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FRANKIE WALLACH | Interview – 1ère partie

Extérieur jour, un café dans le Marais, par un début de mois de septembre encore ensoleillé. Frankie Wallach arrive à vélo, avec le sourire. Une fois installée face à un thé glacé, on lui demande comment elle va et comment va sa grand-mère. Frankie va bien, Julia aussi, « comme une femme de 96 ans », nuance sa petite-fille : le tournage de Trop d’amour, c’était il y a deux ans déjà.

Entretien fleuve avec Frankie Wallach, dont voici la première partie. 

PARTIE 1 : TROP D’AMOUR

LBDM : Dans Trop d’amour, qui est aussi un « film sur un film », vous racontez le processus créatif de votre personnage. Frankie commence par un projet d’adaptation d’une pièce de Duras, puis en vient à faire un film sur sa famille. Est-ce que vous décrivez ce que vous avez traversé ?

F.W. : Oui, ça me paraissait important d’être honnête : toutes les interrogations qui se retrouvent dans le film sont les miennes ! Je voulais vraiment adapter Marguerite Duras et cette pièce en particulier [un dialogue entre deux femmes, ndlr.] et surtout immortaliser ma grand-mère autrement qu’en tant que déportée. Je voulais passer à autre chose et arrêter de parler de ça… et clairement, on se retrouve quand même à en parler.

Et puis comme tout est allé très vite – on n’a pas fait de financement, le film est né en même pas trois mois – je dirais même que mon cheminement personnel a été encore plus lent que celui de l’héroïne du film.

Justement, bien que largement inspiré de votre famille, le film reste une fiction. Comment avez-vous choisi quels éléments retenir, quels détails et personnages allaient être transposés dans le scénario ?

Au moment où le film est devenu un long-métrage, j’ai demandé à Agnès Hurstel d’écrire avec moi. Au début, le focus était sur Julia et Frankie, mais tous les personnages de la famille étaient quand même là depuis le départ, ça me paraissait important. Le personnage d’Hamza – qui est aussi mon meilleur ami dans la vraie vie – n’existait pas du tout, par contre.

Mais il se passait des choses improbables pendant que j’écrivais : mon père, par exemple, qui me disait « il faut que je t’accompagne voir les prods… il faut que je joue dedans ! ». Ça, on le retrouve dans le film. Je me suis dit « arrête d’aller chercher loin, rapproche toi de ce que tu es ». Duras, c’était trop éloigné de mon vrai sujet… sans doute parce que j’avais peur d’y aller.

Par rapport au fait de faire jouer les membres de votre famille par des comédiens, comment choisir qui serait incarné par un acteur, qui jouerait son propre rôle ?

Ça c’est presque fait au hasard. Pour ma grand-mère et moi, c’était évident : si je lui avais mis n’importe quelle autre fille en face elle n’aurait pas compris. Et puis j’étais comédienne. Tout le reste devait être des acteurs depuis le début. Après, je dirais quand même que même mes « non-acteurs » jouent. Moi-même je joue un personnage différent de ce que je suis !

Pour mon père, j’ai vraiment pas trouvé d’acteur aussi bon que lui dans son propre rôle. Il a cette ambivalence entre « je suis un peu agressif », « je suis mal à l’aise et d’un coup je peux chialer ou rigoler »… Il rêvait de jouer, mais du coup je lui ai fait passer dix tours de casting et à chaque fois je lui disais « non ça va pas, faut qu’on bosse » … Mais en vrai, depuis le deuxième casting je savais que c’était lui, je voulais juste le challenger pour voir à quel point il était prêt à être sérieux.

Il a compris ce qu’était être un acteur, au début je lui donnais beaucoup d’indications mais la scène de fin dans le salon par exemple c’est lui qui a lancé puis mené l’impro, il donnait le rythme et cassait le rythme quand il fallait, il surprenait tout le monde, à commencer par moi.

Trop d'amour
Comment est-ce que les « vrais » comédiens ont travaillé leurs personnages ? Ils ont rencontré ceux qu’ils allaient incarner ?

On a fait simple, direct, je pense. Ils sont venus à des dîners de famille ; ils ont tous beaucoup beaucoup observé et on a énormément bossé le corps. Tout le monde avait ses petits codes, pour vraiment se transformer : Mahault, qui joue Allie, ne lui ressemble pas du tout dans la vie. Elle a pris une manière de parler, une posture, c’est assez incroyable.

Donc pas de longues discussions avec ceux qu’ils jouaient ?

On s’est dit que ce n’était pas ce qu’on voulait faire. J’ai été une sorte d’intermédiaire entre les acteurs et leurs personnages, par exemple pour les scènes de casting dans le film. Dans la vraie vie, je les avais tellement bassinés avec l’histoire de ma famille que lorsque j’ai posé des questions « surprises » aux acteurs, par exemple « qui est Myriam ? », ils ne s’attendaient pas du tout à cette question… Mais savaient plus ou moins qui elle était, sans avoir besoin de réfléchir à leur personnage. Ils ont pu répondre et j’ai joué avec le fait qu’ils étaient mal à l’aise.

Dans le film, Frankie est finalement assez discrète. Vous disiez que ça n’était pas tout à fait vous, qu’elle restait un personnage ?

J’ai eu la volonté de ramener de la fiction pour me protéger et que ça ne devienne pas voyeuriste, et égocentrique, surtout. Que ça ne devienne pas « regardez moi, écoutez moi »… C’était le plus grand danger de ce film, je n’avais qu’une peur, c’était qu’on dise que je suis narcissique. Il y a donc plein de choses différentes. Par exemple, je suis célibataire dans le film, et il y a cette histoire avec Hamza qui est ambiguë pour le spectateur, alors que dans la vraie vie pas du tout. Ou tout simplement le fait que j’ose craquer et péter un câble contre mon père, ce que clairement je n’oserai JAMAIS de ma vie. Frankie dans Trop d’amour, ce n’est pas moi au quotidien.

D’ailleurs, en définitive, le film en dit assez peu sur vous…

Il n’y a pas beaucoup de Frankie, c’est vrai. Honnêtement, j’ai pas réussi, peut-être à cause de ce manque de recul dont je parlais tout à l’heure. Et ma famille est tellement envahissante, ils se disent tellement tout et rien… Ils sont tellement bavards donc d’une certaine manière j’avais besoin que ce personnage soit d’une extrême pudeur. On comprend des choses de ce personnage pas forcément par ce qu’elle dit, mais par des petits comportements.

La scène du casting de la mère, par exemple, quand elle lui dit « tu sais que je t’aime ? » Frankie répond « ouais, c’est cool » – pour moi ça montre qu’elle est gênée, qu’elle n’est pas encore prête. Disons qu’elle essaye de parler avec sa caméra.

Trop d'amour
Et le fait d’avoir Valérie Donzelli qui joue le rôle de Frankie dans un cauchemar, c’est une réflexion sur cette sorte de syndrome de l’imposteur, dans ce cas ?

En un sens, oui. Je voulais une figure comme celle de Valérie Donzelli pour évoquer la légitimité dans son milieu. Dans le film, Frankie a 25 ans, elle ne trouve pas sa place dans sa famille. Et dans ce cauchemar, elle ne trouve même pas sa place sur son plateau, parce qu’elle n’arrive pas à se faire respecter. Le deuxième élément, on y revient aussi : c’est qu’elle veut faire un film sur sa famille, qui est elle-même ingérable.

Pourquoi Valérie Donzelli en particulier ?

J’avais pensé à elle ou à Valéria Bruni Tedeschi. J’adore La guerre est déclarée, c’est un film sur sa vie qu’elle avait aussi fait avec un appareil photo et son mec. Donc ça m’avait aussi inspirée pour faire trop d’amour. Et puis elle, je pense que ça la faisait marrer de venir sur le plateau d’une jeune réal et de s’en emparer. Elle s’empare aussi des membres de sa famille – qui ne répondent plus de rien -, elle appelle son père « papa », etc. Mais quand Frankie se réveille, le constat c’est en quelque sorte qu’il faudrait tous les rééduquer pour faire ce film.

Ils ne sont pas les seuls à partir dans tous les sens. Le film a un aspect composite, au sens “explosif”. C’est dû à la manière dont il a été fait ou était-ce le projet dès le départ ?

Un peu des deux. Que ce soit déconstruit, c’est un reflet du fait que ça l’était dans ma tête quand je l’ai fait. Je me suis dit que la seule manière de m’en sortir avec ce sujet, c’était d’être le plus sincère possible et d’assumer que c’était le bordel. Dès que j’essayais de rajouter des liens, de mettre une ellipse par exemple, ça marchait moins bien comme on avait fait le pari du réel.

D’ailleurs, mon monteur est venu sur une des scènes me voir tourner. Au déjeuner, il m’a vraiment dit « t’es malade, on va jamais s’en sortir ». J’avais deux caméras que je laissais tout le temps tourner. Donc on a eu un mois de dérushage, c’était colossal. Et c’est hyper dur de faire des choix, mais ce ne sont que des petits deuils, évidemment.

Pourtant, le film reste plutôt court (1h18). Y-a-t-il des axes que vous vouliez aborder que vous avez coupé au montage ?

Un seul. Le fait que le personnage d’Hamza se tape PLEIN de meufs. À l’origine, il était beaucoup plus présent dans le film mais au fur et à mesure les gens s’accrochaient surtout au duo Frankie-Hamza, puisqu’ils ont une vraie relation donc on a beaucoup coupé les aventures d’Hamza. Quand je montrais le film, les gens pensaient que c’était son mec et j’aimais bien cette ambiguïté… donc là on peut dire que c’est le futur mec de Frankie en quelque sorte. S’il devait y avoir un Trop d’amour 2 ce serait forcément Frankie qui s’émancipe de sa famille et qui se barre avec Hamza !


Entretien réalisé à Paris, le 8 septembre 2021 par Augustin Pietron pour Le Bleu du Miroir


Crédits photos portrait et images du film : avec l’aimable autorisation de Frankie Wallach



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