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WALKABOUT

Deux Occidentaux, une adolescente et son jeune frère, se retrouvent abandonnés dans le bush australien après l’incendie de leur voiture. Survivant tant bien que mal dans le désert hostile, ils rencontrent un jeune Aborigène en plein « walkabout », une errance initiatique rituelle.

POÈME VISUEL ET SONORE

Oubliez tout d’abord que Nicolas Roeg a été un directeur de la photographie de renom pendant dix ans avant de passer à la réalisation. Oubliez qu’il a travaillé avec de grands réalisateurs comme David Lean, Richard Lester ou John Schlesinger. Oubliez aussi que Walkabout est son deuxième film et qu’il est adapté librement par Edward Bond d’un roman de James Vance Marshall.

Il faudrait rentrer dans Walkabout (1971) nu, sans rien en savoir, uniquement porté par une curiosité, une soif d’images et de sons, l’esprit le plus ouvert possible, prêt à le recevoir tel qu’il est.

Il y a des films dont la découverte nous a tellement marqué qu’ils ont laissé une profonde trace en nous, comme un tableau, une chanson ou un roman. Les revoir, c’est retrouver un vieil ami, s’amuser des contours de son visage, du son de sa voix, de la couleur de ses yeux. Walkabout est de ceux-là. Soit on adore, soit on déteste, mais rien entre les deux. Si vous l’avez déjà vu, vous lirez ce texte pour y retrouver des sensations et des formes familières. Si ce n’est pas encore le cas, vous y chercherez des raisons pour découvrir un univers inconnu.

Dans tous les cas, quand on se plonge dans Walkabout, on découvre un cinéaste en liberté, utilisant les moyens offerts par la langue qu’il pratique, celle du cinéma, pour nous transmettre non seulement des idées, mais des sons, des formes, des odeurs, des couleurs, des mouvements, des regards…

On n’oubliera pas, par contre, la musique de John Barry, dont le lyrisme et la beauté font ressentir intimement la force du rapport à la nature que ressentent les personnages, la beauté sauvage, et l’éloignement vis-à-vis de la civilisation, dans une veine proche dans certains morceaux de celle de Vivre libre (1966). Barry utilise un chœur d’enfant dont la pureté évoque l’innocence de l’enfance mais aussi des arrangements de cordes et de hautbois somptueux et des instruments plus singuliers comme le didjeridoo. Une BO tour à tour espiègle, majestueuse, inquiétante, mystérieuse. Une des plus belles de son auteur qui y déploie des trésors de tendresse et de générosité.

ERRANCE

Deux personnages, puis trois. Une adolescente (Jenny Agutter) et son jeune frère (Luc Roeg), perdus dans le désert australien après un événement terrible qu’on se gardera d’évoquer, a fortiori d’expliquer. L’errance diurne et nocturne, bien vite le manque d’eau, l’omniprésence des animaux, de la terre rouge, du ciel bleu azur, réminiscences de La Nuit du chasseur (1955).

Puis, la rencontre avec Lui (David Gulpilil), le jeune homme en plein walkabout, ce rite d’initiation pendant lequel il vit seul, se nourrit seul, apprend à se suffire à lui-même et à survivre au contact des animaux et loin des hommes. De ce contact fortuit entre ces trois êtres naît une amitié en dehors du langage, en dehors des normes. L’Aborigène leur montre comment trouver de l’eau, comment se nourrir, il les entraîne vers d’autres paysages, plus luxuriants, plus verts, et aussi vers une sorte de village qui les mène à une route, peut-être vers la civilisation. Mais avant cela, ils auront connu une parenthèse enchantée, ils auront su s’adapter aux éléments hostiles, s’amuser, se baigner, se chamailler, vivre tout simplement entre la terre australienne et le soleil qui brûle les épaules et le dos.

Dire que le film est constamment surprenant, avec ses ruptures de ton et ses scènes adjacentes sans rapport direct avec l’intrigue. Nicolas Roeg utilise tout le spectre du montage qui s’offre à lui (arrêts sur image, analogies…) pour appuyer son propos et créer une narration fractionnée dont il deviendra le plus éminent représentant. Souligner aussi que ses images sont de toute beauté, que sa bande-son est riche mais pas surchargée, qu’entre les fruits verts ou rouges, le vent chaud, les corps maquillés et/ou nus, les rapaces, les lézards, les volutes de fumée, le son nasillard d’un poste de radio, tout un univers magique se déploie.

Souligner enfin la richesse du propos : l’opposition entre nature et civilisation, rarement aussi bien incarnée que par ces personnages que tout oppose et qui se trouvent un bref instant. Et une ancestrale histoire d’enfants perdus dans un monde hostile, confrontés à la perte de l’innocence et à l’impossibilité d’y revenir autrement que par le biais cruel de la mémoire.


Ressortie en Blu-Ray/DVD chez Potemkine le 19 avril 2022.




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