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THE INFORMANT !

Mark Whitacre est l’honnête et brillant Président de la division biotechnique de Archer Daniels Midland, un important complexe agro-alimentaire international. Un jour, il informe le FBI qu’il existe un dérèglement du marché financier en raison d’une entente de son entreprise avec d’autres partenaires sur les prix de la lysine, un acide aminé provenant du maïs. Whitacre devient leur informateur et décide de faire tomber toutes les têtes corrompues de son entreprise. Mais au fond, qui est Mark Whitacre ? Pourquoi ment-il parfois au FBI ? Est-il vraiment l’honnête homme qu’il prétend être ?

CRITIQUE DU FILM

Steven Soderbergh avait pour réputation de faire partie du cercle privé des Six samouraïs, selon Sharon Waxman. Cette niche comprenait de jeunes réalisateurs (David Fincher, Quentin Tarantino, Spike Jonze, David O. Russell, Paul Thomas Anderson et donc Steven Soderbergh) élevés dans la culture du vidéo-club et de la série B fauchée, dont l’émergence hollywoodienne a débuté à l’aube ou durant les années 1990.

Inutile de faire un récapitulatif de la carrière de Steven Soderbergh, puisque la quasi-intégralité de ses longs-métrages ont été acclamés (Sexe, Mensonges et Vidéo, Ocean’s Eleven, Erin Brockovich, seule contre tous) ou réhabilités (Kafka, Solaris, Girlfriend Experience) au fil du temps. Cependant, sa période entre Che (2008) et Contagion (2011) a longtemps été passée sous silence. L’un des films de cette période, pourtant, réussit à faire converger une brillante farce politique avec l’esthétique jazz chère au cinéaste américain. 

JAZZ MACHINE

The Informant! (2009) est un film résolument jazz. Cette approche n’est pas uniquement retranscrite par le choix de sa bande originale composée par Marvin Hamlisch (Prends l’oseille et tire-toi, Nos plus belles années) que par la structure générale du récit. D’une part, parce que l’intention de la coupe chez Soderbergh est toujours organisée en fonction du mouvement musical : il est toujours question d’une rythmique évolutive, d’accords de contrebasse ou de jeux de trompette qui parviennent à changer subrepticement, à la manière d’un jam, tout le genre du film. Un exemple est criant : le générique de début, très marqué dans les choix de lumière et la musique, donne la sensation d’une tentative de film noir composé par Miles Davis dans les années 1950. Quand tout d’un coup, l’exposition du récit prend une tournure radicale, et propulse le film vers une veine plus satirique inattendue. 

D’autre part, parce que la composition du casting joue aussi sur l’hétérogénéité du projet. A l’instar de la trilogie Ocean’s (composée qui plus est par David Holmes, souvent entre jazz et blues), Steven Soderbergh choisit des acteurs non pas pour créer une osmose mais pour insuffler de nouvelles dynamiques à son schéma narratif que l’on croirait convenu dans ses grandes lignes. Dans The Informant!, le choix le plus brillant est d’avoir fait confiance à une panoplie d’humoristes américains (Tony Hale, Joel McHale, Patton Oswalt…) qui, chacun, opèrent un glissement de l’univers filmique vers leurs propres mondes comiques. Et au milieu de tout ça, se retrouve Matt Damon, protagoniste et plaque tournante du récit, repris comme étant le « Monsieur tout-le-monde » de la trilogie menée par Danny Ocean. Cela lui donne une vraie empathie qui permet d’induire en erreur le spectateur dès l’introduction du film.

On pourrait ainsi croire que Soderbergh est un fainéant qui se repose sur l’alchimie de ses acteurs au détriment d’une grammaire novatrice. Il faut dire que de nombreux éléments qui ont fait sa réputation mais aussi sa déchéance sont bien présents : tunnels de dialogues parfois pesants sur deux banals champs/contre-champs ; plans larges, d’une longueur extrême, toujours en courte focale, qui interceptent tous les angles de la pièce… Mais le vocabulaire cinématographique de Soderbergh est sans cesse plus malin qu’il n’y paraît. 

Dans The Informant!, le réalisateur américain expérimente avec Scott Z. Burns la question de la propagation d’une information. Il faut dire que cette idée de trajet sera le sel de leur deuxième collaboration, Contagion. Si, dans ce dernier, la trajectoire d’une information est la même que celle du virus (un parallèle de raccords-mouvement stricts, dont les ellipses sont reliées par l’usage d’inserts didactiques), celle de The Informant! est beaucoup plus complexe car basée intégralement sur une série de mensonges et non-dits. Le film est un sac de nœuds narratifs formés uniquement par le protagoniste, obsédé à l’idée de sauver sa peau dans ce qui s’avère être l’une des plus grandes arnaques de l’histoire des Etats-Unis. 

IMAGINATIONLAND

De fait, le montage donne l’illusion d’une passation d’information dans les ellipses, mais préfère jouer comme dans les Ocean’s sur l’indicible. Ce qui compte n’est pas l’enchaînement de séquences mais les interstices volontairement omis pour plonger le spectateur dans cette machination saugrenue. De plus, le film est pollué par une voix off incessante du protagoniste, déjouant l’idée que celui qui raconte n’est que le témoin malchanceux de cette machination. Ici, les digressions extra-diégétiques (pêle-mêle, Whitacre nous parle de la traduction du mot « Bic » en allemand, d’ours polaires et de romans de Michael Crichton) permettent de dénouer et réexploser toute tentative de compréhension du film au profit d’une progression elliptique jubilatoire de l’affaire dont ce dernier est mis en cause. 

Tout le système filmique est alors interprétable comme un vase clos, dénué de toute réalité – en attestent les décors en carton-pâte en Suisse par exemple, et brillamment orchestré par cette narration hors-sujet. Tout cela est aussi le moyen de relier cette dictature spatiale (uniquement tenu par les dires de Whitacre) avec le fait que le film est l’adaptation d’une investigation éponyme signée Kurt Eichenwald, dont la personnalité foisonnante de Mark Whitacre contamine petit à petit le point de vue omniscient du récit.

Enfin, évoquons le procédé de mise en abîme cher à Soderbergh dans son dédoublement d’écrans. Dans presque tous ses films, il est question d’une connexion entre un personnage et une télévision. Cette relation n’est pas forcément passionnée mais elle happe et relâche uniquement en fin de transmission. On repense récemment à toutes les scènes d’allocutions de Contagion, hub des multiples arcs narratifs du long-métrage, les caméras de surveillance de ses films de braquage mais aussi cette étrange séquence du frigo gagné chez Oprah Winfrey qui met la larme à l’œil à Danny et Rusty dans Ocean’s 13. Dans The Informant!, cette relation est aussi au cœur d’une scène où des policiers décident d’espionner une réunion entre différents acheteurs de lysine. Toute cette scène, en apparence simple et comique – certains s’assoient devant la caméra – marque pourtant un tournant dans le film : Whitacre, aussi à l’écran, met en scène ce qui est révélé et caché pour pouvoir faire tomber les têtes qu’il souhaite. On se retrouve encore une fois dans une mise en tension entre le réel (ce qu’il s’y trame) et ce qu’appelait François Jost son « organisation intentionnelle » (ce que l’on peut y voir) déjà faite mais d’une efficacité redoutable dans un film aussi pointu et diffus que celui-ci.

La position de regardant / regardé a aussi une importance, puisqu’elle relève les coutures du long-métrage par le biais d’une présentation du montage à la manière d’un plan, sans pour autant s’amuser à appuyer ce principe hors de la mécanique narrative. Un effet de manche jouissif qui donne à voir un pastiche de films à enquête qui ont pu traverser l’histoire du cinéma américain – et notamment La firme de Sydney Pollack, que Whitacre cite lui-même plusieurs fois à l’intérieur du livre de Eichenwald et du film.

The Informant! est le vilain petit canard de la filmographie de Soderbergh, coincé entre ses grosses productions Warner des années 2000. Mais ce modeste long-métrage possède en son sein une mécanique tellement bien ficelée qui oblige le spectateur à maintenir une très forte concentration, avant de comprendre comment le piège s’est refermé sur ses propres réflexions. Un geste brillant, toujours très bien référencé, et à redécouvrir d’urgence durant ce confinement. 


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