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TOP GUN : MAVERICK

Après avoir été l’un des meilleurs pilotes de chasse de la Marine américaine pendant plus de trente ans, Pete “Maverick » Mitchell continue à repousser ses limites en tant que pilote d’essai. Il refuse de monter en grade, car cela l’obligerait à renoncer à voler. Il est chargé de former un détachement de jeunes diplômés de l’école Top Gun pour une mission spéciale qu’aucun pilote n’aurait jamais imaginée. Lors de cette mission, Maverick rencontre le lieutenant Bradley “Rooster” Bradshaw, le fils de son défunt ami, le navigateur Nick “Goose” Bradshaw. Face à un avenir incertain, hanté par ses fantômes, Maverick va devoir affronter ses pires cauchemars au cours d’une mission qui exigera les plus grands des sacrifices.

CRITIQUE DU FILM

« [Le travail d’acteur de Tom Cruise] mis en avant n’est pas un quelconque travail de réflexion sur les textes, le jeu d’acteur ou le coaching mais un travail d’appropriation des gestes. On saura ainsi que Cruise perd du poids, en regagne en levant de la fonte, assiste à des classes de pilotage pendant trois mois, apprend à jouer au billard, à faire des cocktails, à se mouvoir dans un fauteuil roulant, à parler avec l’accent irlandais, à jouer du piano ; il lit tout haut des classiques, regarde des cassettes de lion tuant des zèbres, apprend à tuer un homme à main nu, apprend à tirer deux coups de calibre 45 en une seconde 1/10°… […] Cruise est un corps : au début de sa carrière, c’est une évidence. La mise en avant de ce corps est alors constante. Il est torse nu dans sa première apparition au cinéma (Un amour infini) et c’est en dansant en chemise et slip qu’il se fait connaître du grand public (Risky Business). Comme l’indique un de ses biographes : « Risky Business a montré que le processus de fabrication de Tom Cruise était achevé. » Joël Augros, La star comme entreprise : Tom Cruise, 2007.

Tom Cruise est un mutant. Transcendant les limites des cascades effectuées, l’acteur désormais âgé de 60 ans fait figure d’anomalie, dans un paysage cinématographique d’action hollywoodien sclérosé par les postures faussement cool et la fainéantise de ses dernières figures de proue. Tom Cruise est un acteur et un producteur hors normes, et tous ses derniers films font plus que le mettre en valeur : ils sont conditionnés en toute transparence en fonction de son regard et de ses gestes. Top Gun : Maverick, attendu dans les salles depuis presque trois ans, est plus que la continuité de ce projet ; il en est probablement le point culminant.

A la sortie du premier Top Gun de Tony Scott en 1986, Tom Cruise se cantonnait à des rôles de jeune premier, casse-cou mais attachant, et sûr de ses capacités. Il faut dire qu’il était encore considéré comme une star montante, déjà vue chez de grands réalisateurs (Francis Ford Coppola, Ridley Scott) mais partageant souvent l’affiche avec d’autres acteurs plus ou moins célèbres. Robert Seller dira même dans l’une des multiples biographies sur le comédien : « Quoique tenant sa partie face à des icônes comme [Paul] Newman, [Dustin] Hoffman et [Jack] Nicholson, ses détracteurs, et ils sont nombreux, affirment que Cruise n’est qu’une star de cinéma qui prétend être un acteur ».

Les sceptiques ne furent pas forcément confondus mais le public répondit présent : Top Gun fut le film de la consécration, celui qui propulsa le jeune acteur au niveau supérieur au box-office, et en en faisant l’un des corps les plus attractifs de Hollywood. En effet, sa musculature imposante malgré sa petite taille masquée par les échelles de plan le tournant à son avantage en font un modèle d’action et publicitaire désormais incontournables. Ce n’est par exemple pas un hasard si le modèle de lunettes Ray-Ban porté par Cruise dans ce film vit ses recettes augmenter de 40% après sa diffusion en salles…

Top Gun : Maverick

UN BEAU FUSELAGE…

Certaines personnes analysent depuis quelques années Tom Cruise comme une vision réelle du personnage de Benjamin Button, un homme dont les capacités physiques et le surmoi psychique régressent au fur et à mesure qu’il vieillit. Tom Cruise ne s’interdit en effet plus rien, pas même les sauts les plus périlleux ni les articles de presse tapageurs. Mais cet aspect régressif se retrouve aussi dans sa propre carrière d’acteur, avec depuis les années 2010 une production systématique de films d’action « old school », comme au bon vieux temps des mécaniques de Tony Scott ou des films d’espionnage. Néanmoins, un changement de paradigme opéra dans les années 2010, et Tom Cruise n’a plus besoin d’exister par rapport à un acteur pour réussir à soumettre l’idée qu’il en est un. Top Gun : Maverick répond à tous ses critères, quitte à pousser la logique de ce système encore plus loin : sans dénigrer le corps toujours intact de l’acteur, le film de Joseph Kosinski s’évertue à en faire une figure messianique, le berger narratif d’un troupeau de jeunes acteurs agissant littéralement sous son commandement.

Top Gun : Maverick s’amuse, par touches, à se replier sur son célèbre aîné sorti il y a plus de 35 ans, même dans l’idée d’être un film d’action dépourvu de toute métaphore ou symbolique fumeuse. Le film avance tout droit vers l’efficacité la plus redoutable, sans aucun obstacle psychologisant.

Néanmoins, ce deuxième opus a conscience de son repli, et passe par une série de raccords regards incessants qui placent Tom Cruise comme le maître incontesté de tout le système. Nous ne regardons pas les jeunes acteurs piloter des F-16 ; nous regardons d’abord Tom Cruise regarder et diriger ces jeunes acteurs qui pliotent. Nous n’appréhendons pas les tensions dramatiques entre les soldats, nous les comprenons avant tout par l’intermédiaire du passé du personnage de Tom Cruise. Si les personnages étaient de vulgaires archétypes sans âme dans le premier chapitre, ceux de ce nouvel opus n’existent que par le prisme de la persona extra-diégétique du protagoniste, que désormais tout le monde connaît sans même avoir poussé ses recherches sur le passé de l’acteur. A vrai dire, tous les actants secondaires n’ont rien d’autre d’intéressant à se mettre sous la dent que discuter avec Tom Cruise qui leur donne des consignes afin de mener à bien la mission suicidaire qui les attend.

Etonnant de faire face à un tel vide, à l’exception de tout ce qui touche à l’Homme au-dessus du film (comme la bluette entre Maverick et l’une de ses ex jouée par Jennifer Connelly). Ces idées fonctionnelles ne paraissent exister que pour faire du remplissage et adoucir la grande virilité qui règne au sein du long-métrage. De la même manière, ce qui a trait au supérieur du personnage principal – incarné pourtant par Jon Hamm ! – est relégué au rang de l’anecdote et de la scorie du pilote qui se rebelle face à la prudence de sa hiérarchie. Miles Teller aussi, malgré une prestation honorable, est vidé de toute profondeur caractérielle et n’est rien d’autre que « le fils de Goose ». Il va donc sans dire que le grand sujet formel reste la mise en abyme ultime de la persona d’un acteur, contraint de faire face aux démons de sa jeunesse qu’il parvient à dompter grâce à son assurance démesurée. L’ensemble prête souvent à sourire au vu des multiples hyperboles qui se dressent pour hisser au plus haut des cieux ce démiurge scientologue et les quelques scènes viriles paraissant tout droit sorties des actioners des années 1990, mais ceci n’est rien d’autre que la suite logique et over-the-top de la carrière du dernier nabab de la Paramount.

Top Gun : Maverick

… AVEC DE BEAUX RÉACTEURS À L’ARRIÈRE

Au-delà de ses spécificités et grâce aux exigences toujours plus folles de ses producteurs, Top Gun : Maverick est un film d’action ultra-spectaculaire. Certes, le style de Joseph Kosinski s’inspire surtout d’un syncrétisme esthétique fourni par le premier volet et les différentes itérations de films d’aviation sortis après le film de Tony Scott, mais il n’en restait pas moins le meilleur cinéaste en activité pour capter les grands espaces. Au regard de ses précédents films (Line of fire, Oblivion), il était plutôt aisé de deviner l’aspect vertigineux qu’allait présenter le long-métrage. Délaissé du pool d’écriture tenu par le sempiternel Christopher McQuarrie, il parvient en outre à donner libre cours à sa folie plastique sans s’appesantir sur des tunnels de dialogue ridicules et des références narratives épuisantes que possédait notamment Oblivion.

Le tournage en caméras IMAX lui permet d’ailleurs d’être le plus optimal lors des scènes de décollage à l’intérieur du cockpit, favorisant l’immersion et faisant basculer les aspects ringards d’un scénario anachronique vers une tout autre dimension qui coupe le souffle. Dans cette optique, il est même possible que ce film soit le meilleur que Cruise ait pu faire depuis Jack Reacher, tant il s’applique à maintenir une tension physique durant 2h11, notamment grâce à sa dernière demi-heure d’action ininterrompue qui fait courir un beau frisson sur l’épiderme.

Tout cet apanage stylistique, associé à la surreprésentation à la star de Tom Cruise, font alors office de film totalement hors du temps, une ode jouissive à son protagoniste et à la haute voltige, le tout baigné dans une qualité cinématographique indéniable qui soufflera un vent frais sur la Croisette. La Danger Zone ne mourra jamais.

Bande-annonce

25 mai 2022 – De Joseph Kosinski
avec Tom Cruise, Jennifer Connelly et Miles Teller




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