F-videau

FRÉDÉRIC VIDEAU | Interview

Selon la Police, semble, au premier abord, traiter un sujet de société et d’actualité. Mais très vite le film sort d’un schéma attendu, surprend, et passionne. Nous avons voulu rencontrer son réalisateur Frédéric Videau pour comprendre la genèse et la fabrication de ce film. De l’enquête à l’artifice, rencontre avec un homme discret portant sur le monde un regard aiguisé et sensible.

D’où vient ce film ?

Frédéric Videau : J’ai été en contact avec la police très tôt, vers 12/13 ans, en raison de mes activités politiques. Puis il y eu les lectures. Je suis un dingue de roman noir, qu’il ne faut pas confondre avec le roman policier. Le roman noir est né aux États-Unis dans les années 30 et 40, il va de Dashiell Hammet jusqu’à James Ellroy. En France, un de mes écrivains préférés est Manchette. Il y a quelqu’un sur qui je suis tombé par hasard, c’est Joseph Wambaugh, qui vous connaissez forcément même si vous ne l’avez pas lu parce qu’il est le scénariste d’au moins deux films magistraux, Les Flics ne dorment pas la nuit de Richard Fleischer et The Onion Field de Harold Becker. Les deux films sont adaptés, je crois, de ses propres romans. Jo Wambaugh, est un ancien flic, il a une carrière assez analogue à celle de Manchette. Pour ceux qui ont vu Short Cuts de Robert Altman, il y a un épisode assez drolatique où un scénariste d’Hollywood, donné comme médiocre, essaye de se faire enfermer dans une des cellules du commissariat où Jo Wambaugh a été flic. Les enquêtes étaient de purs prétextes à les faire parler les flics entre eux, ça a été un choc pour moi. C’est à la fois, poignant, violent, noir et extrêmement drôle. Voilà pour la source littéraire.

Il y a aussi, forcément, une source contextuelle. Au cours des 15/20 dernières années, j’ai vu, petit à petit, quelque chose évoluer dans ce pays, que je n’arrivais pas à saisir. J’ai vu monter une violence réciproque, de la part des flics et de la part de la population. Et par ailleurs, un jour, je ne sais plus pour quelle raison mais elle était tout à fait vénielle, des flics se sont approchés de moi et j’ai été saisi de peur. C’était il y a 7 ou 8 ans, et je me suis demandé, pourquoi moi, citoyen lambda au casier totalement vierge, n’ayant même pas un PV de stationnement en souffrance puisque je ne possède pas le permis de conduire, j’ai eu si peur ? Je me suis dit qu’il fallait que je m’attaque à ça.

Je suis réalisateur, je ne suis pas flic, pas médecin, pas juge, pas journaliste.

On sent très vite que le film est nourri par deux pôles, d’une part le fruit d’un travail d’enquête et d’autre part un traitement de ces informations, avec les outils du cinéma, qui opère un déplacement du réel. Vous revendiquez ces deux approches ?

Avant l’écriture de la moindre ligne du scénario, je me suis effectivement documenté pendant quatre mois, de toutes les manière possibles, y compris en allant au contact de flics. J’ai refusé la proposition d’être embarqué au sein d’une brigade où des flics aimables et beaux parleurs ne m’auraient montré que ce qu’ils voulaient. Je voulais rester maître de mon regard. Ça a été un travail assez fastidieux, j’y allais deux fois par semaine. J’avais ciblé plusieurs commissariats dans Paris que je connaissais fort bien pour d’autres raisons. Mais j’avais passé un deal avec le producteur. Si, à l’issue de ces quatre mois, je n’étais pas convaincu de pouvoir faire un film de cinéma, avec les ressources du cinéma, l’artifice, etc… je laissais tomber l’affaire. Je suis réalisateur, je ne suis pas flic, pas médecin, pas juge, pas journaliste.

Ni avocat.

Ni avocat ! Comme j’avais acquis la conviction absolue que je pouvais en faire un film, j’ai ensuite passé 15 jours à travailler sur la forme de ce film. J’ai compris que un ou deux héros, ça ne marcherait pas. J’ai opté pour la choralité avec ce dispositif d’une journée qui recommence pour 5 flics avec un sixième qui traverse l’existence de tous les autres. Et dernier point, je ne m’intéressais qu’aux flics de rue, ceux qui battent le pavé, pas la police de maintien de l’ordre, pas la police de brigade spécialisée. Seulement le 17, le prolétariat de la police. Si vous avez vu mes films précédents, vous savez que mon point de vue n’a jamais varié. Je montre les classes laborieuses, les classes dangereuses. Je montre les pauvres, les démunis et les laissés-pour-compte, où qu’ils soient.

Vous affrontez des sujets qui travaillent des endroits où ça gratte, où ça dérange.

C’est drôle que vous disiez ça. Lors d’une avant-première, un spectateur m’a interpellé en me disant qu’en voyant le film, il s’est dit que Pialat n’était pas tout à fait mort. J’ai eu peur. Pialat est un immense cinéaste dont je n’aime pas tous les films. Mais je suis dingue de La Maison des bois, je suis dingue de La Gueule ouverte et de L’Enfance nue et je suis dingue de son Van Gogh. Mais je ne suis pas un naturaliste même si lui en est un tordu. Et je trouve que les cinéastes qui se réclament du lui ont un peu affadi sa postérité. Ce spectateur m’a aussi dit une chose à laquelle je n’avais jamais pensé. Pialat ne filme pas pour déplaire mais au risque de déplaire. D’habitude je ne fais lire mes scénarios qu’à mon producteur et ma compagne.

Là, en raison de la structure complexe, j’ai demandé à Axelle Ropert, qui avait travaillé sur À moi seule, de le lire pour savoir si ça fonctionnait. Le scénario lui a plu, elle n’avait rien à redire mais elle m’a fait une remarque. Elle m’a dit : « tu aimes bien aller à la limite ». J’ai été très surpris, je lui ai répondu : « absolument pas, je n’ai aucun goût pour ça, je vais simplement au bout des scènes ». C’est une autre manière de vous répondre.

Le film commence là où finit Le Train sifflera trois fois.

J’en ai un souvenir lointain, c’est celui avec Kirk Douglas ?

Non c’est celui avec Gary Cooper, qui, après avoir gagné la partie et enlacé Grace Kelly, jette à terre son étoile de shérif.

Putain c’est vrai… C’est génial ! Je n’y ai absolument pas pensé.

Alors qu’à la fin du film, il y a une référence explicite à Rio Bravo…

J’allais dire c’est presque le hasard, pas tout à fait. Quand j’ai repéré ce décor avec Céline Bozon, on a vu ce panneau et Céline s’est immédiatement tourné vers son chef électro et lui a dit : « Pierre, prépare-toi, il va vouloir tourner là ». Elle était morte de rire. Comme tout le monde j’adore Rio Bravo mais puisqu’on parle cinéma je dois dire que dans la méthode, dans les humeurs, dans la construction des séquences, dans le mélange du drame et de l’humour, pour moi John Ford est au-dessus de tout, c’est Dieu. Dans les échanges sur Ford entre Serge Daney et Régis Debray, Daney explique qu’il filme si vite qu’il fait deux fins. Une pour le spectateur et une pour le monde. J’ai repris ça dans Selon la police.

L’âme humaine est si complexe, contradictoire, que je suis obligé de prendre des virages à 90° pour en rendre compte

Ce film confirme après À moi seule que vous maîtrisez l’art du contre-pied. Vous n’empruntez jamais les chemins attendus. À moi seule se débarrassait d’emblée de toute la dramaturgie liée au récit de séquestration et Selon la police joue beaucoup avec les faux-semblant.

Je comprends que vous le formuliez comme ça mais ce n’est pas une intention chez moi. L’âme humaine est si complexe, contradictoire, que je suis obligé de prendre des virages à 90° pour en rendre compte. Le cinéma, c’est l’art du détail, il a ça en commun avec la psychanalyse. Il faut qu’il soit imparable mais pas aveuglant. Par exemple pour le personnage de Fouad, je savais qu’il me fallait un grand type, très maigre pour figurer à la fois un ange déchu et un martyrisé. J’ai pas convoqué ex nihilo des images christiques mais c’est là. Certains le verront, d’autres pas. Et Idir Azougli est fantastique.

Le casting est remarquable et la composition de Patrick d’Assumçao saisissante, très physique, presque burlesque.

Le directeur de casting du film est Stéphane Batut avec qui je travaille depuis longtemps. J’ai pris l’habitude de lui faire des descriptions physiques très précises. J’ai besoin d’investir des corps particuliers. Au début ça l’énervait mais maintenant ça le fait rire et il m’a fait remarquer récemment que je fais un casting comme on compose un paysage. Hors le talent, il faut que je sente une connexion possible. Généralement je le sais dès la première rencontre. Et puis vient le physique. Pour Ping-Pong, il me fallait un ours, un type à la fois malhabile et gracieux, rempli d’une vie antérieure, c’est Patrick. Je voulais une silhouette un peu alourdie qui s’allège, se dépouille des oripeaux de flic à mesure que le film avance. Le cinéma c’est physique, j’ai découvert Kelly Reichardt, que je considère comme la plus grade cinéaste contemporaine grâce à Serge Bozon. Il y a dans Old Joy un plan merveilleux où la main d’un des deux hommes s’abandonne dans la fontaine. Elle a compris que tout tient dans la représentation des carcasses. Je me sens frangin de ça. Sur À moi seule, je disais à Reda Kateb que je voulais le voir marcher comme un loup.

L’uniforme de Ping-Pong constitue tout de même une seconde peau, dont il ne se débarrassera peut-être jamais ?

Au dernier moment, quand il s’y attend le moins, il aura son boulot de flic à faire. Cette seconde peau le désigne à la haine et à la violence mais elle raconte aussi l’homme qu’il est.

J’essaye de saisir quelque chose de caché derrière la réalité crue, d’en capter l’humeur au vol

Le personnage est rattrapé par la réalité alors qu’il ne cesse de tirer le film vers un ailleurs, onirique, voire fantastique.

Je suis désolé je vais encore citer quelqu’un qui a vu le film. Sophie Fillières, qui est sans doute ma plus proche amie dans le cinéma m’a dit : « Ton film dessine une sorte de poésie du monde, dévasté le monde ». On retrouve cette étrangeté dans tous mes films. J’essaye de saisir quelque chose de caché derrière la réalité crue, d’en capter l’humeur au vol. Mes films disent tous la même chose : le monde est plus grand que nous, nous ne l’attraperons jamais. Voulons-nous en faire partie ? C’est la seule question qui vaille.

Pour finir, à propose d’outil de cinéma et d’artificialité, la pluie joue un grand rôle dans le film, comment l’avez-vous utilisée ?

C’est la première fois que j’avais les moyens de mettre en place des rampes à pluie. On a pu embaucher une équipe d’effets spéciaux. Je voulais une pluie à la fois artificielle et toute simple, des hallebardes qui tombent tout droit. J’ai dû me bagarrer avec eux mais ils étaient finalement très contents du résultat. Par ailleurs, le film postule que la pluie est la meilleure alliée des flics et l’infirme ou l’affirme personnage après personnage. Le film doit répondre aux questions qu’il pose. La pluie n’est pas seulement un acteur du film, elle est un élément du rapport au monde qui est le mien. Relire l’Évangile selon Mathieu : « afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes ».


Propos recueillis par F-Xavier Thuaud pour Le Bleu du Miroir


Crédits photo : Pyramide Films



%d blogueurs aiment cette page :