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TITANIC

Southampton, 10 avril 1912. Le « Titanic », le paquebot le plus grand et le plus moderne du monde, réputé pour son insubmersibilité, appareille pour son premier voyage. Quatre jours plus tard, il heurte un iceberg. À son bord, un artiste pauvre et une grande bourgeoise tombent amoureux. 

CRITIQUE DU FILM

Est-il possible de voir autre chose qu’une opération commerciale derrière cette énième reprise en salle du film de James Cameron ? Déjà ressorti en 2012 dans une version 3D à l’occasion du centenaire du naufrage du Titanic, puis en 2017 pour le 20e anniversaire en 3D Dolby Vision, le film de James Cameron fête cette année ses 25 ans « upgradé » en 3D 4K HFR (High Frame Rate), soit le standard technique du dernier Avatar. Véritable phénomène depuis sa sortie en 1997, troisième plus grand succès de tous les temps au box-office mondial (inflation prise en compte), en tête du top français depuis 1998 grâce à 21 millions d’entrées, Titanic fera-t-il toujours des vagues en 2023 dans un marché cinématographique bouleversé par la prise de pouvoir du streaming ? On pourrait y voir une stratégie du désespoir adoptée par le secteur du cinéma visant à extirper le spectateur de son canapé en lui promettant un spectacle certes connu mais rénové, adapté aux exigences techniques du moment. Titanic ne représente-t-il pas le parangon du film à voir au cinéma, du spectacle « bigger-than-life » à vivre sur grand écran ? « Vous donnez rendez-vous à quelqu’un que vous aimez, à un ami ou quiconque, pour aller s’asseoir dans un cinéma, cela devient un moment d’échange sacré pour nous tous », a dit lui-même le réalisateur lors d’une récente conférence de presse.

Si l’œuvre de Cameron a marqué les esprits, l’histoire dramatique du naufrage du Titanic qui a eu lieu dans la nuit du 14 au 15 avril 1912 dans l’océan Atlantique après son départ de Southampton en Angleterre le 10 avril et deux escales (Cherbourg et Queenstown)a très rapidement fait l’objet de multiples adaptations, au cinéma et à la télévision, sous la forme de documentaires ou de romans. Que ce soit en Allemagne sous le régime Nazi, en Italie ou en Angleterre, différents longs métrages de fiction se sont succédé pour raconter cette histoire édifiante, mais c’est surtout celui réalisé par Roy Ward Baker en 1958, Atlantique, latitude 41° (A Night to Remember), qui se distingue par ses qualités cinématographiques mais aussi par son souci d’exactitude historique basée sur les témoignages des survivants (malgré quelques erreurs comme le fait que dans cette version le navire ne se brise pas en deux alors que cela a été le cas dans la réalité, un fait qui n’était pas connu à l’époque de sa réalisation). Le film de Cameron cite d’ailleurs plusieurs scènes de celui de Baker en les tournant à l’identique, comme celles avec l’orchestre et la rencontre de Thomas Andrews avec un jeune couple dans le fumoir. 

Phénomène mondial

Le phénomène mondial Titanic a produit tant de littérature qu’il est utile aujourd’hui de revoir le film en le dégageant complètement de son contexte de création. Combien de critiques ont décrit avec précision, et parfois emphase, le tournage épique au Mexique dans des bassins géants créés ex nihilo, la réplique en (quasi) taille réelle du navire, le tournage très complexe, l’intoxication criminelle de l’équipe, les dépassements budgétaires épongés par les deux studios producteurs (20th Century Fox et Paramount), les rumeurs de fiasco dans la presse, puis la sortie triomphale, l’engouement des spectateurs, les records au box-office et aux Oscars, et la renaissance de l’intérêt mondial autour d’une des plus grandes catastrophes humaines de notre temps. Un intérêt perpétué par le réalisateur lui-même avec un documentaire en 2003 intitulé Les Fantômes du Titanic.

Autant d’éléments qui constituent un « storytelling » à la teneur élevée en légendes dont il est utile d’extraire tout simplement le long métrage de cinéma en le jugeant sur pièces et non pas en rapport à ses difficultés de conception, aux polémiques, au succès qui l’a couronné ou à l’intérêt qu’il a refait naître.

Revoir Titanic en 2023 ? 

Balayons tout d’abord les débats sur la forme. Vu dans une des dernières grandes salles des Champs-Élysées, le film était projeté en 2K 3D HFR et son 5.1 (et non pas en 4K comme annoncé). Image trop sombre, apport qualitatif quasi nul, le bilan de la 3D est pauvre et son utilisation rend même certaines séquences illisibles. Surtout, transférer un film pensé pour la 2D en 3D, c’est comme rajouter du sucre sur un gâteau à la chantilly, cela ne sert à rien et gâche même un peu le plaisir. Quand on sait la peine et les moyens énormes mis en place pour reconstituer le plus fidèlement possible le naufrage de ce qui était à l’époque le plus grand navire jamais construit, on ne peut que regretter cet artifice inutile et totalement contreproductif. De plus, comme George Lucas a pu le faire avec la saga Star Wars, Cameron a profité de la conversion de son film en 3D pour corriger quelques détails (ici la couleur d’une cheminée, là l’apparence des étoiles dans le ciel). Selon Cameron, la 3D serait émotionnellement plus immersive, ce dont on peut douter si l’on ne voit pas le film dans les meilleures conditions (Dolby Cinema), technologie disponible uniquement dans une poignée de salles et à un prix prohibitif. Cette tendance consistant à refaire les films d’une façon opportuniste sans donner accès aux versions précédentes, dont est coutumier Lucas, est malheureusement perpétuée par Cameron, son film étant à notre connaissance uniquement exploité dans les salles pour cette sortie 2023 en 3D (même s’il est encore disponible en 2D  en DVD et Blu-Ray). 

Sur le fond ensuite, le scénario ne fait pas vraiment preuve d’originalité. Cameron utilise une recette ayant largement fait ses preuves depuis au moins Autant en emporte le vent (1936) qui consiste à situer une histoire d’amour dans un contexte historique difficile pour mieux la remettre en question. On pense bien sûr à Docteur Jivago (1965), Guerre et Passion (1979) ou plus près de nous Le Patient anglais (1996) ou encore Un long dimanche de fiançailles (2004). La liste est longue. Le mode narratif de Titanic, une combinaison de flash-backs et de voix off, est certes classique mais s’avère plutôt efficace. C’est en réalité dans la recherche d’équilibre entre l’histoire d’amour et le naufrage lui-même que le bât blesse. Cameron se laisse déborder par un sentimentalisme un peu facile qui le pousse à cocher toutes les cases du mélo le plus décomplexé. Chacun y adhérera à sa façon et selon sa sensibilité, mais on pourra préférer à cette débauche de sentiments la sobriété d’Atlantique, latitude 41°, lequel s’en tenait à son sujet sans avoir besoin de recourir à cet artifice plutôt grossier.

Ces défauts sont heureusement atténués par des qualités indéniables : l’alchimie entre les deux acteurs principaux – Kate Winslet et Leonardo DiCaprio – certaines images inoubliables (surtout les derniers moments du naufrage), une histoire d’émancipation féminine, qui a su toucher la corde sensible du public, et une maestria technique incroyable qui nous place au cœur de la tragédie, le tout fondé sur un souci très marqué de réalisme et de fidélité à l’histoire. L’approche adoptée par Cameron tend à préserver le récit du désastre d’une lecture purement tragique – l’homme terrassé par son hubris, par son excès de confiance dans la technologie, puni pour s’être cru plus fort que la nature – pour y adjoindre le thème de l’émancipation d’une femme corsetée par les conventions d’une époque qui touche à sa fin. Si Rose perd son amour, elle trouve un sens à sa vie, et ce message d’espoir est finalement tout aussi marquant.

Quant à la volonté de puissance, elle est incarnée par Cameron lui-même qui reprendra à la cérémonie des Oscars la fameuse ligne de dialogue de Jack (« I’m the king of the world »)**. Son règne sur le divertissement mondial n’a pas faibli depuis, le cinéaste ayant trouvé lui aussi un sens à sa vie, un accomplissement. 

En définitif, les deux thèmes principaux de Titanic résonnent encore davantage en 2023 : la condition des femmes et la lutte contre le réchauffement climatique (cet iceberg que l’homme est incapable d’éviter et dont les pauvres vont le plus souffrir), deux problématiques incarnées par un courant philosophique, l’écoféminisme, dont Cameron s’avère être un ardent défenseur. 


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