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SUPRÊMES

1989. Dans les cités déshéritées du 93, une bande de copains trouve un moyen d’expression grâce au mouvement hip-hop tout juste arrivé en France. Après la danse et le graff, JoeyStarr et Kool Shen se mettent à écrire des textes de rap imprégnés par la colère qui couve dans les banlieues. Leurs rythmes enfiévrés et leurs textes révoltés ne tardent pas à galvaniser les foules et … à se heurter aux autorités. Mais peu importe, le Suprême NTM est né et avec lui le rap français fait des débuts fracassants !

Critique du film

Périlleuse entreprise que celle d’Audrey Estrougo que de raconter les toutes premières années du groupe NTM dans un film de fiction. Plus de trente ans après les premiers concerts de Kool Shen et Joeystarr, le phénomène se matérialise sur grand écran autour de Sandor Funtek et Théo Christine, qui ont la lourde tâche d’incarner ceux qui furent parmi les premiers rappeurs made in France, peut être les plus grands. Si le biopic est par essence un genre très balisé, et sans doute corseté par son sentier trop tracé, l’enjeu de ce projet était d’être à la hauteur de tout le romanesque inhérent à un groupe qui en était gorgé, jusqu’à l’explosion.

Le premier choix opéré par la réalisatrice de l’excellent Une histoire banale est de resserrer son scénario autour des trois ou quatre premières années d’existence du groupe. Jeunes adultes, imbibés de culture hip-hop depuis que ce mouvement est apparu au milieu des années 1980 à Paris, ces premiers temps montrent à quel point l’ascension de NTM est un hasard, une opportunité pour des jeunes hommes débarqués dans la musique sur un coup de tête. Cet aspect est une réussite : Suprêmes ne raconte à aucun moment une success story mais plutôt une adaptation rapide pour l’un, Kool Shen, une résistance teintée de méfiance pour l’autre, Joeystarr.

Jusqu’à l’outrance

Mais très vite se présentent les indices des failles fissurant l’édifice qui se lézarde graduellement avec l’avancée de l’histoire. Tout d’abord le regard de la caméra choisit Théo Christine comme principal intérêt. Joey, Didier, est le plus charismatique, sa vie est détaillée, ses addictions, son nomadisme et absence de toit, tous ses excès jusqu’à vomir sur scène, seul, l’outrance de trop avant un concert. Cette omniprésence cannibalise tout ce qui aurait pu faire la richesse de ce moment si particulier pour le rap français : NTM n’existe que dans ce qu’il s’inscrit dans la naissance à la fois d’une musique mais aussi d’une décennie cruciale pour la France.

Suprêmes film

Si on aperçoit Rockin’squat du groupe Assassin, ainsi que quelques noms importants de cette période, NTM semble presque seul lancé dans la tempête des tournées de province après des rixes à répétition dans les MJC d’Ile de France. Certains jalons du début années 90, comme le terrain vague de la porte de Clignancourt au nord de Paris, le concert et la mix tape Rappatitude, sont gommés au profit de la seule histoire du groupe qui peine à sortir d’une certaine caricature qu’on a de lui. Plus grave encore, c’est la confrontation avec les images d’archives indissociables de cette naissance.

NTM fut dans les premiers à prendre une place sur les plateaux de télévision, notamment grâce à Canal + et Michel Denisot, qui les invitèrent pour s’exprimer, souvent seuls, mais aussi face à des politiques. Rejouer ces moments forts, illustrations parfaites de ce que furent les années 90 tant d’un point de vue musical que sociétal, ne joue pas en la faveur des images d’Audrey Estrougo. Kool Shen et Joeystarr étaient les meilleurs acteurs de leur propre histoire : Sandor Funtek et Théo Christine ne peuvent que mimer ce qui était déjà une magnifique partition, romantique et romanesque en diable. Au mot près, on imite les répliques des émissions, l’émotion en moins.

Il est troublant de constater qu’après le grand écran, une série menée par Hélier Cisterne et Katell Quillévéré va voir le jour avec Anthony Bajon et Melvin Boomer dans les deux premiers rôles. Peut-être ce nouveau format sera-t-il plus propice à créer une tension qui dépasse celle déjà gigantesque qui a pu habiter la formation du groupe le plus électrisant de son époque, notamment par un soin plus précis apporté aux détails et aux seconds rôles si importants pour donner de la densité à une histoire qui pourtant n’en manque pas.

Bande-annonce

24 novembre 2021 – D’Audrey Estrougo
avec Théo Christine, Sandor Funtek et Félix Lefebvre.


Présenté en séance spéciale au Festival International de La Roche-sur-Yon




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