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Y A-T-IL UN PILOTE DANS L’AVION

Du fait d’une intoxication alimentaire, les pilotes d’un avion de ligne perdent connaissance. Le seul espoir réside dans un ancien pilote de chasse traumatisé par la guerre…

La meilleure blague du monde n’existe qu’au cinéma.

On les envie, les critiques de drames, de films sérieux, de films tristes. Leur travail est le plus facile du monde. Voici que tel acteur est superlatif, voilà que la mise en scène est adjectif laudatif. On saupoudre tout ça d’une pincée d’important, d’un zeste de nécessaire, d’un demi-tour de moulin à indispensable, et on est persuadés qu’on vient de pondre une critique importante, nécessaire et indispensable, alors qu’on vient juste de profiter du confort du grave et du pathos pour s’inventer un style qu’on a lu dans tel cahier, espérant un jour être repéré pour vivre de gratter son obsession. Douce vie que celle-ci.

Une comédie. Ça, c’est un défi. Avez-vous déjà essayé d’être profond, remuant, juste et cinéphile sur une comédie ? Mmmh ? Si vous n’avez jamais relevé le challenge, mettons nous en condition. Fermez les yeux. Rouvrez-les, sans quoi vous ne pourrez pas lire le reste de l’exercice. Bien. Remémorez-vous votre blague préférée. Si vous êtes Tex, elle est naze, et vous n’avez rien compris à son utilisation, ni à son timing, ni à son contexte – et profitez-en pour rendre à César ce qui appartient à Hannibal Burress. Essayez donc d’expliquer pourquoi votre blague préférée est drôle, sans rendre moins drôle la blague originale. L’impasse dans laquelle vous êtes, multipliez-là par cent : il va nous falloir ici expliquer pourquoi la meilleure blague du monde est drôle. Comme toutes les meilleures blagues du monde, elle commence par une question : Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Ce temps où ZAZ signifiait « humour » et non « menton »

Épargnons-nous la trivialité de parler du synopsis. Pour les idiots qui font exprès, cela se passe vaguement dans un avion ; il y a vaguement une histoire d’intoxication alimentaire ; les personnages sont vaguement décrits, plus enclins à être le corps des vannes que les cerveaux de l’intrigue. On ne passera sûrement pas un paragraphe à énumérer le casting à l’heure où vous avez l’information au bout du nouvel onglet. Orchestré par le trio Jim Abrahams / David et Jerry Zucker, matricule ZAZ, le vol est d’abord, comme toutes les bonnes comédies au cinéma, une affaire de gags de cinéma. La quasi-totalité des traits d’humour de Y a-t-il un pilote dans l’avion ? perdent tout leur sens hors de leur cadre artistique.

Où le paragraphe d’introduction, morbide et lourdeau, prend enfin sens : les vannes de Airplane ! (en VO) ne sont plus drôles dès lors qu’on les décrit, à l’écrit ou à l’oral. Les seules exceptions, ce sont les vannes les plus connues (Roger/Victor/Oveur, Shirley), celles qui sont restées « cultes », précisément parce qu’elles héritent directement de la tradition verbale du calembour de comptoir. On ira jusqu’à dire que ce sont les moins bonnes. Il est là, le secret du succès des ZAZ, déjà aperçu trois ans auparavant dans Hamburger Film Sandwich, plus fermé par sa structure à sketchs, ou dans les Mel Brooks du début : utiliser les outils du cinéma pour faire une comédie de cinéma. Le conseil semble évident : c’est fou à quel point il est oublié, volontairement ou involontairement.

Des points négatifs ? Oui, certainement.  Y a-t-il un pilote dans l’avion ? a engendré un demi-siècle de sketchs sans inspiration sur le thème de l’avion du côté de la scène humoristique française, du pain-béni pour une culture fermement persuadée que les Inconnus et Coluche sont d’excellents comiques. Voilà un papier bien vain : vous voulez rire face Y a-t-il un pilote dans l’avion ?, vous n’avez qu’à le regarder, tiens. On ne va quand même pas vous apprendre ce qui est drôle, et ce qui ne l’est pas. Et puis merde, on ne peut pas mettre Kareem Abdul-Jabbar dans un film sans que ce dernier soit légendaire.


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