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DAVID LOWERY | Interview

Avant sa passionnante masterclass au Champs-Elysées Film Festival, nous avons eu le privilège de rencontrer David Lowery pour un entretien d’une quinzaine de minutes sur les toits de la plus belle avenue du monde. L’occasion d’évoquer la nostalgie et l’intemporalité de ses œuvres, ses influences artistiques pour The old man & the gun, son rapport à la salle de cinéma et à l’évolution de l’industrie, la place centrale des festivals dans l’existence des films indépendants, mais aussi l’opportunité de revenir, bien évidemment, sur l’expérience de son sublime A Ghost Story.

Le festival des Champs Elysées est un rendez vous annuel pour les spectateurs français et donne au film une certaine exposition. Avez-vous vu un ou plusieurs films sélectionnés ?

David Lowery : Je viens tout juste d’arriver, mais j’ai vu Lost Holiday hier soir. J’ai trouvé ça génial. Il fait partie de ses films que l’on vit comme des expériences. Je connaissais le titre et quelques acteurs mais je n’en savais pas plus. J’aime beaucoup m’égarer en festival avec un film dont je ne sais rien et me laisser surprendre. C’est le genre de festival où je peux me perdre facilement. C’était un vrai plaisir. 

En parlant de festival, A Ghost Story a été très bien reçu au Festival de Deauville, ce qui a encouragé le distributeur à l’exploiter en salle. Pensez-vous que les festivals soient devenus les derniers gardiens du temple ? 

Dans une certaine mesure, j’ai le sentiment que les festivals de cinéma maintenant, mais surtout dans le futur, seront la seule exploitation de certains films en salle. On ne peut plus compter sur une sortie en salle. Par exemple, si A Ghost Story n’avait pas été présenté à Deauville, ni dans d’autres festivals, ça se serait sûrement arrêté là. Je suis très fier de voir qu’il a été présenté au cinéma car je m’étais préparé à ce qu’il soit directement en streaming. Dans le cas de The Old Man & The Gun, le film n’a jamais été présenté au cinéma, excepté au festival des Champs-Elysées. C’est un peu frustrant. C’est toujours mieux que rien. 

Pour les cinéphiles comme moi qui donnent de l’importance à l’expérience de la salle, on peut dire que les festivals sont plus nécessaires que jamais.

Pendant longtemps, j’ai été assez puriste et ne voulais pas voir de films s’il ne passait pas sur grand écran. Mais j’ai finalement abandonné car je ne verrais plus beaucoup de films. Pour moi cela signifie encore quelque chose. Mais en même temps, je devine que l’industrie cinématographique doit s’adapter au petit écran. Pour les cinéphiles comme moi qui donnent de l’importance à l’expérience de la salle, on peut dire que les festivals sont plus nécessaires que jamais. 

Comment réagiriez-vous si Netflix ou Amazon venait vous voir pour vous laisser carte blanche, en sachant que le film ne serait pas distribué en salle ? 

Tout dépend du film. Je suis en train de terminer un scénario en ce moment, de la science-fiction très étrange, presque de la comédie. Je ne sais pas encore ce que ça va être au final. Plusieurs studios ont voulu s’en emparer, mais j’ai refusé catégoriquement. Si je voulais le faire – j’ai terminé le script, c’est normalement prévu (rires) -, je n’écarterais pas la possibilité de le faire avec Netflix car ils aiment prendre ce genre de risque. Mais en même temps, je serais triste qu’il ne soit pas diffusé en salle. Ce n’est pas ce qui va m’empêcher de faire le film, mais je me battrais pour qu’il puisse être visible au cinéma, au moins à travers un festival.

Comme Roma, le film serait porteur d’espoir pour d’autres cinéastes… 

Absolument. Roma a obtenu le prestige d’une exploitation en salle aux Etats-Unis. Je l’ai vu lors d’une avant-première et les gens se pressaient pour le voir, même s’il était déjà disponible sur Netflix. C’était encourageant de voir que les gens aiment encore aller au cinéma et sont prêts à débourser de l’argent alors que le film est disponible chez eux. Et il y a eu aussi une brève sortie pour celui des frères Coen, qui a été à l’affiche pendant une semaine. Je l’ai raté en salle donc j’ai du le voir sur Netflix. En revanche, lorsque Okja a été mis en ligne, je l’ai découvert seulement six semaines plus tard. Il était déjà disponible après Cannes. Netflix, c’est un peu le bazar pour s’y retrouver. 

Pour Green Knight (son prochain film – ndlr), si Netflix me disait qu’il ne serait distribué nulle part et n’irait pas en festival, je le prendrais un peu mal (rires). Mais si c’est un manière pour moi de faire le film, j’accepterais sûrement. 

Parlons maintenant de The Old Man & The Gun, avec Robert Redford et Sissy Spacek. Le film est très ancré dans une atmosphère très 70’s, à la fois chaleureuse et nostalgique. Quelles ont été vos influences ? 

Dans une certaine mesure, The Old Man & The Gun est particulièrement inspiré par la filmographie de Robert Redford. Je savais où le film se situait dans sa carrière, et que ce serait sans doute son dernier film. Il avait envie d’un film qu’il soit un peu une suite spirituelle de Butch Cassidy et le Kid. Il voulait retrouver cette atmosphère, donc j’ai essayé de satisfaire sa volonté, mais aussi rendre hommage à qui il est en tant qu’icone du cinéma. J’ai été sans doute très influencé par son film Downhill Racer (La descente infernale), en plus de Butch Cassidy. C’est un film que j’aime beaucoup, en termes de style et d’esthétique, ça a été une des influences majeures.

Je regardais beaucoup de films de Jonathan Demme durant la préparation du film et Melvin and Howard est certainement le plus proche esthétiquement de mon film, mais aussi dans sa sauvagerie et sa singularité. Je ne voulais pas fétichiser le passé comme je l’avais fait dans Les amants du Texas, que ce ne soit pas un film trop raffiné visuellement.

Vos films semblent imprégnés d’un sentiment de nostalgie. Est-ce une tentative de préserver le temps ou d’insuffler une impression d’intemporalité à vos œuvres ?  

Je plaide coupable, je pense être quelqu’un d’assez nostalgique et c’est quelque chose sur lequel il faudrait que je travaille (rires). Je n’idéalise pas le passé, je ne pense pas que le monde était meilleur avant, quand mes parents étaient enfants. Mais j’aime ce qui résiste à l’épreuve du temps.  J’aime cette permanence, elle me donne un sentiment de confort et j’essaie de l’évoquer dans mes films. Personne ne sait véritablement quand se déroulent Les amants du Texas et Pete’s dragon. Il n’y a pas d’années. Il y a des indices avec des voitures des années 70 mais d’autres indicateurs contradictoires. Le sentiment me parait plus important que l’époque. A ghost story est peut-être le film le plus moderne que j’ai pu faire puisqu’un personnage se sert d’un ordinateur (rires). Habitant au Texas, je vis de façon très « high tech » mais on ne peut rien changer à ce qui nous entoure, car c’est un quartier historique. J’aime ce mélange passé-présent dans ma vie quotidienne, cette esthétique me séduit et ce n’est pas limité à ma propre vie. Je me sens nostalgique de certains éléments de mon enfance mais je n’en suis pas nostalgique. C’est une autre sorte de nostalgie que j’essaie d’évoquer dans mes films…

En quelque sorte, vous aimez voyager dans le temps à travers vos films…

Pas de façon spécifique, mais tout à fait. The old man & the gun s’avère être le premier film où le temps est précisé. Je me suis alors amusé à en jouer, avec des grosses lettres à l’écran. Cela n’a aucune signification pour le film, c’était juste amusant pour moi.

Les films préservent des périodes du temps et nous font voyager dans le temps. On créé un fac-similé du passé. Lorsqu’on le regarde, ou même l’on est en train de tourner un film, on pourrait croire que l’on se trouve dans une autre espace-temps. Lorsque les acteurs apparaissent à l’écran, à un moment de leur vie, et ce moment est préservé éternellement dans un film. C’est du voyage dans le temps à différents niveaux…

David Lowery shooting
Comment avez-vous travaillé avec Joe Anderson, votre chef-opérateur, sur ce format particulier qu’est le Super 16 ? 

J’avais vraiment envie qu’il soit filmé avec ce format. Je ne voulais pas d’un film avec une esthétique trop raffinée. On vit dans un monde où tout doit être en haute définition. Au contraire, je voulais que l’image ait du grain, en jouant sur les focus et le flou. Je voulais faire un film comme on en faisait dans les années 70-80. À l’époque, les caméras n’étaient pas aussi pointues. On a donc cherché le bon équilibre sur les réglages.

Que pouvez-vous nous dire sur Green knight, votre nouveau projet ? 

Je peux vous dire qu’il est tourné et qu’on est désormais dans la phase de montage. On a tourné en Irlande de mars à mai, on a tout bouclé le mois dernier.

Et cette fois, il n’y aura ni Rooney Mara, ni Casey Affleck (rires)…

Oui, je voulais un casting entièrement européen car cela ne se déroule pas aux Etats-Unis. Pour la première fois, il n’y avait aucun comédien avec lequel j’avais déjà tourné. C’était un peu déstabilisant de n’avoir aucun ami ! (rires) Je plaisante, bien sûr, car j’ai eu la chance de pouvoir travailler avec mon équipe habituelle derrière la caméra : le même chef-opérateur, le même production-designer, tous les techniciens qui avaient travaillé sur A ghost story étaient là. J’étais très bien entouré. C’était très plaisant.

Pour terminer, de façon plus personnelle, nous voulions vous dire un mot sur A ghost story justement, un film qui a une signification toute particulière à nos yeux, tant il nous a bouleversés et fascinés…

Je suis conscient que c’est un film à part. Je ne sais pas si j’aurais l’occasion de refaire un film comme ça un jour. J’aimerais beaucoup. Les étoiles se sont alignées pour que cela se fasse et je suis infiniment reconnaissant qu’il ait touché à ce point.

interview David Lowery

Propos recueillis, traduits et édités par Amandine Dall’Omo et Thomas Périllon




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