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THE WHALER BOY

Leshka vit dans un village isolé du détroit de Béring. Comme la plupart des hommes de son village, il est chasseur de baleines. Suite à la récente arrivée d’internet, il y rencontre une belle fille sur un site de webcam. Il est maintenant déterminé à retrouver la camgirl dans le monde réel, où un voyage fou l’attend.

CRITIQUE DU FILM

Très belle découverte que ce premier long-métrage venu de Russie. Philipp Yuryev conjugue romance et aventure dans un conte contemporain, tendre et cruel, d’où surgissent de stupéfiantes images.

Motel, diner, station service, des plans nocturnes d’un éternel « american way of life » sur lesquels le générique défile en lettres roses, le tout enveloppé par la voix chaude de Johnny Cash. Une belle brochette de clichés qui vient se planter dans la réalité moins glamour d’une rue miteuse où le sol jonché de détritus n’est éclairé que par une pâle lune et l’enseigne rouge et bleu d’un cabaret dans lequel entre une jeune femme blonde. Ce plan somptueux conclut une introduction en trompe l’oeil, un des sujets du film.

Naïf et sincère

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Cette fille, nous ne la connaîtrons que sous son pseudo de camgirl, HollySweet999. Elle se change, entre dans une cabine et s’installe sur un lit, à genoux devant l’ordinateur dont la webcam est prête à diffuser ses poses suggestives à qui est disposé à payer pour davantage d’affinités virtuelles. Par l’intermédiaire d’un simple effet de zoom avant/zoom arrière, nous nous retrouvons d’un écran à l’autre, quelques milliers de kilomètres plus à l’est, quelque part en Russie, dans le district autonome de la Tchoukotka, non loin du détroit de Bering. Debout devant l’écran, une escouade de chasseurs baleiniers parmi lesquels Lyoshka et Kolya, amis à peine sortis de l’adolescence, semblent hypnotisés par cette apparition. Le petit village de pêcheur est désormais connecté au monde par l’entremise d’internet et rien ne sera plus jamais comme avant pour Lyoshka. Le jeune homme est bien évidemment émoustillé par cette créature blonde, mais surtout, il en tombe subitement amoureux.

C’est la bonne idée du film que de basculer du côté du conte en accompagnant la naïveté de son personnage, persuadé de développer une histoire exclusive et romantique avec la fille derrière l’écran. Devant le sien, il lui parle, apprend des rudiments d’anglais pour lui déclarer sa flamme. Les envies d’ailleurs qui traversent tout un chacun grandissant dans une finis terra prennent soudain pour Lyoshka une dimension de rêve.

Une heure durant, le film enregistre, avec drôlerie mais sans se moquer, l’évolution de cette relation qui s’ancre dans la tête de Lyoshka aussi profondément que les harpons dans l’épiderme des baleines qu’il chasse. Le film n’a pas de prétention ethnographique, cependant, une séquence de pur documentaire vient aérer le récit, avant qu’il ne bascule. Ces scènes de chasse à la baleine sont aussi puissantes que cruelles. Elle font écho à un plan vertigineux situé au début du film. Un plan vu du ciel, une dépouille de baleine sur la plage autour de laquelle on s’affaire. Un lent zoom arrière introduit peu à peu à l’image la gigantesque flaque de sang qui entache les eaux côtières.

Il y a un sens de l’image évident chez ce jeune cinéaste, qui n’hésite pas à varier les régimes, cadres finement composés alternant avec scènes caméra à l’épaule. Le travail sur le son est aussi à noter. Ici une mélodie sautillante soutient l’espoir de Lyoshka, là une coupure brutale introduit un glissement onirique.

Détroit trompeur

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Le conte de fée prend fin un soir où Lyoshka ne peut se connecter, HollySweet999 étant en privé avec un autre utilisateur. A l’incompréhension succède la colère. Dans l’esprit de Lyoshka, cet utilisateur ne peut être que Kolya, ami traître. Les deux garçons se battent et Lyoshka laisse Kolya pour mort après l’avoir frappé à la tête avec une pierre. Paniqué, il décide alors de partir, autant pour fuir que pour rejoindre sa promise à Detroit, Michigan.

La dernière partie du film rejoint le récit d’aventure, avec ses obstacles, ses mauvaises rencontres, et ses mirages. Sur ce terrain, Philipp Yuryev réussit de très belles scènes de rêve ou de déréliction, on se souviendra longtemps de ces monumentales carcasses d’animaux. Des mirages qui viennent amplifier la dimension chimérique de la quête de Lyoshka. C’est un garde côte américain, faussement conciliant, qui va lui apporter un salutaire coup de pouce du destin. Auparavant, un braconnier de l’île sur laquelle il a échoué, lui aura enseigné qu’à cheval sur un fuseau horaire, on peut choisir, en un pas, le passé ou l’avenir. Lyoshka n’a pas véritablement choisi mais la vision du jour d’après barre son visage d’un formidable sourire. On repense alors à Johnny Cash et à ce dernier couplet de Hurt :

If i could start again
A million miles away
I would keep myself
I would find a way

Avec des acteurs non professionnels, dans un recoin du monde, The Whaler Boy réussit à conter une histoire à la portée universelle. Il fait surtout émerger le talent de Philipp Yuryev, aussi original et convainquant sur le fond que dans la forme.

Bande-annonce

De Philipp Yuryev, avec Vladimir Onokhov, Vladimir Lyubimtsev et Kristina Asmus.


Présenté au festival des Arcs 2020. Disponible sur le site du festival pour 4 euros




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