still_relic

L’ÉTRANGE FESTIVAL 2020 | Bilan de la 26e édition

Après 10 jours de fête du cinéma au cœur de Paris, l’Étrange Festival a refermé ses portes et après les réjouissances, l’heure est venue du bilan.

En cette période pour le moins troublée, et alors que l’incertitude perdure dans toutes les strates de la société, la vie tente malgré tout de reprendre ses droits. C’est ainsi que les passionnés de cinéma déviant ou expérimental ont pu retrouver les joies d’arpenter les couloirs d’un festival, au cœur de Paris, dans l’attente et l’espoir de découvrir en avant-première de nouvelles pépites.

Une réussite : le public au rendez-vous

Ce mercredi 2 septembre 2020 avait ainsi tout d’une date symbolique, puisqu’il aura vu l’ouverture simultanée de la Mostra de Venise et de l’Étrange Festival à Paris. Parmi les premiers festivals du genre à tenir son rang, le rendez-vous parisien a pu proposer au public la projection des œuvres sur grand écran dans des conditions quasi-normales (le masque et la distanciation sociale en plus).

Une réussite loin d’être anodine tant cela semblait encore impossible il y a peu, comme on a pu le constater avec le plus célèbre d’entre eux (Cannes 2020 ayant été annulé au profit d’une édition virtuelle et de sélections symboliques), et avec la problématique des réouvertures de salles et de la fréquentation. La réussite de l’Étrange est donc d’autant plus grande que le public fut au rendez-vous, les trois salles du Forum des images affichant des taux de remplissage à faire rougir les plus gros festivals. Le résultat d’une organisation sans failles, d’une attention de tous les instants des équipes et bénévoles, et d’un public trop heureux de retrouver son évènement préféré pour ne pas jouer le jeu.

critique tomiris film

Quel bilan tirer de cette 26ème édition ?

Comme chaque année, le Festival s’est ouvert avec un film à l’ambition formelle affirmée. Cette fois, l’honneur est revenu à Tomiris d’Akan Satayev. Ce blockbuster kazakh retrace l’histoire de la dernière reine des Amazones au VIème siècle avant JC qui a repoussé l’Empire perse de Cyrus le Grand. Avec ces affrontements épiques et son histoire romanesque (bien qu’un peu classique), la fresque historique et féministe impressionne et a justement reçu le Grand Prix Nouveau Genre de cette édition 2020. Malheureusement, ce film spectaculaire n’aura droit qu’à une sortie vidéo prévue au mois d’octobre.

Le Prix du Public, quant à lui, est revenu à Kajillionaire de Miranda July. Le film de la réalisatrice américaine a totalement conquis les spectateurs au point d’obtenir un plébiscite quasi unanime. Le public français aura l’occasion de le découvrir très bientôt puisque celui-ci sortira en revanche dans nos salles, le 30 septembre.

Présenté hors-compétition, L’Homme du Président de Woo Min-ho est venu clôturer le festival juste après l’annonce du palmarès. Ce thriller d’espionnage politique sud-coréen raconte les 40 derniers jours du Président Park avant son assassinat en octobre 1979 ayant mis fin à son régime autoritaire. Avec sa mise-en-scène nerveuse et son histoire passionnante, le film nous emporte deux heures durant dans une fiction au rythme effréné, au sein d’une reconstitution historique impressionnante. Saluons également la performance toute en retenue de Lee Byung-hun, magistral comme toujours. Le film sortira le 4 novembre en DVD, Blu-ray et VOD, mais nous aurons là l’occasion d’en parler davantage dans une critique dédiée à venir.

Enfin, citons également la présence d’un autre film coréen, le blockbuster catastrophe Destruction Finale de Kim Byung-seo et Lee Hae-jun, gros succès dans les salles coréennes en 2019, et disponible lui dès le 15 septembre

Des satisfactions

Mais l’Étrange Festival, c’est aussi l’endroit de prédilection pour découvrir les nouvelles figures qui feront le cinéma de genre et d’horreur des années à venir. Et cette année, on a pu observer avec satisfaction que ce rôle revenait à des femmes. Que ce soit l’australienne Natalie Erika James avec Relic, ou l’actrice anglaise Romola Garai, devenue réalisatrice avec Amulet, les deux films ont marqué à des niveaux différents et s’accompagnent de belles promesses quant au futur du genre horrifique. Là encore, on en parlera plus en détail très prochainement, car il y a beaucoup de belles choses à en dire.

Toujours aux rayons des satisfactions, The Owners du français Julius Berg est un survival très efficace et intelligent. L’histoire d’un home invasion qui tourne mal et nous rappelle que nos chères anciens ne sont pas toujours des personnes bienveillantes. Mais il y avait aussi l’un des films les plus attendus de cette sélection, le retour de Brandon Cronenberg, huit ans après Antiviral. Avec Possessor, le fils de affirme sa singularité dans ce thriller de science-fiction bien gore qui s’interroge sur les questions de l’identité dans une société déshumanisée. Si le concept aurait pu être poussé un peu plus loin, la maitrise visuelle l’emporte, et Cronenberg confirme qu’il va falloir compter avec lui. On en parlera là encore très bientôt.

À suivre

Dans un degré moindre, plusieurs films ont montré des choses intéressantes et révéler d’autres cinéastes à suivre dans les années à venir. Ainsi, Sputnik, premier film du russe Egor Abramenko, raconte l’histoire d’un cosmonaute de retour de mission, dont on découvre qu’il est infecté par un parasite que les autorités russes souhaitent étudier, avec une idée derrière la tête. Ayant situé son film dans les années 80, en pleine Guerre Froide, Abramenko capture les échanges entre une scientifique marginale et ce cosmonaute déchu, et s’intéresse à ce qui fait la nature d’un héros dans l’URSS d’avant la chute du mur. Un résultat plutôt solide malgré un développement parfois décousu.

Spree de l’américain Eugene Kotlyarenko est une sorte de comédie horrifique sur un influencer en mal de célébrité, prêt à tout pour enfin connaître le succès. On y suit un chauffeur « Spree » (pendant cinématographique de l’application Uber), obsédé par le nombre de ses followers, qui décide de décimer sa clientèle pour faire le buzz. Filmé intégralement par le biais des téléphones connectés et des caméras que le « héros » a installé dans sa voiture, le réalisateur américain va au bout de son concept et livre une satire efficace (au raisonnement peut-être un peu facile) sur la dictature des réseaux sociaux où, pour exister, il faut non-seulement être filmé, mais surtout être vu !

random acts of violence

Dans un autre genre, Random Acts of Violence, de l’acteur-réalisateur canadien Jay Baruchel, est un slasher pur jus. L’histoire d’un dessinateur de comics en mal d’inspiration qui part avec sa fiancé et un couple d’ami sur les traces du tueur en série qui a inspiré son œuvre et qui, on s’en serait douté, va croiser le chemin d’un serial killer qui reproduit les crimes qu’il a mis en dessin. Après un début relativement bien ficelé, le film se perd dans des considérations sur l’art et ses sources qui ne convainquent jamais vraiment, et un troisième acte alambiqué, dommage.

Côté déception, il faut malheureusement évoquer Milla de l’australienne Shannon Murphy. Projeté dans le cadre de la carte blanche accordée à la réalisatrice franco-iranienne Marjane Satrapi, et entouré d’une solide réputation, le film nous ressert la classique histoire de la jeune héroïne malade qui tombe éperdument amoureuse du bad boy au cœur tendre. La réalisatrice confectionne un univers faussement décalé pour traiter de la maladie et atténuer les effets du mélo, mais ne parvient jamais à surmonter le caractère artificiel de son entreprise, malgré un casting de qualité (Ben Mendelsohn, Essie Davis…). À trop vouloir éviter le pathos en dépeignant des personnages exubérants et un milieu dysfonctionnel, Shannon Murphy finit par se complaire dedans.

Enfin, il n’y a pas d’Étrange Festival sans un film totalement déjanté au programme ! Cette année, le rôle revient à Fried Barry du sud-africain Ryan Kruger. L’histoire de Barry, un junkie totalement à la ramasse, et qui se fait enlevé par des extra-terrestres pour subir des expériences. Un alien prend alors sa place et son apparence, et c’est les débuts des tribulations pour cet E.T. sous crack. Rythmé par des sonorités terriblement efficaces, mix d’électro et de dubstep, Fried Barry est une expérience assez jubilatoire qui nous entraîne dans les milieux interlopes du Cap. Avec son casting d’amateur et son scénario à 80% improvisé, le film est aussi fou qu’improbable. Imaginez donc ce bon vieux E.T. qui débarquerait dans le clip culte « Smack My Bitch Up » des Prodigy, et vous obtiendrez Fried Barry !

Opportunités

Cette édition 2020 de l’Étrange Festival était aussi l’occasion de découvrir l’excellent Teddy du duo français Ludovic et Zoran Boukherma, présenté en séance spéciale, avant une sortie sur grand écran le 13 janvier 2021. Une brillante appropriation du mythe du Loup-garou à la française, à mi-chemin entre un hommage au classique de John Landis (Le Loup de Londres) et l’univers du P’tit Quinquin de Bruno Dumont. Ou encore la nouvelle réflexion existentielle de l’artiste suédois Roy Andersson, Pour l’éternité. Une œuvre déconcertante, quelque peu inégale, mais qui réserve son lot de moments forts de sens et de poésie.

Comme chaque année, de nombreux autres films, rétros, courts-métrages et séances spéciales ont animé cette 26ème édition.  À commencer par l’avant-première de Lux Æterna de Gaspar Noé, pour « Une séance rigoureusement déconseillée aux personnes épileptiques » ! Le réalisateur habitué de l’Étrange Festival est ainsi venu présenter son dernier film en compagnie de son actrice Béatrice Dalle.

Verdict

C’est donc une belle édition que nous ont offert les programmateurs de l’Étrange cette année, malgré les difficultés de circonstances. Si l’on a connu par le passé des sélections peut-être un peu plus fournies, et que l’on peut regretter l’absence de certains habitués (comme le japonais Sono Sion, dont la post-production fut retardée à cause de la crise), le niveau des films en compétition et des différentes rétrospectives ou cartes blanches, avait largement de quoi satisfaire les cinéphiles de tous bords. Et l’absence des équipes étrangères ne s’est pas trop ressentie grâce aux petites vidéos de présentations que celles-ci ont envoyé et qui étaient diffusée en préambules des films concernés.

Saluons donc encore une fois les équipes derrière l’organisation de ce beau festival et le public qui a répondu présent. Et surtout, vivement l’année prochaine et la 27ème édition, avec toujours plus d’étrange !




%d blogueurs aiment cette page :