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WALKABOUT – LA RANDONNÉE

Une jeune fille et son petit frère se retrouve perdus dans le désert australien après un coup de folie de leur père. Errant sans ressources ni repères ils tombent sur un jeune aborigène parti faire son walkabout, iniatiation rituelle dans la nature pour tout jeune de 16 ans de sa communauté. Ensemble ils vivent une expérience unique sur les territoires arides de l’île continent.

Perdus dans l’immensité

1971 est une année particulière pour le cinéma australien. Elle voit naître deux films d’exception pour ce grand pays, Wake in fright de Ted Kotcheff, et Walkabout de Nicolas Roeg. Ces deux long-métrages résonnent comme deux définitions parfaites du continent austral et ont pour particularité d’avoir été réalisés par des étrangers, Roeg étant anglais et Kotcheff canadien. Leur regard sur cette terre encore mystérieuse pour les occidentaux est un coup de tonnerre et une fondation pour ce cinéma national passionnant à plus d’un titre. Walkabout(La randonnée) est peut être encore plus emblématique en cela qu’il révèle un visage, un corps, qui ne cesseront de hanter les films australiens, celui de David Gulpilil, âgé de 17 ans au moment du tournage.

Gulpilil entre dans le champ après une longue introduction qui voit une sœur et son petit frère perdus dans l’immensité désertique. L’auteur a pris grand soin d’opposer par des plans rapides le faste de l’urbain du colonisateur anglais, sa folie et sa démesure, face au sable rouge et au dénuement de l’intérieur des terres où l’homme blanc est absent. Le jeune aborigène accueille la fratrie au beau milieu de sa propre aventure, son passage à l’âge adulte, qui repose sur une errance solitaire en communion avec la nature. Le monde matériel semble aboli, le walkabout a englouti les deux jeunes citadins, pris sous l’aile protectrice de leur nouvel ami qui a repoussé le spectre de la survie pour imposer celui de la communion des sens.

Roeg fustige l’ingérence coloniale

Toute marque de la civilisation occidentale est en ruine, les maisons rencontrées ne sont plus que de lointain souvenirs. On y trouve de vieilles photographies, des vestiges de vies antérieures qui n’ont pas réussi à dompter les éléments de l’outback australien. Roeg fustige très clairement l’ingérence du colonisateur anglais, qu’il représente lui-même d’une certaine manière, brisant l’initiation du personnage de Gulpilil, à jamais bouleversé par cette rencontre imprévue qu’il n’arrivera pas à dépasser. Ces images de son peuple, presque subliminales, habitant les oripeaux de la vie occidentale dans une décharge de voitures, sont déchirantes.

walkabout roeg
La conclusion du film ne l’est pas moins. Avec une mise en scène syncopée et poétique, Nicolas Roeg a réussi une charge extrêmement puissante contre la volonté normative implacable de l’occident. C’est ici un monstre qui broie les peuples et leurs cultures, pour imposer une économie de marché et des concepts économiques qui font abstraction de toute logique humaine. Le destin de la jeune fille, le fatalisme qui s’y attache, ainsi que le cynisme qui s’en dégage, font presque du film une tragédie tellement le sentiment de perte est lourd et douloureux.

Au delà de ces considérations très politiques, Walkabout fait donc émerger un sublime acteur, qui brillera sur cinq décennies, dans des chefs d’œuvres tels que The last wave (1976) de Peter Weir, ou plus récemment Charlie’s country (2013) de Rolf de Heer. A bien des égards David Gulpilil est devenu un des visages les plus importants du cinéma australien en général, et des aborigènes en particulier. Il demeure le plus bel ambassadeur d’un art du bout du monde trop peu célébré et trop peu mis en lumière.


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Le témoignage poignant de Warren Ellis, guitariste des Bad Seeds, qui a tenu à programmer ce film dans le cadre des 25 ans de l’Étrange festival, illustre l’importance de Walkabout et de son acteur principal pour toute une génération. C’est bien là une œuvre rare qui ne cesse de hanter, de créer de la surprise, offrant une représentation du monde salvatrice et sublime à la fois.




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