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THE SOUVENIR – PART I & PART II

Avant-propos
La reprise de la Quinzaine des Réalisateurs au Forum des Images a donné lieu, comme chaque année, à de belles découvertes. Entre la déclarée sensation Murina de Antoneta Alamat Kusijanovic, l’attendu Ouistreham de Emmanuel Carrère ou le documentaire déroutant Retour à Reims de Jean-Gabriel Périot, il y a à boire et à manger dans cette sélection toujours hétéroclite. Cependant, le grand vertige de cette reprise n’est peut-être pas le plus clinquant malgré un casting prometteur. A vrai dire, il peut parfois être plus difficile à décrypter qu’il ne le paraît. Ce vertige de plus de 3h40, divisé en deux parties, s’appelle The Souvenir.

L’histoire en deux longs-métrages de Julie, jeune étudiante en cinéma en couple avec Anthony, membre du ministère des Affaires Étrangères britannique et junkie invétéré.

CRITIQUE DU FILM

Nietzsche avait énoncé un aphorisme aujourd’hui très célèbre disant « Celui qui combat des monstres doit prendre garde à ne pas devenir monstre lui-même. Et si tu regardes longtemps un abîme, l’abîme regarde aussi en toi. » Nous ne ferons pas un commentaire de texte sur cette citation mais simplement expliquer qu’au sens nietzschéen, être un monstre n’est pas devenir le mal, juste à échouer à atteindre notre plénitude, notre perfection. The Souvenir, par différents moyens, est une extension de cette citation. Il y a Julie (campée par la grande révélation Honor Byrne-Swinton), devant s’occuper de son conjoint héroïnomane et dans le même temps de ses études de cinéma. Il y a Anthony (impeccable Tom Burke), son compagnon donc, qui doit lutter contre son addiction à la drogue. Et il y a le dispositif filmique imposant qui capte leur vie commune, les enfermant dans un lent cauchemar dont la sublimation du deuxième opus reste l’ultime solution. La finalité réside même dans une simple question qui se répète encore et encore dans le film : que reste-t-il de cette vie une fois brisée, si ce n’est du cinéma ?

JULIE (EN 2 CHAPITRES)

Prisonnier de son couple qui se périclite, le personnage de Julie a pour vecteur l’envie d’émancipation. Cette dernière n’est pas tant de quitter son partenaire que de parvenir à exister par elle-même et accomplir ses objectifs d’être réalisatrice. Dans la première partie, elle n’existe que par les personnages autour d’elle ; à vrai dire, il est même difficile de retenir son prénom et l’on ne connait même pas son nom de famille. A l’intérieur de la suite, elle s’affirme, parce que ses camarades ou ses parents s’enquièrent de ses sentiments ou de son moral, mais aussi par l’intermédiaire de son projet de film de fin d’année qui narre ce que l’on a pu voir dans le volet précédent. Un jeu d’auto-réflexion cinématographique dont le passage de relais se situe à la toute fin du premier chapitre où, loin de la caméra diégétique d’un tournage en train de faire un travelling avant, celle de Hogg vient croquer définitivement le portrait de Julie, et la placer devant les portes entrouvertes de l’entrepôt où elle tourne quelques séquences. L’entrée de lumière de cette entrouverture représente aussi bien une ouverture vers l’extérieur, un décloisonnement ; qu’une symbolique d’un diaphragme de caméra lequel, en s’ouvrant, révèle la lumière au capteur de l’appareil et imprime ce qu’il laisse apercevoir. 

Par cette idée pas inédite (Nostalgie de la Lumière de Patricio Guzman s’ouvrait de la même manière avec ses grands observatoires) mais sans cesse impressionnante à voir, s’engage une triple mise en abîme qui peut afficher quelques limites. Il y a Julie elle-même, alter-ego de la cinéaste Joanna Hogg qui avait précisé après la projection des deux films qu’elle avait réfléchi il y a déjà quelques années à réaliser un diptyque de ce genre. Il y a aussi la place de Julie dans une multitude de surcadrages visibles à l’écran, qui d’après une logique de mouvement vient circonscrire la protagoniste à l’intérieur d’eux et la faire devenir le véritable noyau du projet. Mais il y a aussi le film dans le film, le commentaire du premier chapitre explicité dans le second, celui où elle décide de mettre en scène la douleur qu’elle a pu ressentir avec son conjoint. Toutes les spécificités techniques sont respectées – les deux segments sont tournés et se répondent par la douceur de la texture du 16mm – quitte à parfois créer un sentiment de torpeur de ce qui pourrait s’apparenter à un cercle vicieux. 

MIROIR, MON AFFREUX MIROIR

Le premier chapitre pouvait paraitre flou à certains moments, comme une soudaine révélation de souvenirs lointains et ressassés – à la manière du tableau éponyme de Jean-Honoré Fragonard où une jeune femme semble gratter quelques bribes d’anecdotes sur le tronc d’un arbre. Le deuxième « acte » lui répond par l’intermédiaire de la direction d’acteurs parfois lunaire de Julie, auto-critiquant ses réactions lorsqu’elle s’apercevait de l’absurdité de certaines de leurs émotions durant leur vie conjugale. Dès lors, la réalité (ce qui a pu se produire) et la fiction (le fantasme d’un homme dont elle ne savait pas grand-chose lors de leur relation) se mettent doucement en place pour révéler en cette jeune femme le caractère sensible et toujours meurtri par cette relation. 

Un choix astucieux de mise en scène de l’intime qui peut rappeler les miroirs et analepses des Jeux d’été ou encore les célébrissimes chapitres de Scènes de la vie conjugale du non moins célèbre Ingmar Bergman, mais qui présente comme limite de s’enfoncer dans un systématisme un brin ronronnant ; et dont les flottements pourtant sublimes de l’opus initial deviennent un peu artificiels. Mais au Diable ces défauts : cela n’empêche pas Joanna Hogg d’offrir deux grands moments de cinéma, dont la découverte peut se faire à la suite (les deux longs-métrages sortiront en même temps dans les salles françaises) comme espacée de quelques jours ou semaines, pour se laisser le temps de la réflexion concernant la formidable brume qui enveloppe le premier segment. Dans tous les cas, The souvenir sera un immanquable de ce début d’année 2022 à voir impérativement en salle.

BANDE-ANNONCE

2 février 2022 – De Joanna Hogg, avec Honor Swinton-ByrneTilda SwintonTom Burke


Présentés au festival de Cannes 2021 à la Quinzaine des Réalisateurs




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