Une affaire de coeur – photo 3 И Malavida – Avala

Dušan Makavejev, cinéaste charnel

Né à Belgrade, Yougoslavie, en 1932, Dusan Makavejev a suivi des études de psychologie et de mise en scène, avant de réaliser des films expérimentaux et des courts-métrages dans un premier temps. Ayant connu ses premiers chocs cinéphiles dès l’enfance – avec Walt Disney mais aussi Boris Karloff et Le Chat noir – il aimait mêler le documentaire à la fiction et cultivait un goût certain pour la provocation, critiquant le pouvoir en place à travers des œuvres libres et originales où la sexualité et les pulsions de vie jouaient un rôle non négligeable dans le chemin vers la liberté. Malavida nous propose dès le 5 janvier de découvrir ou de revoir les trois premiers films de ce réalisateur décédé en 2019 et qui dut quitter son pays après son quatrième film : Wilhelm Reich : les mystères de l’organisme.

L’homme n’est pas un oiseau 

Dans son premier long métrage, L’Homme n’est pas un oiseau (1965), Dusan Makavejev nous raconte la rencontre de Jan et de Rajka dans une petite ville yougoslave. Jan Rudinski, ingénieur très réputé pour ses compétences et son investissement professionnel est envoyé en mission dans une ville qu’il ne connaît pas pour remplir une mission. Homme d’âge mûr, il entame, malgré des réticences au départ, une liaison avec la fille de ses logeurs, la coiffeuse Rajka, plus jeune que lui et très entreprenante. Mais Jan semble très accaparé par son travail. On l’a bien prévenu que les étrangers étaient très convoités dans cette ville où suintent l’ennui, la morosité d’un pays vivant sous le joug communiste et les pulsions refoulées. Parallèlement à cette liaison, on découvre d’autres personnages comme Barbul, un des ouvriers de l’usine, sa femme, un camionneur coureur de jupons qui fait des encoches dans son volant pour chacune de ses conquêtes ou un hypnotiseur dont le spectacle fait sensation auprès du public. La femme de Barbul, peut-être plus lucide que les autres, comprend d’ailleurs que cette démonstration du pouvoir de l’hypnose représente une allégorie du pouvoir en place et que la léthargie des spectateurs qui se sont prêtés à l’expérience renvoie à celle du peuple qui croit et exécute ce qu’on lui dicte de penser et de faire. Avec fantaisie et humour, Dusan Makavejev étrillait alors la dictature mais aussi la soumission, l’aveuglement et la résignation qui la rendaient possible.

Une Affaire de cœur 

Une Affaire de cœur ou la tragédie d’une employée des PTT (1967) présente la rencontre entre Izabela, téléphoniste hongroise mais qui veut qu’on pense qu’elle est yougoslave, et Ahmed dératiseur d’origine turque, passionné par son travail. L’homme semble assez intimidé par la jeune femme, plus libre et libérée qu’il ne l’est. Même lorsque la relation se concrétise, l’homme semble absorbé par son activité professionnelle, comme dans cette scène où Ahmed est plongé dans des écrits alors que sa compagne lui tourne autour et semble vouloir un moment d’intimité et de tendresse avec lui. Comme dans L’Homme n’est pas un oiseau, c’est la femme qui est la plus lucide et la plus vivante peut-être, dans sa capacité à saisir ce qui compte vraiment et à jouir de l’instant présent. Et la femme est également plus entreprenante. C’est elle qui prend l’initiative. La femme est plus libre dans sa tête, en tous cas moins aliénée par le pouvoir en place. Une amie d’Izabela lui prédit une amourette, mais elle répond qu’elle ne trompera pas Ahmed, même si elle le trouve trop possessif. Malgré cette affirmation, elle annonce plus tard face caméra que son homme est parti et qu’elle n’est pas de bois. Comportant aussi des apartés d’un spécialiste de la sexualité et d’un criminologue, Une Affaire de cœur ou la tragédie d’une employée des PTT cultive parfois un sentiment d’étrangeté par sa construction, ou sa déconstruction par rapport aux normes de l’époque. 

Innocence sans protection

Cette étrangeté et cette originalité, on les retrouve dans le troisième film de Dusan Makavejev, Innocence sans protection (1968), où documentaire et fiction se mêlent à partir d’un film tourné en 1942 avec Dragoljub Aleksic, acrobate et acteur serbe. Dans l’œuvre d’origine, un mélodrame et premier film parlant serbe, une jeune femme est amoureuse d’un acrobate mais sa mère la destine à un vieux satyre. Autour de cette intrigue, on assiste alors à des scènes mettant en valeur les qualités athlétiques et le courage de Dragoljub Aleksic. On trouve ici de nombreux extraits de ce film, mais également des images d’archives et des témoignages des protagonistes, vingt six ans après. Le film de 1942 a connu un destin contrarié, car censuré pendant la guerre par les allemands, puis critiqué par le pouvoir en place ensuite. Œuvre hybride, étonnante et touchante, Innocence sans protection rend hommage au cinéma populaire, aux acrobates avec naïveté et fraicheur. Mais n’oublie pas humour et distance. 

Considéré comme trop pessimiste par une partie de la critique proche du pouvoir en place et victime de la censure, Dusan Makavejev quittera son pays de 1972 à 1988 et réalisera encore plusieurs films jusqu’en 1996. Ces trois premiers films de Dusan Makavejev, originaux, inclassables et subversifs, ressortent le 5 janvier dans de très belles restaurations 4K grâce à Malavida

Bande-annonce

5 janvier 2022De Dušan Makavejev




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