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TALONS AIGUILLES

Après des années d’absence, Becky Del Paramo, célèbre chanteuse pop des années soixante, rentre à Madrid. C’est pour trouver sa fille, Rebecca, mariée à un de ses anciens amants, Manuel. Becky comprend vite que le mariage de Rebecca est un naufrage surtout quand Manuel lui propose de reprendre leur ancienne relation. Une nuit, Manuel est assassiné…

(A)mère

Drame psychologique sur fond d’intrigue policière, Talons aiguilles met en scène la violence des relations mères-filles, la difficulté entre parents et enfants à se parler, à dévoiler leurs sentiments. Comme les autres films d’Almodovar, ce dixième long-métrage est marqué par l’omniprésence du rouge sang et des couleurs criardes, d’autant plus exubérantes que les sentiments, eux, sont puissamment refoulés.

Le talon aiguille qui donne son titre au film, c’est évidemment cette chaussure, accessoire de mode, objet de désir et de fantasme, qui rehausse et galbe les femmes. Mais c’est aussi cet objet dont la forme évoque irrésistiblement un revolver, lequel se fond avec le talon aiguille sur l’affiche du film, voire la banderille du torero. On retrouve ici ce lien profondément intriqué entre désir et mort, sexe et meurtre, qui irrigue toute la filmographie almodovarienne des années 1980, de Matador qui mettait en scène un Antonio Banderas éjaculateur précoce mais connecté par un lien télépathique à un serial killer, à En chair et en os, où un triangle amoureux conduit à un massacre. Le titre original du film, « tacon lejano », signifie littéralement « talon lointain » : enfant, Rebecca reconnaissait l’arrivée de sa mère au bruit de ses talons sur le parquet, cette mère à la si proche et si « lointaine », justement.

Mais le talon, c’est aussi tout ce que la petite Becky apercevait avant de devenir une star quand elle levait les yeux depuis l’entresol où elle vivait dans son enfance modeste. C’est donc la promesse d’une vie meilleure, d’un avenir brillant, peut-être le même dont le jeune Almodovar rêvait quand il rêvait de Madrid et de Movida dans sa jeunesse sous le franquisme. La filmographie des années 50 et 60 a fortement influencé le jeune Pedro Almodovar dans son enfance andalouse, au point que tous ses films sont gorgés de références aux vieux classiques italiens, hollywoodiens et français de sa jeunesse.

Confrontations

Talons aiguilles ne fait pas exception. Dans une scène de confrontation mère-fille particulièrement dure, Victoria Abril cite à Marisa Paredes une scène de « Sonates d’Automne ». Dans ce film culte, grand classique d’Ingmar Bergman, Ingrid Bergman humiliait sans s’en rendre compte sa propre fille, Liv Ulman, en lui montrant à quel point elle jouait mieux du piano qu’elle. « Toute ma vie, j’ai voulu être comme toi », hurle Victoria Abril à sa mère.

Malgré l’arrière-plan dramatique souligné par la superbe chanson de Luz Casal « Piensa en mi », on sent dans ce film comme dans les précédents un Pedro Almodovar facétieux, qui s’amuse à mettre en scène des histoires atypiques, comme celle du juge en charge de l’affaire, qui se révèle artiste transformiste le soir sous le nom de « Letal », mais qui vit sous la coupe d’une mère castratrice. Quand le même « Letal » se livre à un cunnilingus sur une Victoria Abril accrochée à une barre de traction, on sent que le même réalisateur s’amuse encore, qu’il jouit d’avance de voir le mélange de rire et de gêne qu’une telle scène va provoquer chez le spectateur. Les personnages qui s’affranchissent des codes moraux rigides de leur profession, pas par hypocrisie mais juste par désir de vivre, sont une constante du cinéma d’Almodovar : quelques années plus tard, dans Tout sur ma mère, Penelope Cruz incarnera ainsi une religieuse séropositive qui tombe amoureuse d’une femme trans.

Une place particulière

Talons aiguilles occupe une place particulière dans la filmographie du réalisateur, à mi-chemin entre l’improbable Attache-moi et le raté Kika. Il poursuit le chemin ouvert par Femmes au bord de la crise de nerfs et marque l’entrée fracassante d’Almodovar et plus généralement du cinéma espagnol sur la scène européenne et internationale. Il s’agit probablement d’un des films les plus aboutis du réalisateur espagnol, qui marque véritablement son entrée dans la maturité, bien avant Tout sur ma mère ou La mauvaise éducation.

Il marque aussi le début d’une collaboration plus appuyée du réalisateur avec Marisa Paredes. Celle que l’on avait jusqu’ici seulement aperçu dans le rôle d’une nonne sadomasochiste dans Dans les ténèbres devient véritablement son égérie des années 1990 et enchaînera les rôles-titres ou principaux, que ce soit dans La fleur de mon secret ou Tout sur ma mère. Elle succède ainsi à Carmen Maura, figure du Almodovar encore confidentiel et underground des années 1980 avec qui il s’était brouillé, et aura même une durée de vie plus longue que Victoria Abril, vu dans Attache-moi et que l’on retrouvera plus tard dans Kika.

Talons Aiguilles joue délibérément des codes du mélo et de la telenovela. S’il est volontiers provocateur, il reste moins sulfureux que les précédentes œuvres du réalisateur, marquant son entrée remarquée dans le cercle respectable des réalisateurs qui comptent.


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