Diable

FESTIVAL DU COURT MÉTRAGE DE CLERMONT FERRAND I Bilan et palmarès

Le festival a refermé ses portes à l’issue d’une cérémonie de clôture sobre et chaleureuse, qui a vu défiler sur la scène de la salle Jean Cocteau (et via l’écran) les lauréat·e·s de cette 45e édition. Clermont-Ferrand est plus que jamais le rendez-vous du court où, une semaine durant, public et professionnels se retrouvent pour célébrer le bouillonnement du cinéma. Le format a cela de particulier qu’il permet les expérimentations de forme tout en étant particulièrement exigeant sur la qualité d’écriture, la moindre faiblesse étant amplifiée comme à travers un miroir déformant.

Les Cassandre qui annoncent la mort du cinéma n’ont pas leur place dans ce festival, on leur réserve ici le même sort qu’au barde d’Asterix, à distance des agapes. Les Vercingétorix décernés aux cinéastes primés sont petits par la taille mais truffés de promesses. Retour sur quelques films primés et autres motifs saillants de la sélection internationale.

Dans le chaos du monde

Tsutsué

Le réel a pesé de toute sa inquiétante présence sur la sélection, preuve que le cinéma est un art sans œillères, prompt à digérer ou accompagner le chaos du monde, dans toute la diversité des regards.

On a découvert à la fin de l’année dernière le cinéaste ukrainien Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk avec Le Serment de Pamfir ; il revient, plus apaisé mais pas engourdi. Liturgie des obstacles anti-chars est un documentaire sans parole qui montre des sculpteurs dont l’activité est détournée par la tragique actualité. A côté des statues qui doivent composer un chemin de croix (le symbole n’est pas léger mais fortuit), d’étranges entrecroisements de barres de fer naissent sous le feu des fers à souder. Les artistes sont devenus ouvriers de guerre. Au sirènes annonçant les raids aériens, le cinéaste répond par les chants liturgiques d’une chorale. Les obstacles anti-chars sont chargés sur les camions que nous regardons s’éloigner, dans un frisson. Eric Roux, président de « Sauve qui peut le court métrage », l’association organisatrice du festival, a salué la libération de Jafar Panahi, en introduction de la soirée de clôture, avant de poursuivre : « Les films sont des armes douces qui contribuent à donner force et courage aux peuples opprimés ». On voudrait tant que ce soit vrai.

C’est une autre guerre qui plane au-dessus de Holy Cowboys de Varun Chopra. Ce documentaire du réalisateur indien s’intéresse à la guerre de religion menée contre les populations musulmanes par un mouvement hindou identitaire au nom de la préservation de la vache sacrée. Des jeunes, véritablement concernés par la catastrophe sanitaire qui touche aussi les vaches, dont les estomacs sont remplis de matière plastique, se voient enrôlés par des milices nationalistes hyperviolentes dont les leaders accusent Gandhi d’avoir encouragé la naissance de « petits pakistans » dans le pays. Quand l’intolérance prend racine dans l’assiette.

Cuerdas

Changement de continent, nous voici en Afrique avec Tsutsué de l’américano-ghanéen Amartei Armar. Le film n’aborde pas frontalement la question environnementale mais prend pour décor une de ces décharges à ciel ouvert le long des côtes atlantiques, effroyable terrain de jeu de deux frères qui se cachent, en toute innocence, sous les ordures rejetées par l’océan. Ce dernier rendra t-il aussi le corps du grand frère qu’il a dérobé à sa famille ?

L’espagnole Estibaliz Urresola a probablement réalisé le film le plus ouvertement politique avec Cuerdas, qui relate le dilemme des femmes d’une chorale qui peine à vivre. Doivent-elles accepter la proposition de subvention de l’usine qui pollue la région et empoisonne les familles ? Le récit est vécu à travers l’expérience de Rita, dont le fils se meurt d’une maladie professionnelle qu’il échoue à faire reconnaître. Le spectateur est suspendu au choix de Rita, ni militante, ni indifférente. L’esprit de Loach Ken dignement transposé dans la péninsule ibérique.

Si la pandémie mondiale de Covid, traverse, aux masques des visages, plusieurs films de la sélection, c’est le chinois Lin Bingham qui aborde la question de plein fouet. Il choisit la farce pour brocarder l’absurdité des mesures prises sous le coup de la panique. Dans The Trapped Pig, un homme transportant un cochon se retrouve en panne sèche aux abords d’une ville qui vient de décréter le confinement. Le commerçant qui s’occupe de l’épicerie devant laquelle il est échoué se voit confier par les autorités la mission de le surveiller. Le film dénonce, dans un grand éclat de rire, l’autoritarisme et l’inhumanité du régime, mais aussi la soumission à tendance sado-maso des citoyens.

Deux beaux films venus du Moyen-Orient font écho aux conflits enracinés dans cette partie du monde. Dans Collines et montagnes, Salar Pashtoonyar filme un Afghanistan quotidien pour mieux mettre en relief le texte lu en voix off par la narratrice qui évoque à la fois l’Histoire d’un pays ouvert et pacifique jusqu’à l’invasion de l’Union Soviétique en 1979 et son histoire intime de femme répudiée par sa famille après avoir été accusée (à tort) d’adultère.

Dans Palestine 1987, Bilal Alkhatib filme le conflit Israélo-palestinien par la petite histoire. Un jeune villageois cherche à échapper à une rafle. Il se retrouve accueilli par une grand-mère et caché aux bains où se trouve déjà la petite-fille de la maison. Le film exprime à la fois la solidarité du peuple palestinien et le charme discret du hasard. Son ton, tendre et caustique, fait mouche.

Rien n'est plus sacré qu'un dauphin

Retour à la case départ

Trois cinéastes ont choisi de traiter le sujet du retour. Des films aussi différents qu’attachants, venus d’Amérique et d’Afrique.

Dans Civic, Dwayne LeBlanc filme le retour en ville de Booker. Le jeune homme retrouve ses anciens amis. Rien n’a véritablement changé mais tout est différent, à commencer par le regard qu’il porte sur les choses. Le film est entièrement filmé depuis la voiture du protagoniste, ce qui n’empêche nullement de promener sur le South Central de Los Angeles, un œil complètement ouvert et affûté. On remarquera au générique le discret remerciement adressé à Chantal Akerman dont l’oeuvre n’en finit pas de stimuler la jeunesse.

C’est à peu près la même histoire que raconte la chilienne Casandra Campos Ernst dans Fun Dance. Ana est de retour dans son village, sac au dos et usage du monde en bandoulière. Karina, qu’elle retrouve jeune mère, l’accueille sans effusion. Leurs choix de vie, opposés, n’empêchent pas les deux copines de rapidement redonner souffle à leur vieille complicité, notamment en imaginant la fin de vie d’une grand-mère du village dont la mort semble avoir été le seul événement pendant l’absence d’Ana. Tiare Pino, qui interprète le rôle principal n’aurait pas volé un Prix d’interprétation.

C’est une tout autre approche du motif que traite le congolais Maisha Maene avec Mulika, une histoire où passé et avenir se confondent dans un improbable personnage d’astronaute de retour de mission. Errant dans une Goma excitée et interloquée par sa présence, l’homme est peu à peu reconnecté avec la réalité du pays. Sont notamment évoqués les problèmes sociaux en dépit de la richesse en minéraux dont le peuple ne bénéficie pas. Un des films les plus intrigants de la sélection soutenu par une bande originale qui ajoute de la tension au mystère.

Marchands de glace

Palmarès, commentaires et quelques regrets

En couronnant Mo Harawe et son très fort Mes parents viendront-ils me voir ?, le jury de la compétition internationale ne s’est pas trompée. Le film, par son ampleur esthétique et son propos humaniste, ne souffre d’aucune contestation. On est un peu moins convaincu par le Prix spécial qui revient à Invincible du Canadien québecois Vincent René-Lortie. Le film vaut davantage, à nos yeux pour la prestation fragile et tendue du jeune Léokim Beaumier-Lépine que pour sa réalisation par trop maniérée.

En revanche, c’est un sans-fautes du côté des six mentions accordées par le jury qui a tenu à relever la grande qualité de la sélection. Diable de Jan Bujnowski renverse habilement le regard du spectateur en mettant en scène les méfaits d’un « pauvre diable » qui se pare des atours méphistophéliques pour escroquer de braves gens dont l’isolement n’a d’égal que la crédulité. Le film passe du glauque à la lumière grâce notamment à la très belle interprétation de Sebastian Pawlak.

Takanakuy de Vokos happe le spectateur par son splendide noir et blanc peu contrasté, qui magnifie aussi bien les immensités montagneuses du Pérou que les visages des protagonistes. On décèle des accents documentaires dans cette fiction qui met en scène l’intime et le traditionnel.

Strange beasts

Nous avons dit plus haut et dans la première partie de ce compte-rendu tout le bien qu’on pense de Tsutsué, Cuerdas, Chevalier de fortune et Une histoire non vécue.

Il n’existe pas de palmarès sans regrets, et il est évidemment impossible de distinguer tous les films qui le mériteraient. Nous voudrions citer ici Strange beasts, film australien de Darcy Prendergast qui mêle archives, images documentaires et animation pour narrer l’histoire tourmentée entre le réalisateur et un parc animalier avant-gardiste dans lequel il côtoyait pour son plus grand bonheur, puis son plus grand malheur, les grands félins. Il faut parfois savoir fermer les parenthèses, quand elles ne sont plus enchantées mais ensanglantées.

Le Prix du film d’animation a été attribué à Laura Gonçalves pour O Homem do lixo (L’Éboueur), tendre évocation d’un oncle disparu et surtout étourdissant plan séquence qui mélange scènes de repas familial et flashbacks. Nous aurions cependant adoré voir récompensé un autre film d’animation portugais, Marchands de glace de João Gonzalez où la tragédie en cours du réchauffement climatique est vue à travers l’histoire bouleversante d’un père et son fils, contraints de renoncer à leur activité. Le film est un petit miracle de sensibilité où deuil intime, complicité père/fils et drame environnemental sont exprimés sans le moindre dialogue. Tout, à l’image fait sens, vous ne serez jamais autant émus que par une casquette !

Takanakuy

Enfin, pour terminer, un dernier mot sur notre grand coup de coeur de cette semaine, qui, par bonheur, a reçu le Prix du public. Il s’agit du film grec Nothing Holier than a Dolphin (Rien de plus sacré qu’un dauphin) d’Isabella Margara qui transforme, dans un élan génial et une progression dramatique dévastatrice, un café de marin en cabaret épique. L’histoire associe, par la magie d’un griot égaré, la légende et le théâtre. Chacun joue son rôle, les objets comme les hommes, dans une mise en scène improvisée qui prend l’anthropomorphisme à rebrousse poil. Le film se termine dans une joie irrésistiblement communicative.

Nous avons vécu ces 78 films comme un grand tourbillon d’un unique sillon qui nous a fait voyager, rire et pleurer, réfléchir et enrager, bref, vivre fort la face A d’une cinéphilie trépidante. Merci au Festival, et à l’année prochaine.




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