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DUNE | Duel au sommet sur la planète musicale

Du Dune de David Lynch mis en musique par Toto en 1984 à celui de Denis Villeneuve en 2021 avec Hans Zimmer aux commandes, comment l’approche musicale de ce grand classique de la SF a-t-elle évoluée ? En passant d’un groupe de rock phare ayant fait l’âge d’or des FM pendant les eighties au grand manitou du nouveau son des blockbusters américains, a-t-on gagné au change ?

Duel au sommet sur la planète musicale Dune

Comparer les scores des deux adaptations cinématographiques de Dune (en laissant de côté la version télévisée de 2000) permet de mesurer à quel point l’approche musicale hollywoodienne a été bouleversée en l’espace de trente-sept ans.

Quand, en 1984, le groupe Toto est engagé par David Lynch pour composer la musique originale de son adaptation produite par Dino et Raffaella De Laurentiis, la porosité entre musique populaire et musique de film est déjà depuis longtemps entérinée. Easy Rider en 1969, et sa bande-sonore gorgée de tubes, et la fameuse « blaxploitation » des seventies (Curtis Mayfield et Isaac Hayes en tête) – pour donner deux exemples emblématiques –  ont balayé l’approche symphonique hollywoodienne pour laisser l’écriture de BO à des artistes issus d’autres sphères musicales. S’ouvre alors une époque où les studios n’hésitent pas à laisser la main à des groupes de rock ou leurs anciens membres (Queen pour Flash Gordon en 1980, Peter Gabriel pour The Last Temptation of Christ en 1988, Neil Young pour Dead Man en 1995), à des producteurs de génie (Giorgio Moroder pour la décriée version colorisée de Metropolis), à des rappeurs (RZA pour Ghost Dog en 1999), jusqu’à une époque plus récente avec des partitions mémorables dues au guitariste de Radiohead Jonny Greenwood (There Will Be Blood, Phantom Thread), la BO de Daft Punk pour Tron :Legacy, et tant d’autres…

Les musiciens de Toto, aidés par le père du claviériste David Paich, Marty Paich, lui-même pianiste et arrangeur, composent pourtant une œuvre délicieusement classique, qui sait mêler puissance orchestrale, guitares électriques, percussions, sonorités électroniques, et chœur.

Au petit jeu délicat de la comparaison entre deux œuvres, ces deux adaptations de Dune se prêtent bien au change tant le défi est grand pour les artistes : en effet, comment mettre en musique un univers aussi foisonnant que celui créé par Frank Herbert dans son roman séminal sorti en 1965 ? Comment mettre des notes sur une histoire se situant dans un futur lointain (l’an 10191), sur différentes planètes, avec de nombreux personnages, et une intrigue complexe dans laquelle la religion et les intérêts commerciaux s’affrontent, dans laquelle la trahison et les intrigues de cour se mêlent ? Tout cela pour donner naissance à une fable écologique en avance sur son temps, et un roman parmi les plus fondateurs de la culture populaire mondiale, pillé de-ci, de-là, principalement par George Lucas pour son Star Wars. 

Dune Lynch

L’univers sonore chez Lynch 

Le parti pris choisi par Toto consiste à créer un univers sonore cohérent avec des thèmes marquants et mélodiques : le Main Title avec ses cordes majestueuses qui rendent justice à la beauté du désert, un Leto’s Theme tout en mélancolie prémonitoire, le thème du Baron (The Floating Fat Man) et son clavecin électronique qui rend à merveille et contre toute attente la cruauté du personnage, des morceaux guerriers faisant la part belle aux percussions, au piano et au chœur (First Attack, Big Battle, Paul Kills Feyd). On y retient aussi le merveilleux et minimaliste Prophecy Theme tout en synthé (seul morceau non signé par Toto mais par Brian Eno, Daniel Lanois et Roger Eno), le Desert Theme (sans doute le morceau le plus proche des albums rock de Toto), le touchant Paul Meets Chani, le somptueux Final Dream et sa montée progressive de tout l’orchestre et du chœur pour une apothéose grandiose, et le morceau de clôture, sans doute le meilleur du lot, le fantastique Take My Hand dans lequel le piano et la guitare électrique, soutenus par l’orchestre et la basse, composent un titre d’une beauté toute en délicatesse qui accompagne le générique de fin et les visages de personnages et acteurs qui nous ont fait voyager dans Dune

Au final, un album à l’approche thématique, orchestrale, sachant mêler instruments anciens et modernes dans une synthèse qui colle à merveille avec l’univers du roman, et qui donne une grande profondeur au film. Nous ne reviendrons pas ici sur les déboires de Lynch sur ce film, dont le final cut lui a échappé, mais constatons simplement qu’en dehors de ses grandes qualités et de ses quelques défauts, le Dune de 1984 a bénéficié d’une grande bande-originale dont le pouvoir d’évocation est si fort qu’il convoque à chaque écoute les images du film (à noter que les rares inclusions de dialogues dans le disque permettent aussi d’accentuer cette impression, une pratique qu’adoptera Tarantino dans presque toutes ses BO). Les fans du livre et les cinéphiles en ressortent à l’époque avec une impression mitigée. Avec La Porte du paradis et Coup de cœur, Dune entre désormais dans la catégorie des « grands films maudits ». Et avec le recul, même si c’était une œuvre de commande, Lynch a su malgré tout y insuffler nombre de ses obsessions (cf. le traitement du baron Harkonnen et sa consommation de jeunes éphèbes qui aura marqué tous les spectateurs et écœuré ceux qui s’attendaient à un space opera à la Star Wars).

timothée chalamet dune

Nouvelle approche

Flash-forward en 2021. Après des années d’attente, les fans de science-fiction voient enfin leurs vœux exaucés. Une nouvelle adaptation débarque dans des salles à peine ré-ouvertes après la pandémie. Aux manettes, le Canadien Denis Villeneuve fait à nouveau appel à Hans Zimmer (après l’aventure Blade Runner 2049 pour lequel le compositeur était épaulé par le Britannique Benjamin Wallfisch). Précisons d’emblée que le compositeur d’origine allemande, désormais naturalisé américain, est un grand fan du roman d’Herbert et qu’il rêve depuis des années de traduire cet univers en musique. Il saute donc sur la proposition de Villeneuve, et se lance avec euphorie dans cette aventure (et continue même de composer après le montage du film terminé), pour au final aboutir à trois albums : The Dune Sketchbook, l’Original Motion Picture Soundtrack, et The Art and Soul of Dune*

S’il y a un compositeur dont les œuvres divisent la communauté des fans de musique de film, c’est bien Hans Zimmer. Adulé par les uns, haï par les autres, nul toutefois ne peut nier l’importance qu’il a petit à petit acquise dans le cinéma américain depuis le début de sa carrière dans les années 80, mais surtout depuis les années 2000 qui ont vu son esthétique pompière et exempte de finesse réinventer pourtant la musique du blockbuster hollywoodien (pour le meilleur, Gladiator, mais souvent pour le pire, Pearl Harbor, Batman Begins et une multitude d’autres). Une esthétique plus proche du design sonore que de la musique stricto sensu.

Alors Zimmer a-t-il été inspiré par les sables chauds de la planète Arrakis ou s’est-il reposé sur ses lauriers ? Pour le savoir, nous nous concentrerons ici sur la BO principale (d’une durée de 01h14 minutes !) qui commence par Dream of Arrakis. Tous ceux qui ont vu le film ont gardé en mémoire cette utilisation originale des percussions qui ouvrent la BO : elles font penser au bruit que ferait une machine déréglée ou au son d’un accident industriel, un gimmick sonore utilisé sur de nombreux morceaux. On note d’emblée l’importance des voix féminines (qui servent de fil rouge à l’album) ainsi que celle des sons électroniques (le film s’ouvre d’ailleurs sur une voix métallique parlant un langage alien).

Un rythme qui s’emballe, des sonorités étranges, des percussions assourdissantes, un chœur masculin, un maelstrom de sons qui se chevauchent, le Dune de Zimmer met d’emblée la barre très haut en termes d’étrangeté, de dépaysement. Cette sensation est aussitôt balayée par le deuxième morceau, Herald of the Change, qui s’ouvre avec le solo d’un instrument à vent à l’origine incertaine mais étrangement familière. Ce thème, l’un des principaux de l’album, marque surtout par son utilisation d’un ostinato dans les graves dont le caractère hypnotique s’imprime profondément dans la mémoire acoustique de l’auditeur. Les morceaux alternent ainsi familier et étrange en faisant appel (selon la leçon apprise par le Maestro Morricone que Zimmer adore) à tous les registres de la voix humaine. Chuchotée, criée, chantée, psalmodiée, la voix féminine est la star de cette BO, volonté commune du réalisateur et du compositeur de mettre en avant l’importance des femmes dans cette histoire, mais aussi pour traduire en sons l’idée que dans un futur lointain, la voix humaine servira toujours de guide inépuisable et reconnaissable entre tous. Ce lien qui nous unit autour d’émotions communes.

Dans Gom Jabbar, on entend une voix féminine qui chante un thème « tribal », un des plus marquants de la BO et du film. Comme Zimmer a pu le faire dans d’autres BO (Inception par exemple), les plages synthétiques sont parfois accompagnées de guitare électrique, de percussions pour obtenir un effet assourdissant, une sorte d’avalanche sonore qui engloutit l’auditeur et le spectateur et annihile les sens.

Les thèmes principaux du film sont utilisés à plusieurs reprises, sous différentes formes, souvent de façon tonitruante, plus rarement avec légèreté (exception faite du beau Night on Arrakis et de Holy War, lequel fait d’ailleurs un peu penser dans sa tonalité à la BO de Toto).

Si Zimmer déclare avoir beaucoup expérimenté, jusqu’à créer de nouveaux instruments pour générer de nouveaux sons, l’impression globale qui se dégage de la BO, paradoxalement, est plutôt homogène. De bonnes idées répétées tout au long des (trop) nombreuses plages, des sonorités assourdissantes (l’album a d’ailleurs été mixé en Dolby Atmos), des thèmes reconnaissables mais qui peinent toutefois à générer de l’émotion, le penchant arabisant et religieux des Fremen est certes illustré par la voix féminine, mais sans que cela soit réellement convaincant. Là où Zimmer est le plus efficace, c’est dans la création de boucles musicales obsédantes qui agissent comme autant de « chewing-gums sonores ».  

Dune Lynch Villeneuve

L’heure du bilan

Pour aller plus loin dans l’écoute, on jettera une oreille attentive à The Dune Sketchbook, qui consiste en de longues plages immersives reprenant les principaux thèmes sur une durée incroyable d’une heure quarante-et-une minutes. Cet album, s’il permet d’approfondir l’univers sonore du Dune version Villeneuve, contient surtout un morceau assez hallucinant, Mind-killer, dans lequel Zimmer se permet une débauche d’effets électroniques pour un résultat quasiment bruitiste. Ainsi que House Atreides dans lequel apparaît la cornemuse (lors de l’arrivée des Atreides sur Arrakis) pour un contraste sonore assez sidérant.

Au final, si la BO de Toto procurait des émotions fortes en lien direct avec les mots de Frank Herbert et les images de Lynch, celle de Zimmer produit un effet de sidération auquel le compositeur nous a largement habitués. Certes, la BO de son Dune est plus riche et plus aventureuse par rapport à d’autres que le compositeur a pu signer précédemment, mais en sortant du film, le spectateur a été plus assommé que subjugué. N’est-ce pas après tout le lot d’un certain cinéma actuel qui, par son approche « globale » de l’enveloppe sonore, cherche avant tout à créer une réaction physique chez le spectateur plutôt qu’à flatter son sens esthétique ? Pour cette raison, écouter la BO de Toto est une expérience intéressante et enrichissante, alors que l’écoute du design sonore en dehors d’un film est peu stimulante. Si la BO de Blade Runner 2049, par exemple, s’écoute mal en tant que telle, celle du Dune de Zimmer passe un peu mieux la rampe. Elle se révèle efficace à l’écran, moins sur album. Comme nombre de BO signées par Hans Zimmer, maître incontesté (pour l’instant) de la planète musicale hollywoodienne.

 

 


* Si les deux premiers albums sont déjà disponibles sur les plates-formes de streaming, le troisième doit sortir le 22 octobre pour coïncider avec la parution d’un livre d’art consacré au film ainsi qu’avec sa date de sortie américaine.

 




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