featured_une-vie

UNE VIE

Normandie, 1819. A peine sortie du couvent où elle a fait ses études, Jeanne Le Perthuis des Vauds, jeune femme trop protégée et encore pleine des rêves de l’enfance, se marie avec Julien de Lamare. Très vite, il se révèle pingre, brutal et volage. Les illusions de Jeanne commencent alors peu à peu à s’envoler.

Intemporel

Il est rare de voir un roman aussi bien adapté au cinéma. Avec Une vie, Stéphane Brizé livre un véritable modèle de la transcription d’une œuvre de l’écrit à l’écran. Tout en restant parfaitement fidèle à l’esprit du texte de Maupassant, il a su lui insuffler sa propre vision, en cassant par la même occasion les codes du film en costumes.

Passer d’une narration littéraire à une narration cinématographique n’est pas toujours chose aisée, et devient d’autant plus complexe quand il s’agit de raconter en deux heures trente années d’une vie. La vie en question est celle de Jeanne, jeune femme candide et idéaliste, qui va peu à peu perdre ses illusions à mesure des déconvenues qui vont jalonner son existence. Stéphane Brizé et sa scénariste Florence Vignon ont conservé une grande partie des événements majeurs du roman, ceux qui forgent la destinée de Jeanne, et les ont réintégrés dans une écriture totalement cinématographique, faite d’instantanés et d’ellipses, parfois de flashbacks. Si Stéphane Brizé casse la chronologie très linéaire du roman c’est pour arriver autrement au même but, faire ressentir l’impact du temps qui passe et la façon dont Jeanne l’appréhende.

Ainsi, sans avoir recourt au moindre carton ou à la moindre voix off explicative (les quelques voix off sont dites par des personnages et s’intègrent de l’intrigue), Une vie déroule les années avec la même fluidité que le roman en faisant se répondre admirablement les séquences. Les ellipses apparaissent comme des couperets invisibles dans la vie de Jeanne qui vieillit plus vite qu’elle ne devrait, tandis que les flashbacks viennent se glisser au milieu d’instants présents comme la nostalgie d’un passé révolu vient s’emparer de l’esprit de l’héroïne.

Si le film rend aussi bien compte de la notion du temps, c’est aussi parce que dans les séquences en elles-mêmes ce temps est particulièrement palpable. Là encore, Stéphane Brizé reprend totalement l’esprit du roman de Maupassant qui s’attache à montrer le quotidien de ses personnages, un quotidien qui n’a rien d’exceptionnel. Jeanne est une femme attachée à la simplicité des choses, dans laquelle elle trouve finalement son idéal. Stéphane Brizé va même plus loin que Maupassant en ne montrant pas les grands événements de la vie de Jeanne mais en ne faisant que les évoquer : son mariage ne transparaît qu’à travers une discussion en voix off entre la jeune fille et ses parents ; la mort des amants se résume à des plans fixes sur les cadavres… Le réalisateur préfère de loin montrer ses personnages dans des occupations très simples du quotidien, tuant le temps dans des balades ou en jardinant. Tout comme dans le roman, la nature a une grande importance. Pure, sans tricherie, elle est le point de repère de Jeanne. Dans le film, elle va aussi être le reflet de l’état d’esprit de l’héroïne, tantôt baignée de soleil, tantôt dominée par des nuages ou frappée de tempêtes.

Une vie film

Cette simplicité, cette pureté, Stéphane Brizé va aussi les rechercher dans le style de sa mise en scène. Loin des grands films en costumes qui tentent de reconstituer une époque à travers des décors grandioses et une image léchée, le réalisateur fait dans le minimalisme. Le style est quasi documentaire avec une photographie la plus naturelle possible (les intérieurs sont souvent éclairés par les dernières lueurs du jour ou à la bougie), une prise de son directe qui ne cache pas les défauts d’acoustique des lieux de tournage, une caméra qui n’anticipe pas l’action… Le format 1.33 écarte également toute fioriture pour donner une importance entière à ce qui est au centre du plan.

Le montage sonore possède une place centrale dans le film qui met au même plan les dialogues et les bruits qui seraient habituellement dits « de fond » : crépitement du feu, sons du vent, des vagues… Cette importance donné aux sons crée d’autant plus cette sensation de plongée au cœur de la vie et impose un style particulier au film qui répond à celui du naturalisme du roman. Dans leurs interprétations les comédiens intègrent également totalement cette idée. Stéphane Brizé a choisi ses acteurs pour ce qu’ils dégagent et attend d’eux qu’ils soient plus qu’ils ne jouent. Il se dégage des scènes un sentiment de réalisme rarement atteint. Judith Chemla livre une performance exceptionnelle prêtant à Jeanne sa sensibilité, sa fragilité, ses doutes, ses douleurs. A ses côtés, Jean-Pierre Darroussin et Yolande Moreau offrent leur bienveillance aux parents de l’héroïne, tandis que Swann Arlaud apporte des nuances à l’époux infidèle et radin qui apparaît moins subtil dans le roman de Maupassant.

Avec Une vie, Stéphane Brizé offre une proposition de cinéma audacieuse qui sied à merveille au roman de Maupassant. Par ce geste artistique, il montre combien, derrière son statut de classique de la littérature française, l’œuvre originale a conservé toute sa force et porte en elle un caractère intemporel.



#LBDM10ANS

𝚁𝚎́𝚝𝚛𝚘𝚜𝚙𝚎𝚌𝚝𝚒𝚟𝚎 𝟸0𝟷𝟼




%d blogueurs aiment cette page :