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THE PARTY

Hrundi V. Bakshi, un acteur indien, est engagé par un studio hollywoodien pour interpréter un soldat indigène dans un film en costumes situé en 1878 dans le style de Gunga Din. Faisant preuve d’une terrible maladresse, il fait exploser un coûteux décor. Exaspéré, C.S. Divot, le producteur, demande à ce que le nom de Bakshi soit inscrit sur une liste noire. Mais suite à un quiproquo, le comédien indien se retrouve invité à une soirée organisée par la femme du patron du studio…

CRITIQUE DU FILM

Il existe une catégorie de films que l’on croit connaître par cœur mais qui, en les revisitant, prennent une saveur nouvelle. The Party, réalisé par Blake Edwards en 1968, en fait partie. Ce classique de la comédie américaine ressort en salle le 26 juillet, et c’est l’occasion rêvée pour le (re)découvrir.

Unique film de la collaboration Edwards-Sellers qui ne soit pas une Panthère rose, The Party aurait très bien pu ne pas exister si les deux suscités n’avaient décidé d’enterrer la hache de guerre. En effet, le tournage du second Panthère Rose, A shot in the dark (1964, sorti chez nous sous le titre Quand l’inspecteur s’emmêle) s’était assez mal passé et avait laissé les deux hommes brouillés. Premier écueil d’une relation qui en comptera beaucoup et qui montre bien à quel point ils s’estimaient tout en ayant du mal à se supporter. Pourtant, Sellers savait bien qu’il avait besoin d’Edwards pour tirer le meilleur de lui-même, et c’est ce qui l’a poussé à accepter cette proposition. De plus, le fait que le personnage de The Party soit indien l’a aussi enthousiasmé. En effet, Sellers a basé toute sa carrière sur sa maîtrise des voix et des accents, dont il se servait à volonté dans le show radiophonique qui l’a fait connaître, le fameux Goon Show, diffusé sur le BBC entre 1951 et 1960, un show où l’absurde se mêlait à la parodie, une formule largement récupérée et développée à la télévision pendant les années 1969-1974 par les Monty Python. De plus, Sellers avait passé du temps en Inde pendant la Seconde Guerre mondiale alors qu’il y était mobilisé (et il avait déjà joué des rôles d’Indiens dans deux films précédents).

Blake Edwards explique pourquoi il ne pouvait pas de passer de son acteur fétiche : « Travailler avec Sellers, cela veut dire : avoir la meilleure expérience possible, et avoir la pire expérience possible. Donc, pour The Party, j’ai voulu que ce soit la meilleure expérience possible, et j’ai testé ça en parlant avec lui, et j’ai eu raison. »* Il poursuit : « Cela valait le coup, car c’était un génie à sa façon, et c’était quelque chose que j’avais toujours en projet, il fallait qu’il participe. Je n’avais rien d’autre à faire à ce moment-là. J’avais réalisé un film qui m’avait déçu et je voulais faire mieux. Il y avait beaucoup de raisons. »

The party film

IMPROVISATION

Basé sur une idée d’Edwards, qui souhaite rendre hommage aux grands comiques du temps du cinéma muet, le scénario est écrit par le réalisateur avec Frank et Tom Waldman, avec lesquels il a déjà collaboré, notamment sur la série Peter Gunn (1958-1961). Incroyablement court pour un long-métrage, le script ne fait que 63 pages ! Ce qui montre bien la part laissée à l’improvisation. Edwards explique : « Le but était de rendre hommage à l’époque des films muets. Nous avons décidé d’avoir un cadre et d’inventer au fur et à mesure. » Il poursuit : « Le plus important était la continuité. On devait savoir ce qu’on avait tourné, ce qu’on allait tourner le lendemain. La script était la personne la plus occupée sur le tournage ! »

Edwards fait appel à son équipe des Panthères roses : Henry Mancini à la musique, Ralph E. Winters au montage, Fernando Carrere au décor. Le producteur, Walter Mirisch, se souvient : « Au début du projet, le studio avait prévu de trouver une grande maison et d’y tourner le film. Au fur et à mesure, on s’est rendu compte que cela créerait plus de difficultés que de tourner en studio. »

Peter Sellers suggère lui-même le nom de son personnage. On pourrait s’attendre à ce que les Indiens soient offusqués à l’idée de voir un acteur blanc se grimer et adopter leur accent pour faire rire. Mais au contraire, le film a été apprécié en Inde ! À tel point que Satyajit Ray, fan de Sellers, voulait lui donner un rôle dans un film de science-fiction dont il avait écrit le scénario, The Alien, et qu’il souhaitait développer aux États-Unis. Suite au désistement de l’acteur, le film n’a jamais pu se faire.

TOURNAGE HOMÉRIQUE

Bien entendu, Edwards donne quartier libre à ses comédiens et chacun s’en donne à cœur joie. Concernant Steve Franken (qui joue magnifiquement le serveur ivre), Blake Edwards ne tarit pas d’éloges : « Je l’adorais, je n’avais rien besoin de lui dire. Le meilleur ivre du cinéma ! » Steve Franken répond : « Parfois, Edwards me disait : qu’est-ce que tu veux faire aujourd’hui ? Aucun réalisateur ne m’avait proposé ça avant. Edwards encourageait cette forme de créativité. » Le tournage de la scène finale avec la mousse a été particulièrement difficile car celle-ci absorbait l’oxygène et parfois les acteurs y disparaissaient. On a frôlé de peu un accident ! Malgré tout, on croira sur parole Edwards quand il déclare : « Nous avons tous passé un très bon moment pendant ce tournage. »

The party

INNOVATION TECHNIQUE

Le succès du film repose sur une sorte d’improvisation travaillée. Pour que tout fonctionne, Edwards a besoin de revoir les plans filmés juste après leur tournage, sur le plateau. Une demande apparemment impossible à satisfaire. Un des producteurs, Ken Wales, pense à associer la vidéo au film. Dès 1960, pour son premier film en tant que réalisateur, The Bellboy (Le dingue du Palace), Jerry Lewis avait développé ce qu’on appelle « l’assistance vidéo », avec une caméra vidéo placée à côté de la caméra 35 mm, mais il n’avait pas déposé de brevet. C’est un technicien, Jim Songer, qui développe un procédé similaire mais plus sophistiqué dans les studios Samuel Goldwyn pour The Party : une caméra vidéo est collée à la caméra film. Edwards raconte : « On n’avait pas exactement ce que la caméra filmait, mais on avait la continuité exacte. Et c’est ce que nous voulions. » Cela permet d’économiser de l’argent, car plus besoin d’attendre de voir les rushes le lendemain pour savoir si une scène est bonne, si elle doit être retournée, on voit tout de suite ce que ça donne. 

Au début du tournage, le réalisateur et l’équipe ne préviennent pas Sellers de ce nouveau procédé. La première scène mise en boîte, ils montrent le résultat à l’acteur sur l’écran vidéo. Et Sellers se repasse la scène en boucle pendant une heure ! Du coup, après la fin de chaque scène, Sellers se rue sur l’écran pour voir le résultat. Edwards se rend compte que cette innovation risque de poser problème. Si ce système apporte une plus grande flexibilité et précision, il apporte aussi de nouvelles raisons de ne pas être d’accord entre l’acteur et son réalisateur. Ils discutent constamment pour savoir comment améliorer chaque scène, et les scènes les unes par rapport aux autres. 

Pendant le tournage, les techniciens améliorent le procédé en mettant la caméra vidéo au-dessus de la caméra 35 mm, pointée vers le bas en direction d’un miroir. Ils créent une société et se tournent vers la société Panavision pour demander de l’aide afin de concevoir un système d’assistance vidéo qui montre exactement ce que voit la caméra film. À l’époque, une seule caméra dans le monde entier permet de faire ça ! Elle est utilisée par la suite par Edwards sur Deux hommes dans l’Ouest (1971), et par d’autres réalisateurs même si certains se méfient de cette invention qui pourrait « corrompre leur créativité », dit Edwards. 

Finalement, le réalisateur et son producteur laissent Panavision exploiter leur invention sans leur demander un sou. Petit à petit, le procédé va s’imposer à Hollywood et ailleurs, Francis Ford Coppola l’utilisant par exemple sur Coup de cœur (1981).

COMIQUE DE LA CATASTROPHE

Qu’est-ce qui est si drôle finalement dans The Party ? Le film est constitué d’une série d’incidents en apparence anodins mais qui prennent des proportions de plus en plus énormes, pour aboutir à une catastrophe finale. Bakshi perd sa chaussure, qu’il essayait de nettoyer dans une rivière d’intérieur, il actionne un panneau électronique et sa voix résonne dans toute la maison, il met la main dans un plat glacé à caviar en voulant se soulager d’un serrage de main trop fort… Une maladresse pathologique qui inspirera sûrement Pierre Richard pour son personnage du Distrait deux ans plus tard. Blake Edwards et ses scénaristes en profitent pour égratigner le petit monde hollywoodien et glisser quelques scènes savoureuses : un producteur qui claque des doigts pour passer une starlette à la casserole, le même qui essaye de coucher avec une jeune comédienne pendant la soirée, laquelle est sauvée par l’intervention de Bakshi… Mais aussi pour glisser un clin d’œil à Sergio Leone : la scène du décor qui explose au mauvais moment au début du film prend son inspiration dans l’explosion ratée dans Le bon, la brute, le truand (1966) : le pont construit pour le tournage avait également explosé inopinément et avait dû être reconstruit entièrement. Notons aussi quelques relents de racisme, distillés de-ci, de-là, qui ancrent The Party dans son époque.

Quant au serveur ivre, il agit en contrepoint de Bakshi qui lui n’a pas besoin de boire pour faire des bêtises (et quand on le force à boire, le résultat est désopilant). Le film atteint même des hauteurs surréalistes : un Manneken-Pis avec une perruque et un poulet, un cowboy une flèche collée sur le front, un groupe de jazz qui continue à jouer dans la mousse… Gags sonores, visuels, dialogués, tout s’enchaîne parfaitement pour bâtir une cathédrale du pire. Les gags sont d’une grande pureté, dignes des grands burlesques du cinéma : Chaplin, Keaton, Laurel et Hardy… Sellers y trouve un de ses meilleurs rôles : ses expressions faciales et corporelles sont hilarantes, son accent plus vrai que nature. Notons que l’acteur n’aborde pas le film avec le même système de jeu que les autres comédiens. Le sien est très expressif, issu du cinéma muet, toutes ses expressions sont exagérées : son sourire est appuyé, ses mimiques sont prononcées, en contraste par rapport aux autres invités de la soirée, qui sont bien plus neutres. Pourtant, s’il aimait le film, l’acteur lui-même pensait que la fin était ratée car tout « s’affaissait ». Un avis que nous ne partageons pas, tant le climax est hilarant et donne lieu à des cascades d’anthologie dans la mousse.

The party

INSPIRATION ET POSTÉRITÉ

Impossible de ne pas évoquer ici la figure de Jacques Tati, tant on trouve dans The Party des échos directs de certaines scènes de ses films. Coïncidence ? La maîtrise du chaos telle que démontrée avec brio par Tati dans la fameuse séquence du « Royal Garden » dans Playtime semble être une source d’inspiration directe du film d’Edwards, mais quand on regarde les dates de sorties, ça ne colle pas. Playtime est sorti en France en décembre 1967 et The Party aux États-Unis en avril 1968. Par contre, l’influence des films précédents du réalisateur français semble difficile à contester, principalement celle de Mon oncle (1958), dont l’utilisation du son et l’agencement de l’espace faisaient entrer le burlesque dans un univers résolument moderne. Ce qui résonne très fortement avec le film d’Edwards. Sur ce sujet, on lira à profit l’analyse pointue de The Party et Playtime par Emmanuel Dreux.

Si The Party a rencontré le succès lors de sa sortie, sa réputation a grandi avec les années et ses éditions vidéo successives. Son impact dans la culture populaire est fort, comme en témoignent les hommages rendus par Rowan Atkinson, qui cite le film comme une de ses influences pour créer le personnage de Mr Bean (il cite aussi Tati !), mais aussi par exemple dans la série Les Simpsons.

MUSIQUE

Le succès du film, sa légèreté, son innocence et son optimisme trouvent leur source dans la fabuleuse musique d’Henry Mancini, qui signe ici un des sommets de son œuvre. Dans un style mêlant jazz orchestral et vocal, avec ses orchestrations fines et un sens mélodique imparable, cette musique rend le film inoubliable. Avec tendresse, il compose une balade romantique pour Claudine Longet (Nothing to lose) comme il l’avait fait pour Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé (1961), ainsi qu’un jazz endiablé pour saxo dans le bien-nommé Birdie Num-Num. Mancini fait partie des compositeurs qui ont su extraire la musique de film de la tradition symphonique pour la faire évoluer vers d’autres cieux, en l’occurrence un jazz raffiné, entraînant et délicieux.

CONCLUSION

Les biographes de Peter Sellers ont pointé ce phénomène étrange :  le manque de personnalité propre de l’acteur et de son besoin compulsif d’adopter l’identité d’autres personnes. Et cette nécessité s’est incarnée dans des personnages inoubliables. Avec l’inspecteur Clouseau, Clare Quilty de Lolita, et le Dr. Strangelove, l’acteur trouve ici une de ses plus belles et poétiques incarnations. Quant au film, il devrait être prescrit par les médecins et remboursé par la Sécu. « Le rire est la plus grande catharsis du monde », disait Blake Edwards. Ce à quoi on ajoutera : l’anarchie est une loi qui peut rendre heureux, tant qu’elle s’applique à l’humour. 


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Walter Mirisch, un des plus grands producteurs hollywoodiens, va fêter ses 101 ans cette année ! C’est un des derniers encore en vie à avoir participé à la création de The Party (non crédité au générique).

* toutes les citations sont extraites de l’édition collector parue en DVD en 2014 chez MGM/United Artists.



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