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SUIS-MOI JE TE FUIS / FUIS-MOI JE TE SUIS

Entre ses deux collègues de bureau, le cœur de Tsuji balance. Jusqu’à cette nuit où il rencontre Ukiyo, à qui il sauve la vie sur un passage à niveau. Malgré les mises en garde de son entourage, il est irrémédiablement attiré par la jeune femme… qui n’a de cesse de disparaître. Lorsque Tsuji décide d’oublier définitivement Ukiyo, celle-ci ne se défait pas du souvenir de Tsuji… mais cette fois, c’est lui qui a disparu.

Critique du film

« Ne confonds pas l’amour avec le délire de la possession, lequel apporte les pires souffrances » mettait en garde Antoine de Saint-Exupéry. « L’amour véritable est un don, pur, mais un don de chacun à l’autre, dans le respect de ce qu’il a encore à donner. » Si les siècles ont vu se mouvoir les contours que nous nous faisons du couple au fil de saisons aussi changeantes que multiples, l’idée de deux êtres unis par leurs sentiments respectifs l’un pour l’autre résonne de tout temps comme l’expression d’une évidence qui n’a pas besoin de mots pour se décrire. Sans doute est-ce la raison pour laquelle nous nous plaisons à déceler, à travers la mise en image de ces rencontres, les petits rien qui préludent à l’évidence.

Adaptation du manga The Real Thing de Mochiru Hoshisato, il s’agit pour Kôji Fukada (Le soupir des vagues, L’infirmière) de sa première incursion dans une telle fresque amoureuse. Lecture de jeunesse, cette romance aura d’abord réveillé chez le réalisateur l’envie de montrer la dichotomie de regards qui existe autour du mythe selon lequel l’on ne désire que ce que l’on ne possède pas encore. Plus particulièrement, le réalisateur se sera attaché à la façon dont sont traités hommes et femmes inatteignables – le premier se retrouvant adoubé en « playboy », quand la seconde récolte bien souvent le label de « femme fatale ». Outre une volonté affichée de dénoncer les connotations respectives des deux expressions – le chant lexical du jeu et de l’enfance s’opposant à celui de la mort et de la maturité – Fukada aura mis un point d’honneur à donner pour décor au chassé-croisé de ses amants le quotidien de la classe moyenne japonaise. En résulte alors une proposition qui, sortie sous forme de diptyque en France, laisse un voile doux-amer sur les yeux.

Suis-moi, je te fuis

TRIANGLES AMOU(FOI)REUX

Si l’adhésion à Suis-moi, je te fuis et Fuis-moi, je te suis est si difficile, c’est qu’au contraire de ce que promettent volonté du réalisateur et scénario affiché, il s’agit moins dans ce diptyque d’une rencontre entre un homme et une femme que des choix d’un seul homme autour duquel gravitent trois femmes.

Tsuji, jeune homme bien fait de sa personne et propre sur lui, employé modèle vivant dans une garçonnière, jongle en effet tout au long du récit entre trois personnages féminins, chacun incarnant une autre facette de ce qui très vite, identifie le protagoniste masculin : son désir de protection. S’il flirte avec sa jeune collègue Minako, c’est pour sa candeur ; s’il envisage une relation avec son autre collègue Hosokawa, c’est pour sa résilience ; et enfin, s’il se prend de passion pour Ukiyo, c’est pour son imprévisibilité. Pour autant, difficile de savoir s’il les aime véritablement toutes trois, ou si elles ne lui apportent que temporairement chacune, de quoi nourrir ce besoin d’être une source de sécurité – notamment matérielle. Car, sitôt ce besoin comblé, la valse de l’indifférence reprend son cours. En ressort un personnage profondément antipathique et agaçant, dont on ne peut que s’interroger quant au pouvoir de séduction qu’il semble détenir sur ses conquêtes.

Si des trois personnages féminins, celui d’Ukiyo a le plus de temps d’écran, c’est pour installer ce jeu de chat et de la souris qui donne son titre aux deux segments du film. Endettée, passablement alcoolique et dont les pensées suicidaires émaillent le récit, elle n’a de cela de « différent » des autres qu’elle en est une version plus loufoque, radicale et spectaculaire – face à laquelle la charmante Minako et l’élégante Hosokawa ne font pas le poids. À ce titre, la performance solaire de Kei Ishibashi illumine chaque scène où elle apparait, telle une voix de raison et d’empouvoirement qui pour le reste, manque cruellement aux deux films. De quoi s’interroger définitivement sur l’oeil de Kôji Fukada, dont on ne sait trop s’il dénonce ou sublime cette curieuse loi d’offre et de demande qui allonge la courbe des péripéties de son film…

Fuis-moi, je te suis

Pourtant, la composition des deux films et certaines séquences en particulier ne manquent ni de réflexion, ni de poésie. Plusieurs situations se reflètent d’un film à l’autre, inversant les protagonistes et leur donnant une toute autre signification. On pense notamment aux deux scènes de course poursuite, dans lesquelles Tsuji poursuit d’abord Ukijo dans l’espoir de la revoir, avant qu’Ukiyo ne se lance à la poursuite de Tsuji pour le retrouver. De même, les quelques scènes de rendez-vous amoureux tournés de nuit en extérieur ou en lumière tamisée à l’intérieur, se répondent avec une grâce singulièrement touchante, dont on aurait aimé voir d’avantage.

Avec Suis-moi, je te fuis et Fuis-moi, je te suis, Kôji Fukada voulait montrer une histoire d’amour qui ne repose pas essentiellement sur sa part romantique. Peut-être qu’à trop vouloir rechercher une forme de réalisme explorant le couple dans ses retranchements les moins évidents, le réalisateur aura perdu un peu de l’amour qu’il souhaitait conter dans son histoire…

Bande-annonce

les 11 & 18 mai 2022 – De Kôji Fukada
avec Win Morisaki, Kaho Tsuchimura, Kei Ishibashi et Akari Fukunaga




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