme et Yossele, son fils. Mais Gitl n’entend pas, au nom d’une assimilation factice, trahir son identité. Elle refuse de sortir cheveux non couverts et d’appeler son fils Joey, prénom abruptement attribué par son père. 

Le film est formidable en cela qu’il déroule le drame conjugal tout en brossant le portrait de cette communauté juive immigrée. Micklin Silver avec justesse et légèreté, réussit parfaitement, avec une grande tendresse pour ses personnages, à émouvoir et faire sourire d’un même geste.

L’émotion du film doit beaucoup à Carol Kane, petite poupée de porcelaine à la volonté d’airain. Elle donne au récit d’émancipation une tonalité existentielle et au film une densité dramatique surprenante. Elle obtiendra une nomination pour l’Oscar de la meilleure actrice. Traité de manière plus théâtral, le personnage de Jake n’est pas méprisé pour autant. Il s’accommode, mu par l’optimisme de la volonté.

Ayant obtenu le divorce (scène qui relie Gitl à Viviane Amsalem dans une histoire de l’émancipation des femmes juives au cinéma), elle peut se rapprocher de M. Bernstein et envisager un destin américain sans rupture avec ce qu’elle a été jusqu’alors.

On retiendra deux scènes qui symbolisent parfaitement le ton du film, fin et léger. Dans la première une dispute éclate entre Jake et Gitl. S’interpose la logeuse, personnage presque bouffon, qui en deux répliques fait exposer la tension en fou rire. On n’en dévoilera une seule : « est-ce que tu peux me pisser dans le dos tout en faisant croire qu’il pleut ? ». La seconde est une petite merveille de subtilité, une déclaration d’amour entre deux timide. Le jeu sur le double sens des dialogues se conclut par un coup de ciseau, sans doute le plus beau de l’histoire du cinéma.


Between the Lines, 1977

Boston. Le journal indépendant The Back Bay Mainline traverse une crise d’identité. Le quotidien est menacé de rachat par un magnat de la presse et sa rédaction est ébranlée dans ses certitudes. 

Between the lines

Changement de décor pour ce deuxième long-métrage. Avec ce portrait de groupe, Joan Micklin Silver signe une comédie de mœurs effervescente tout en observant le comportement d’une génération guettée par la désillusion.

Membres historiques du Back Bay Mainline, ils sont un petit groupe de rédacteurs et photographes à avoir accompagner le mouvement de la contre-culture. Le journal, désormais dans une situation financière difficile, est sur le point de perdre son identité, bientôt racheté par un grand groupe de presse. Tout à leur rivalité, les garçons rêvent de gloire romanesque quand les filles essaient d’y croire encore. Au sein du groupe, on interroge les amours autant que les attentes. Rythmé par une bande originale folk et rock, le film alterne scènes de pure comédie (au milieu desquels, Jeff Goldblum règne en critique rock fauché, il est inoubliable de coolitude dans sa salopette kaki et son blouson satiné) et prise de conscience d’un temps révolu qu’on n’a pas vu venir. En confrontant ses personnages à la perte des idéaux, la réalisatrice arrive à montrer, avec pas mal d’habileté, que lorsque l’énergie de l’aventure collective baisse d’intensité, l’amertume pointe le bout de son nez. 

Il faut compter Between the Lines au nombre des grands films choraux, entre le film de potes (avant Les copains d’abord de Lawrence Kasdan  et Le Déclin de l’empire américain de Denis Arcand, deux références des 80’s) et le film sur la presse. 


Présentés dans le cadre du festival Lumière 2020




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