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HALEY BENNETT | Interview

Après avoir écumé les festivals, passant de Tribeca à Deauville, Swallow s’est taillé une réputation, transformant le premier film de son réalisateur Carlo Mirabella-Davis en un véritable tour de force. Nous avons échangé avec son actrice principale, Haley Bennett qui évoque sa collaboration, mais aussi le poids du patriarcat ainsi que la place des femmes dans l’industrie cinématographique.

Vous avez joué pour Gregg Araki dans Kaboom, puis dans des films à plus grand budget comme les 7 Mercenaires et la Fille du TrainSwallow est votre première incursion dans le genre horrifique, comment s’est passé votre collaboration avec Carlo Mirabella-Davis?

Haley Bennett : J’ai adoré travailler avec Carlo, il a été adorable. Nous devions tourner en très peu de temps, ce qui représentait une pression supplémentaire, en plus du fait que c’était son premier film. Il s’en est sorti à merveille. Il parle six ou sept langues, et est un peu mystique. Je me souviens d’une fois où nous avons travaillé ensemble sur le plateau. C’était une scène vraiment importante, puisque Hunter avale pour la première fois un objet. Carlo m’avait tendu une note sur laquelle il me demandait de regarder l’objet comme une licorne dorée. (rires) Et c’est à ce moment précis que j’ai véritablement pu faire corps avec le personnage. Cela a été le début d’une relation efficace, puisque nous sommes parvenus à communiquer de manière très fluide. 

Lors de ses interviews, Carlo Mirabella-Davis raconte que le personnage d’Hunter a été inspiré par l’histoire de sa grand-mère. Comment avez-vous été impliquée dans l’élaboration du personnage ?

C’était un script passionnant. J’ai pu participer à son écriture dès le début, et nous avons pu construire le personnage ensemble, à partir d’influences que nous avions. J’ai été très chanceuse que Carlo soit aussi ouvert sur les idées que j’ai pu lui proposer, ce qui m’a aussi donné une grande confiance en moi. Il m’a aidé à donner voix au personnage d’Hunter.

Hunter est atteinte du syndrome du Pica, qui la pousse à manger des objets non-comestibles. J’imagine que cela a dû nécessiter une préparation physique ?

 En fait, il n’y avait pas de chorégraphie. Je ne savais pas trop comment me positionner lorsque Hunter avale une punaise par exemple. C’est un objet pointu, potentiellement dangereux. Sur le plateau, c’était assez drôle car chacun.e s’est demandé comment il faudrait avaler une punaise. (rires) Par la suite, je me suis étrangement moins focalisée sur l’objet lui-même et j’ai laissé parler mon instinct. Il fallait transcender la douleur et l’épuisement physique. On dépassait la performance physique pour lui injecter une émotion, un sentiment de contrôle et de pouvoir. Ce qui importe finalement, c’est surtout le moment qui suit l’ingestion, qui agit comme une sorte de catharsis.

Hunter est l’archétype parfaite de la femme au foyer américaine : toujours souriante en société, à l’écoute de son mari, bonne cuisinière et bonne ménagère, cachant tant bien que mal la douleur qui la ronge. Il y a une véritable dualité dans sa personnalité, comme si vous deviez jouer deux personnages en un… 

Hunter est une femme qui essaye de dissimuler qui elle est véritablement. Elle est prisonnière d’un cercle patriarcal qui lui impose une manière d’être. Elle veut à tout prix s’intégrer dans cette société, et être l’épouse parfaite afin d’être aimée en retour. Tout le film tend à la caractériser ainsi, que ce soit dans les costumes ou le maquillage. Les décors sont d’abord lumineux, puis le vernis se craque et ils sont peu à peu vidés de leurs couleurs. C’est une manière de faire comprendre au spectateur qu’elle est une vraie personne qui essaye de regagner son âme.

Il y a cette scène où Hunter dîne avec son mari et ses beaux-parents. Elle qui est pourtant très discrète parle pour la première fois d’une anecdote personnelle, et avant même d’avoir fini, son beau-père lui coupe la parole pour s’adresser à son fils. En tant que femme, cette scène paraît extrêmement réelle, dans la mesure où l’on a souvent l’impression que notre parole importe peu. 

Absolument. Et c’est pour moi une des scènes les plus poignantes du film. Je m’identifie beaucoup à cette situation. Je trouve qu’il est nécessaire que le film aborde ce sujet en se glissant dans l’intimité d’Hunter. Alors qu’elle commence peu à peu à s’ouvrir aux autres, elle se sent soudain trahie et rejetée, mais aussi très seule. Elle ressent une certaine honte, que l’on ressent en tant que femme et que l’on a intériorisé. De plus, lors de cette scène, l’entourage d’Hunter célèbre sa grossesse, alors qu’elle n’est elle-même pas sûre de vouloir cet enfant, parce qu’elle est mariée à un homme qu’elle ne voit que très peu et qui ne la connaît pas vraiment. Avant même cette scène de repas, lorsqu’elle apprend à son mari qu’elle est enceinte, il n y a aucune intimité entre eux. Hunter est aliénée par ce cercle patriarcal qui ne l’aime pas et qui se fiche totalement d’elle. La famille de Richie ne tolère pas qu’elle puisse avoir des opinions et n’est de toute façon intéressée que par le pouvoir. Hunter n’a même pas le droit d’être une véritable personne. Et c’est à ce moment qu’elle prend conscience de sa place, ou plutôt de son absence dans cette dynamique. C’est quelque chose de très sombre. 

Il y a de plus en plus de femmes qui parviennent à se faire entendre, qu’elles soient réalisatrices ou productrices 

En tant qu’actrice, et plus généralement en tant que femme dans une industrie essentiellement contrôlée par des hommes, trouvez-vous que vous avez l’espace nécessaire pour vous exprimer ? 

Les choses commencent à aller mieux, sans aucun doute. Il y a de plus en plus de femmes qui parviennent à se faire entendre, qu’elles soient réalisatrices ou productrices par exemple. J’admire tout particulièrement Charlize Theron, car c’est une vraie leader, engagée dans beaucoup de combats sociaux, et qui fait un travail extraordinaire en plus d’être une grande productrice. Je pense aussi à Margot Robbie et à toutes ces femmes qui apportent une voix très forte dans l’industrie, et qui permettent à d’autres femmes d’avoir de nouvelles opportunités. 

Qu’est-ce que pourraient en tirer les spectateur.ice.s de Swallow

De toujours se faire entendre, et d’être toujours franc. C’est l’histoire d’une femme qui parvient à s’émanciper d’un système patriarcal et à retrouver le contrôle d’elle-même, et c’est pour moi quelque chose de très fort. 


Propos recueillis, traduits et édités par Amandine Dall’omo pour Le Bleu du Miroir


Lire aussi : notre interview du réalisateur Carlo Mirabella-Davis




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