The King

THE KING (Le Roi)

Hal, jeune prince rebelle, tourne le dos à la royauté pour vivre auprès du peuple. Mais à la mort de son père, le tyrannique Henri IV d’Angleterre, Hal ne peut plus échapper au destin qu’il tentait de fuir et est couronné roi à son tour. Le jeune Henri V doit désormais affronter le désordre politique et la guerre que son père a laissés derrière lui, mais aussi le passé qui resurgit, notamment sa relation avec son ami et mentor John Falstaff, un chevalier alcoolique.

Après la violence familiale de Animal Kingdom et la violence post-apocalyptique de The Rover, David Michod appréhende cette fois la violence en tant que préalable nécessaire à l’autorité et à la grandeur d’un roi.

L’inadéquation shakespearienne 

Lorsqu’on adapte Shakespeare, au théâtre ou au cinéma, il s’agit de faire des choix. En effet, il est quasiment impossible de traiter l’ensemble des pistes présentes dans ses pièces, que ce soit en termes de rythme, de ton, ou de caractérisation des personnages. 

Il existe cependant un dénominateur commun à la plupart des héros shakespeariens, que le ou la metteur en scène ne peut omettre, qui est leur « inadéquation ». Que ce soit Othello, Macbeth, Hamlet, Romeo et Juliet, Henry IV ou Richard III (pour ne citer que les plus connus), tous sont en inadéquation avec le temps présent, troublés par un doute (la fidélité de sa promise pour Othello, la légitimité de sa lignée pour Henry IV), une passion (la vengeance pour Hamlet, l’amour pour Romeo et Juliet, le pouvoir pour Richard III, voire Macbeth) ou un passé qui ne passe pas (l’assassinat du roi Duncan par Macbeth). 

Le personnage d’Henry V ne déroge pas à la règle. Que ce soit dans l’adaptation de Laurence Olivier (1944), celle de Kenneth Branagh (1989) ou dans celle de David Michôd, Henry est d’abord Hal, le rejeton bituré d’Henry IV, méprisé par tous, et plus occupé à écouter les divagations de son ami Falstaff qu’à penser à l’avenir du royaume. Aussi, l’inadéquation d’Henry V réside dans le fait que c’est un roi qui ne voulait pas être roi, et qui, une fois convaincu de son rôle et de sa tâche, doit montrer à tout le monde qu’il est bien roi. Son âge devient alors un enjeu dramaturgique fondamental, car son histoire est d’abord celle d’un jeune homme qui se doit de porter un costume que tout le monde juge trop grand pour lui. D’où la très bonne idée d’avoir choisi Timothée Chalamet – éblouissante révélation de Call me by your name – pour jouer le rôle principal de The King, son statut de jeune star montante faisant trouvant un écho passionnant dans le personnage de Hal (qui est d’ailleurs son deuxième prénom).

Une guerre désenchantée 

Henry V est sans doute le roi le plus belliqueux des deux tétralogies historiques de Shakespeare. Olivier comme Branagh avaient choisi d’utiliser cette caractéristique comme le terreau d’une représentation épique et victorieuse de la guerre, reflet flamboyant de l’esprit national anglais (surtout chez Olivier). Michôd choisit ici une autre direction, plus sombre, plus grave, et moins enchantée. Il y a d’abord le siège d’Harfleur, filmé sans aucune emphase épique dans la mesure où les anglais l’emportent grâce à leur trébuchets, et non pas à la force physique des hommes.

Il y a ensuite la fameuse bataille d’Azincourt, où l’héroïsme ne s’exprime qu’au travers du sacrifice mélancolique de John Falstaff, et où les grands mouvements de troupes sont délaissés au profit d’un désordre constant, dans la boue et dans le sang. Les hommes s’égorgent au sol, se marchent dessus, les armures se font lourdes et les coups hasardeux. Tout est dit dans un plan en plongée totale sur une masse de corps métalliques dont on ne peut distinguer les camps. L’idée qui ressort, ce n’est pas la gloire, mais bien un questionnement du sens de cette violence.

Au milieu de cette masse, il y a John Falstaff, magnifiquement écrit et interprété par Joel Edgerton. Il était difficile de passer après l’interprétation « bigger than life » du personnage par Orson Welles dans le film éponyme sorti en 1965. Syncrétisme de toutes ses apparitions chez Shakespeare et reflet fascinant de la démesure totale de son interprète, cette représentation du personnage pouvait être qualifiée de définitive. Drôle, menteur, voleur, guerrier, balourd, poète et philosophe, Falstaff/Welles explosait l’écran avec sa bedaine imposante, sa gouaille caverneuse, et son esprit aiguisé. Or, Edgerton a très intelligemment choisi de mettre de côté le caractère grotesque du personnage, afin de l’assécher dans un être fatigué, mélancolique, et infiniment sage. Derrière son physique bourru, Falstaff parle vrai, plaçant toujours les hommes avant la politique. C’est donc le regard blasé et trop sûr de la futilité de son geste qu’il se présente en première ligne face aux cavaliers français, comprenant que le sens d’une vie ne peut-être reconnu par autrui qu’au travers de son ancrage dans une grande Histoire souvent fallacieuse.

L’Histoire est une scène

Ce qu’a compris depuis longtemps Falstaff, et ce que comprendra Hal à la fin du film, Shakespeare l’avait dit dès le prologue de Henry V : O for a Muse of fire, that would ascend ; The brightest heaven of invention, A kingdom for a stage, princes to act ; And monarchs to behold the swelling scene !

(— Oh ! que n’ai-je une muse de flamme qui s’élève — jusqu’au ciel le plus radieux de l’invention ! — Un royaume pour théâtre, des princes pour acteurs, — et des monarques pour spectateurs de cette scène transcendante ! — Traduction de François-Victor Hugo, 1873)

Au travers d’un twist ingénieux (invention de Michôd et Edgerton), l’adéquation finale d’Henry avec son rôle de roi se voit ternie par la découverte du caractère proprement illusoire de la guerre qu’il a menée. L’Histoire qu’il vient d’écrire dans le sang, pour laquelle il a perdu son ami le plus cher, ne viendrait finalement que d’une mise en scène, orchestrée par l’un de ses conseillers (William Gascoigne, joué par Sean Harris). Henry n’a été que l’acteur principal d’une manœuvre politique, et la bataille d’Azincourt en était la scène.

Dès lors, le dénouement de The King est représentée d’une façon beaucoup moins glorieuse que dans les précédentes adaptations de la pièce de Shakespeare, car le règne d’Henry V, déjà fragilisé par l’imposture de sa lignée (son père s’est assis sur le trône après avoir trahi son roi), se voit ici réduit à un jeu de dupe. C’est Catherine (Lily-Rose Depp), la fille du roi de France Charles VI, qui révèle la vérité à son futur jeune mari, et, in extenso, l’implication de William dans cette orchestration mensongère. Dès lors, après la mort de son meilleur ami et la trahison de son plus proche conseiller, Henry V est seul, figure tragique d’une grande scène jonchée de cadavres, acclamé par une foule aveugle.

Fruit d’un réel travail d’écriture, The King est une interprétation tout à fait passionnante de l’oeuvre de Shakespeare. Au travers d’une mise en scène soignée et d’une direction d’acteurs remarquable (mis à part pour Robert Pattinson, dont l’interprétation du Dauphin ne fonctionne pas du tout), David Michôd signe ici un grand film politique sur le sens de l’Histoire et l’inadéquation tragique du théâtre shakespearien.

Bande-annonce

1er novembre 2019 (Netflix) – De David Michod, avec Timothée Chalamet et Robert Pattinson




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