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L’ÉTRANGE FESTIVAL 2021 | BILAN DE LA 27e ÉDITION

Ce dimanche 19 septembre, toujours dans la salle 500 du Forum des Images, se tenait la cérémonie de clôture de la 27ème édition de l’Étrange Festival. Après douze jours intenses, il est donc temps de dresser le bilan de ce cru 2021 du festival le plus barré de l’hexagone.

Après une édition 2020 qui avait souffert de la pandémie (jauges limitées, absence des invités, sélection difficile en raison des sorties repoussées ou des post-productions inachevées), cette année signait enfin un semblant de retour à la normal, avec simplement les masques comme stigmates du contexte encore incertain, et bien sûr, le pass sanitaire pour accéder au site.

Du côté des cinéphiles, en tout cas, l’envie était toujours aussi présente puisque ce sont pas moins de 22000 spectateurs qui se sont pressés dans les salles pour assister aux 125 séances du festival. Outre les 12 films en compétition internationale, les nombreuses avants-premières et les focus sur des cinéastes méconnus (Yûzô Kawashima, Fred Halsted ou Atsushi Yamatoya), on a pu retrouver les habituelles « pépites de l’Étrange » (des films rares, et souvent décalés, du patrimoine mondial), et bien sûr les cartes blanches ! Cette année, elles ont été données à l’un des plus grands écrivains français de Science-Fiction contemporaine, Pierre Bordage, que nous avons d’ailleurs eu le plaisir d’interviewer pour l’occasion, ainsi qu’à la réalisatrice anglaise Lynne Ramsay (We need to talk about Kevin, 2011), même si celle-ci a malheureusement annulé sa venue au dernier moment.

LE PALMARÈS DE CETTE 27e ÉDITION

Mais venons en au fait avec, pour commencer, un mot sur le palmarès, puisque qui dit festival dit récompenses. Côté courts-métrages, le Prix du Public est allé à Friandise du français Rémy Barbe, quand le Grand Prix Canal+ est lui allé aux américains Nicole Daddona & Adam Wilder pour Sexy Furby, l’histoire d’une jeune fille suicidaire dont la vie bascule lorsqu’elle rencontre un furby à taille humaine… Oui, c’est aussi ça l’Étrange, des histoires chelous et des découvertes improbables.

Pour les longs-métrages, cette année, le Grand Prix Nouveau Genre Canal+ a récompensé The Innocents du norvégien Eskil Vogt. Un joli film qui avait déjà fait parler lors de sa sélection dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes au mois de juillet. Comme chaque vainqueur de ce prix, le film sera donc acheté par le groupe Canal+ en vue d’une future diffusion sur ses antennes.

Le Prix du Public est lui revenu à Mad God de Phil Tippett. Une récompense bien méritée pour le film de cette véritable légende des effets-spéciaux (Star Wars, Robocop, Jurassic Park, Starship Troopers…). L’héritier de Ray Harryhausen, qui a d’ailleurs eu droit à un documentaire sur son travail (Phil Tippett : Des Rêves et des Monstres de Gilles Penso et Alexandre Poncet, aux éditions Carlotta), nous offre avec Mad God une plongée dans les tréfonds d’un monde en décrépitude abandonné par les dieux, une sorte de vision cauchemardesque de l’enfer de Dante. Avec ce film d’animation quasiment entièrement tourné en stop-motion, Phil Tippett termine un projet démarré en 1987 et qu’il a enfin pu finir grâce notamment à un financement participatif. Un résultat visuellement époustouflant, l’œuvre d’une vie.

Inexorable film

LA FRANCE BIEN REPRÉSENTÉE

Autre film qui aurait également mérité d’être récompensé lors de ce festival : Inexorable de Fabrice Du Welz. Le réalisateur belge revient, deux ans après Adoration, avec un thriller d’une tension et d’une beauté plastique admirable. Si son cinéma a souvent divisé par sa radicalité, ce dernier, en plus d’être sans doute son œuvre la plus aboutie, est aussi probablement la plus accessible. Un grand et beau film à découvrir en salle le 26 janvier 2022, dont nous aurons l’occasion de reparler très prochainement avec une nouvelle interview de Fabrice Du Welz. 

Inexorable est distribué par la société française The Jokers, particulièrement bien représentée à l’Étrange Festival cette année, puisque deux autres de leurs films étaient projetés. Tout d’abord, en compétition, Lamb de l’islandais Valdimar Jóhannsson. L’histoire d’un couple de fermiers qui recueille un mystérieux nouveau-né. Un film de genre intimiste qui s’égare un peu en chemin, mais doté d’une très belle mise en scène. Présenté en avant-première, Oranges sanguines du français Jean-Christophe Meurisse, qui avait déjà été projeté en séance de minuit au Festival de Cannes et beaucoup fait parler, restera comme l’un des moments forts de cette édition. Un film coup de poing qui, quoi qu’on en pense, ne laisse pas indifférent.

Il faut, au passage, souligner que cette édition a rappelé, s’il le fallait, la vitalité et l’audace du cinéma français puisqu’en plus de ceux déjà cités, nous avons pu découvrir le nouveau film de Bertrand Mandico, After Blue (Paradis sale). Quatre ans après Les garçons sauvages, le français revenait en compétition avec un songe fantasmagorique, à la croisée des chemins entre le western giallo et le conte futuriste. Dans un autre registre, Bruno Reidal de Vincent Le Port retrace l’histoire vraie d’un jeune paysan de 17 ans coupable du meurtre d’un enfant de 12 ans en 1905. Au-delà de la reconstitution méticuleuse, le film raconte la naissance d’un criminel confronté à ses pulsions. Une réussite aussi fascinante que troublante à voir en salle le 23 mars 2022.

Enfin, rappelons que le festival s’était ouvert sous le signe de l’humour, avec la comédie caustique de Fabrice Eboué, Barbaque, qui voyait un boucher et son épouse découvrir les bienfaits de la viande de vegans. Le film était précédé lors de la cérémonie d’ouverture du court-métrage Les grandes vacances, des belges Vincent Patar et Stéphane Aubier, pour les nouvelles aventures de Cowboy et Indien, découverts en 2009 dans Panique au village.

LE NOUVEL ELDORADO KAZAKH ET LA DÉCEPTION SONO SION

Le cinéma kazakh était aussi à l’honneur cette année. En plus des deux derniers films d’Adilkhan Yerzhanov (A dark dark man, 2019), Ubolsyn et Yellow cat, à la poésie tragique, s’ajoutait Sweetie you won’t believe it de Yernar Nurgaliyev. Un slapstick horrifique bien déjanté où une bande de pote partie pêcher se retrouve sur le terrain de chasse d’un serial killer. Une belle découverte pour cette comédie rythmée à l’humour burlesque et saignant, et un réalisateur à suivre.

Si certains films inattendus se sont donc révélés être de belles surprises, l’inverse est malheureusement aussi vrai. C’est le cas notamment du nouveau Sono Sion, Prisoners of the Ghostland, avec Nicolas Cage, probablement le film le plus attendu du festival, et qui a d’ailleurs affiché complet sur ses deux projections. Sur le papier, l’idée de voir le poète punk japonais collaborer avec la star américaine la plus imprévisible était sacrément excitante. Mais s’il est souvent génial, le cinéaste japonais, habitué de l’Étrange, tombe cette fois dans la caricature je-m’en-foutiste. Le n’importe quoi peut-être appréciable à condition d’être drôle ou au moins divertissant, et Prisoners of the Ghostland ne parvient que trop rarement à être l’un ou l’autre.

Prisoners of the Ghostland

Dans une moindre mesure, le film de clôture, Raging Fire du regretté Benny Chan, était précédé d’une jolie réputation. Mais force est de constater que celle-ci est peut-être un peu exagérée pour un film dont les morceaux de bravoure sont loin des standards du cinéma hongkongais. Un récit boursouflé qui lorgne (pas subtilement du tout) du côté de Heat et des personnages caricaturaux, pour un résultat qui paraît déjà fortement daté. Mais le festival a néanmoins réussi un gros coup à cette occasion avec la venue de la superstar chinoise, Donnie Yen, pour présenter le film. Un très beau moment qui a fait le bonheur de tous les fans de cinéma asiatique.

Le cinéma hongkongais était cependant bien représenté en compétition avec Limbo de Soi Cheang. Au cœur d’un Hong-Kong étouffant et nihiliste, on y suit un flic brisé par la vie à la poursuite d’un serial-killer fétichiste. Filmé dans un somptueux noir et blanc, une histoire relativement classique mais portée par une ambiance crepusculaire d’une grande force. Qui aurait cru que des montagnes d’ordures pouvaient donner d’aussi belles images ?

PLUS GORE LA VIE

Mais l’Étrange Festival, c’est aussi de l’horreur pure et dure, et dans ce registre, le film à voir cette année nous arrivait tout droit de Taiwan, réalisé par un canadien. Avec son histoire de virus qui transforme les infectés en psychopathes sadiques, The Sadness de Rob Jabbaz a en effet impressionné par ses maquillages et effets-spéciaux ultra-gores. Un film dans la tradition des « Catégories III » made in Hong Kong, qui a bien secoué les spectateurs, même les plus coriaces. 

L’Afrique aussi était bien représentée avec l’avant-première de Saloum du franco-congolais Jean-Luc Herbulot. Tout juste rentrés de Toronto et du TIFF, le réalisateur et ses acteurs sont venus présenter leur film, un western sénégalais et mystique au style affirmé, et qui réserve quelques très belles scènes. L’histoire de trois mercenaires qui se réfugient dans la région de Saloum pour échapper à leurs poursuivants mais vont découvrir que le site n’est peut-être pas aussi paisible qu’il n’y paraît.

Saloum film

BIJOUX ANIMÉS

Pour finir, terminons avec le cinéma d’animation. Mis à part Mad God que nous avons déjà évoqué, deux autres films ont marqué les rétines des spectateurs : Tout d’abord, Junk Head du japonais Takahide Hori. Un bijou post-apocalyptique, là encore réalisé en stop-motion, et tout simplement hallucinant quand on sait qu’il a été entièrement conçu en solo par un autodidacte. Et enfin, The Spine of Night des américains Philip Gelatt & Morgan Galen King. Réalisé grâce à la méthode traditionnelle de la rotoscopie, The Spine of Night est une petite merveille d’heroic fantasy ultra-violente, qui se place en héritier de Métal Hurlant ou des films de Ralph Bakshi comme Tygra, la glace et le feu (1983). À la fois féministe et écologiste, le film parcourt les âges et construit sa propre mythologie sous nos yeux. A voir absolument pour tous les fans de J.R.R. Tolkien, Robert E. Howard, ou Frank Frazetta !


VIVEMENT SEPTEMBRE 2022 !

C’est donc une très belle 27ème édition que nous a offert l’Étrange Festival, avec une sélection de haut vol. Qu’il s’agisse des films en compétitions ou des avant-premières, l’occasion nous a encore été donnée de voir des œuvres rares et mémorables. Une fois de plus, il faut saluer le travail de l’équipe organisatrice et des bénévoles qui rendent si agréable ce festival si particulier, et qui nous font déjà attendre impatiemment le mois de septembre 2022 pour de nouveau arpenter les couloirs du Forum des Images, et découvrir les pépites d’hier et de demain.

 




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