featured_tiger_king

TIGER KING

Un propriétaire de zoo qui pète les plombs et des protagonistes trippants peuplent cette histoire vraie dans l’univers interlope de l’élevage des fauves.

Sa majesté des fauves

Depuis 2015 et le succès de Making a Murderer, Netflix s’est fait un nom dans la production de séries documentaires sensationnalistes, explorant les Etats-Unis dans ce qu’ils ont de plus sordide. Disponible depuis le 20 mars dernier, Tiger King est devenu instantanément culte, et n’a pas fini d’enflammer la toile. Sur huit épisodes, les deux réalisateur.ice.s Rebecca Chaiklin et Eric Goode s’immergent au coeur d’une Amérique oubliée, retraçant le parcours et le personnage insolite de Joe Exotic. 

S’il devait être initialement le récit de l’élevage de fauves aux Etats-Unis, Tiger King glisse lentement vers le polar et se transforme malgré-lui en un cauchemar chaotique. Tout y est authentique, ou presque selon la fiabilité de ses intervenant.e.s : le documentaire expose ainsi une galerie de personnage exubérants, chacun.e mêlé.e.s à des histoires qui les dépasse.

 C’est sans doute pour la richesse de ses témoignages et de ses images que le documentaire vaut le détour, combinant une quantité hallucinantes de vidéos aussi bien issues de Youtube et des caméras de surveillance, suivant au plus près les traces de Joe Exotic. L’élevage de fauve dessine peu à peu des rivalités avec les associations de protection des animaux, entraînant ainsi une escalade de la violence, entre criminalité, secte, arnaque et maltraitance animale. 

Portrait d’une Amérique en feu 

Chemises à paillettes, mulet peroxydé et pistolet à la hanche, Joe Exotic colle à l’imaginaire péjoratif du redneck, dont l’excentricité semble n’avoir aucun équivalent dans notre culture. Entouré de fauves, Joe Exotic se rêve roi du monde, et entretien son propre mythe. Sur tous les fronts, il est toujours où on ne l’attend pas, devenant tour à tour chanteur de country, vidéaste et même candidat à la présidentiel. Une culture de l’image qu’il entretient, et qui le plonge peu à peu dans un besoin insatiable de célébrité.

Violent, menteur et manipulateur, Joe Exotic gagne pourtant une étrange sympathie auprès du public, sans doute car il incarne l’échec du rêve américain. Le mythe de l’ascension social profondément ancré dans la culture américaine se heurte alors aux inégalités sociales, agitant aux yeux des plus pauvres un idéal de vie difficilement atteignable. Malgré ses défauts -et ils sont nombreux-, Joe Exotic est animé par un désir sincère de réussir, quitte à détruire des vies, ne parvenant pourtant jamais à s’extirper de sa condition sociale. 

S’il n’échappe pas au sensationnalisme, Tiger King dresse en profondeur le portrait d’une Amérique encore trop méconnue. Situé en Oklahoma, dans un Sud où la pauvreté est majoritairement plus élevée que dans le reste du pays, le récit esquisse les traits d’un paysage rural, où se côtoient rodéo, bikers, musique country et salons de tatouages à l’ambiance hard rock. Le zoo de Joe Exotic est à l’image de celui-ci, réunissant autour de lui autant de personnages marginaux, anciens criminels, atrophiés, ou édentés par la drogue. Des rednecks de chair et d’os qui évoluent dans un quotidien désabusé, confrontés à la violence, la drogue et à la criminalité. On regrettera tout de même que le documentaire assume un aspect freak show, regardant les laissés pour compte comme des bêtes de foires.

The Greatest Showman

Un aspect qui coïncide pourtant avec le projet qui se dessine en filigrane. Joe Exotic existe, car le spectacle de sa vie trouve un public. En effet, aucune loi n’interdit la possession d’animaux exotiques aux Etats-Unis, permettant ainsi aux propriétaires de zoo d’exploiter les animaux. Ainsi, le public se précipite pour câliner des bébés tigres, et pouvoir s’exposer aux yeux du monde avec l’un des animaux les plus dangereux au monde. Un système d’offre et de demande, qui amplifie la maltraitance animale, et souligne ici toute la complexité de la société américaine, hypnotisée par le divertissement. 

Pas étonnant ainsi que Joe Exotic remporte 20% des voix aux élections des gouverneurs de l’Oklahoma, où il s’expose en véritable showman plutôt que politicien, gagnant ainsi la sympathie (teintée de moquerie) de son public. Et c’est sans doute l’une des raisons du succès de la série sur Netflix, qui offre une exposition supplémentaire à son personnage, contribuant largement à l’élaboration de son mythe. L’audience prend alors parti du côté de Joe Exotic, partageant sa haine démesurée contre Carole Baskin (à la tête de Big Cat Rescue) soupçonnée d’avoir tué son mari, provoquant l’apparition d’un tribunal public sur internet où les téléspectateur.ice.s se réapproprient le récit à coup de memes

Tiger King dépasse son postulat et s’impose comme le portrait insolite d’une société américaine mise face à ses propres contradictions, interrogeant les limites de la liberté d’expression, du port d’arme et plus globalement l’identité même des Etats-Unis. S’il est difficile de démêler le vrai du faux de l’affaire, il est certain que le documentaire dessine les contours authentiques de la culture white trash, aussi singulière qu’attachante. 


Disponible sur Netflix


Chaque jour, dans les Séances Buissonnières, un membre de l’équipe vous recommande un film disponible actuellement en VOD / SVOD.




%d blogueurs aiment cette page :