The roads not taken

THE ROADS NOT TAKEN

Molly tente au quotidien de faire face à l’état mental chaotique de son père, Leo. Alors qu’ils décident de s’offrir une journée à New York, la jeune femme va découvrir les différentes vies qui règnent dans le cerveau de son père. Ainsi, Leo va connaître un mariage avec son amour d’enfance, Dolores. Il va être le batteur dans un groupe dont il partage l’affiche avec son amant, Adam. Leo va éprouver, aussi, une grande solitude sur une île grecque…

Critique du film

Javier Bardem est un acteur protéiforme, il incarne une certaine idée de l’homme viril, plein de confiance et de vitalité. C’est une sorte de contre-pied à cette image que choisit Sally Potter la réalisatrice britannique. En effet, c’est un homme amoindri qu’on retrouve dans les premières images de The roads not taken. Cloué au lit le regard dans le vide, sa fille Molly, jouée par Elle Fanning, décide de passer la journée avec lui et le sortir de son hébétude. Mais Léo semble être très peu présent psychologiquement. Son esprit navigue entre plusieurs histoires, ce moment où il avait fui sa famille pour gagner une île grecque, et cette autre famille qu’il aurait pu avoir avec son premier amour de jeunesse.

L’histoire est un kaléidoscope où s’entrechoque ces morceaux de vie distincts qui représentent autant de possible où pourrait vivre Léo. Les passages dans le réel, au coté de sa fille, nous montre un homme qui n’est plus capable de s’occuper de lui, brisé par la maladie. Le film que nous raconte Sally Potter est très complexe. Elle évoque à la fois la maladie et son impact sur la vie des proches de celui qui en est atteint, mais aussi c’est un prétexte pour exprimer la somme des regrets entreposés dans son esprit par une personne qui a déjà beaucoup vécu. 

Kaléidoscope de vie

Le Léo du début du film scrute les murs qui l’entoure dans son petit appartement bruyant sous la voie ferrée. Chaque carte postale ou photo constituent des informations qui vont lui permettre de déployer son imagination pour échafauder des univers où il est toujours lui-même, mais une autre version qui aurait fait d’autres choix. La souffrance et le chagrin habite ces chemins construits par son esprit malade. La perte d’un fils qu’il aurait pu avoir, l’incapacité de faire son deuil, et la destruction que cela sous-entend, tant de son couple que de sa santé mentale. Là encore c’est l’échec. Il en est de même de la volonté d’une vie affranchie de la vie de famille et ses responsabilités pour écrire. On y trouve un Léo attiré par une très jeune femme, pathétique dans ses tentatives d’approche, réalisant soudain qu’il est un homme vieillissant et triste.

La violence du monde réel ne s’atténue pas après avoir fait ces expériences « virtuelles », car ce que nous démontre Sally Potter c’est que la potentialité de la douleur est intimement liée à la vie, quelque soit les choix que nous faisons. La vision de Léo amoindri, incontinent, nous interroge profondément sur le « validisme » qui gangrène la société occidentale. On juge ce personnage car il n’est plus l’homme puissant et fort du passé. Par le regard même de sa fille, on oublie sa présence et parle de lui comme s’il était absent. Sa présence révèle la mesquinerie et le manque de compassion des personnes rencontrées. Il est éloquent que la première personne faisant preuve d’humanité envers lui soit une personne décrite comme un immigrant récent, le secourant avec amour et compassion. Cet angle d’analyse du film apporte beaucoup de richesse et de densité à celui-ci. Seul le regard bienveillant de Molly surnage au milieu d’un océan d’aigreur et de condescendance.

Si l’on peine parfois à suivre les méandres de l’histoire, le rythme et le découpage sont parfois assez déroutants, cela constitue une réserve minime au regard de tous les points déjà développés qui font de The roads not taken un film riche et sensible bénéficiant de l’étonnante fragilité d’un Javier Bardem magnifique dans ce rôle aux aspérités multiples. Déconstruisant pas à pas son rapport à la masculinité, on est face à un Bardem qui laisse ses émotions exploser et jaillir, composant un portrait aux nombreux visages tous plus touchants les uns que les autres. Le festival international de La Roche sur Yon a offert à la réalisatrice Sally Potter sa première rétrospective en France, il ne reste qu’à espérer que cela donnera des idées de programmation à l’avenir pour (re)découvrir cette autrice importante.

Bande-annonce

De Sally Potter, avec Javier Bardem, Elle Fanning et Laura Linney.




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