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ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND

Joel et Clementine ne voient plus que les mauvais côtés de leur tumultueuse histoire d’amour, au point que celle-ci fait effacer de sa mémoire toute trace de cette relation. Effondré, Joel contacte l’inventeur du procédé Lacuna, le Dr. Mierzwiak, pour qu’il extirpe également de sa mémoire tout ce qui le rattachait à Clementine. Deux techniciens, Stan et Patrick, s’installent à son domicile et se mettent à l’oeuvre, en présence de la secrétaire, Mary. Les souvenirs commencent à défiler dans la tête de Joel, des plus récents aux plus anciens, et s’envolent un à un, à jamais. Mais en remontant le fil du temps, Joel redécouvre ce qu’il aimait depuis toujours en Clementine… 

Les désordres du coeur.

Que faire lorsque la personne avec qui l’on a partagé ses jours et ses nuits décide de nous effacer, au propre comme au figuré, de son esprit ? Comment accepter sans sourciller un choix aussi douloureusement radical, symbole tonitruant de la défaite amoureuse ? Sous le choc en réalisant que Clémentine, sa fiancée, ne possède désormais plus aucun souvenir de lui, Joel veut, à son tour, subir le même traitement et la supprimer de sa mémoire. Réagissant à cette nouvelle avec une logique désespérément humaine, le personnage de Jim Carrey tente de combattre le mal par les flammes, d’évacuer la souffrance en se (re)créant une autre vie, un autre monde où la peine d’un cœur brisé n’existe plus. Mais, rassemblés puis dissociés de force, les sentiments et l’esprit restent des mécaniques retorses, incapables de s’accorder contre leur gré face à une échappatoire impulsive.

Le procédé paraît pourtant séduisant sur le papier et porteur d’une promesse à faire pâlir d’envie : oublier l’être qui nous tourmente, laisser littéralement s’envoler le chagrin avec les cendres du souvenir. Qui, au fond, n’en a jamais rêvé ? Qui n’a jamais souhaité se délester des réminiscences d’un amour déçu, impossible à consoler ? Douze années après sa sortie, Eternal Sunshine of the Spotless Mind n’a, en cela, rien perdu de sa pertinence et confine aujourd’hui à l’intemporalité. Dans une société hyper-connectée où la technologie nous rapproche autant qu’elle nous éloigne, le droit à l’oubli est devenu un luxe, un privilège réservé à une poignée de chanceux rodés à l’écriture automatique d’histoires inédites. Que se passerait-il alors si une méthode comme celle-ci venait à se développer dans un futur proche ? Si l’on pouvait vraiment gommer une partie de notre vie en une seule nuit ?

Sans détenir le remède à l’évaporation des sensations et à l’usure du temps, Michel Gondry apportait déjà, en 2004, quelques éléments de réponses à ces épineuses questions. En interrogeant, avec une douce fantaisie, le pouvoir de notre esprit (et, par extension, sa lutte entre passion et raison), le cinéaste a voulu implicitement nous conduire à reconsidérer la valeur de nos expériences. Heureuses ou malheureuses, elles forment, en effet, la personne que nous devenons et s’inscrivent dans un cheminement unique, une construction cyclique sur laquelle nous avons – à son sens – peu de prise. Même effacées, nos rencontres finissent toujours par resurgir, malgré nous, dans nos décisions les plus instinctives.

Joel l’apprend à ses dépens en s’apercevant que sa mémoire est hantée par le souvenir de Clémentine, par le moindre chapitre d’une romance tortueuse vouée à se répéter. Les événements stockés au sein de son cerveau ont, dès lors, beau s’égrener au fur et à mesure, puis disparaître peu à peu, son attachement profond pour la jeune femme ne s’altère jamais, semblant, au contraire, consolidé par la procédure. C’est finalement au moment de perdre définitivement toute trace d’un passé commun que Joel constate l’ampleur de son erreur et la nécessité absolue de conserver en lui l’empreinte de leur relation. Leur histoire d’amour n’en reste pas moins destinée à échouer mais elle doit être vécue pour que leurs errements puissent tisser de nouvelles trajectoires dans leurs existences respectives.

« Vous qui dans les langueurs d’un esprit monastique,
Ignorez de l’amour, l’empire tyrannique,
Que vos cœurs sont heureux puisqu’ils sont insensibles.
Tous vos jours sont sereins, toutes vos nuits paisibles. »
(Alexander Pope)

Michel Gondry n’a pas besoin de grands discours ou de démonstrations alambiquées pour nous amener à cette conclusion. Il mêle discrètement une originalité et un premier degré déchirants dans une tentative unique en son genre, indéniablement inclassable. Attaché à un cinéma ludique, intensément mélancolique et nostalgique, le réalisateur élabore un travail de funambule afin de faire cohabiter malicieusement l’onirisme, le réalisme et la dimension faussement scientifique du film. Il avance ainsi sur la corde raide en accumulant les facéties de mise en scène sans toutefois négliger la charge émotionnelle de son sujet. Parvenant à retranscrire visuellement la déliquescence du souvenir, il comprend bien vite que l’harmonie provient surtout de ses personnages et modèle, avec succès, son long-métrage à leur image.

Les personnalités des protagonistes principaux illustrent ici la protéiformité du film : allier l’excentricité de Clémentine aux blessures de Joel revient alors à inventer un objet de science-fiction intimiste. Érigeant son récit sur une série de contrepoints, Michel Gondry joue pleinement de ces contrastes en opposant la timidité de l’un à l’extraversion de l’autre. Leur coup de foudre n’en apparaît que plus évident et crédible tant il se fond parfaitement dans le cadre nécessaire à son épanouissement. Tous deux bouleversants, Kate Winslet et Jim Carrey participent largement à cette réussite et délivrent des performances majeures. Loin de proposer des prestations outrées ou excessivement larmoyantes, ils campent simplement un homme et une femme en proie à leurs névroses sans céder à la surenchère.

Confronté au scepticisme de la profession après l’échec de son premier long-métrage, Human Nature, Michel Gondry a transformé son second essai en carte de visite, en miroir d’un univers bric-à-brac imbriquant le rêve au cœur de la réalité. Vivement marqué par son auteur, Eternal Sunshine of the Spotless Mind s’est pourtant dégagé de son emprise pour devenir, avant tout, une incursion labyrinthique dans les méandres d’une âme torturée par le rappel en conscience. Plus que jamais d’actualité, il demeure aujourd’hui un film-référence sur l’impossibilité d’oublier, la grande histoire de deux paumés magnifiques, fondamentalement incompatibles mais finalement réunis par une alchimie plus forte que leurs différences.

La fiche

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ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND
Réalisé par Michel Gondry
Avec Jim Carrey, Kate Winslet, Mark Ruffalo, Kirsten Dunst
Etats-Unis – Comédie dramatique, Science-fiction
Sortie : 6 Octobre 2004
Durée : 108 min




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