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SLUMBER PARTY MASSACRE

En l’absence de ses parents, Trish Devereaux invite chez elle quelques amies de son équipe de basket… pour une soirée entre filles ! Ses deux voisines et leurs petits amis, n’étant pas conviés, observent jalousement les préparatifs de l’autre côté de la rue, et préparent une intrusion inopinée, histoire de leur causer une petite frayeur. Mais tout ce petit monde ignore qu’un évadé de l’hôpital psychiatrique a lui aussi l’intention de participer à sa manière à la petite partie… emmenant avec lui son infernale foreuse mécanique pour transformer cette nuit en hurlements de peur et de mort !

Critique du film

Sorti en 1982 dans quelques villes américaines, Slumber Party Massacre, premier de la trilogie du même nom, est un petit OVNI dans le genre du cinéma d’horreur. Le scénario du film a été écrit par Rita Mae Brown, militante lesbienne et féministe et également auteure de romans policiers. D’abord une parodie du slasher, il subit des transformations entre les mains de Amy Holden Jones, la réalisatrice et, finalement, afin d’obtenir les financements nécessaires de Roger Cornman, elle accepte de tourner le film comme un film d’horreur, et d’y ajouter des scènes de nudité. Le résultat de ces collaborations est quelque peu maladroit par moments, mais reste important dans l’histoire du genre pour être une critique de la misogynie qui y régnait, il y a presque quatre décennies, et qui semble toujours en faire partie.

Trish, en dernière année de lycée, profite de l’absence de ses parents pour organiser une soirée pyjama avec ses amies, Diane, Kim et Jackie. En théorie sans garçons, la soirée va également accueillir le petit ami de Diane, John, ainsi que deux de leurs camarades, Neil et Jeff. Après avoir tué dans leur lycée, Russ Thorn, qui vient de s’échapper de prison comme nous l’apprenons au début du film avec un gros plan sur un journal, va ensuite s’inviter également et les massacrer les uns après les autres. Ces grandes lignes représentent le schéma classique du slasher alors en train de vivre son âge d’or, cette année est également celle de Friday the 13th Part 3 et de l’apparition de l’iconique masque de hockey de Jason.

Mais le film ne suit pas ces codes pour les suivre, il le fait pour les critiquer d’une manière plus discrète que voulue par la scénariste originelle, et quelque peu contradictoire avec ces ajouts du producteur. Il est difficile d’ignorer les multiples scènes de voyeurisme, parfaites incarnations de ce qu’écrit Laura Mulvey dans Visual Pleasure and Narrative Cinema, paru en 1975. Moins de deux minutes sont passées depuis le début du film que voilà Trish se réveillant et se changeant pour aller au lycée. Les spectateurs et spectatrices la voient alors faire via son miroir, alors qu’elle même s’observe dans un autre. Ils ne font alors plus qu’un avec la caméra, une scène qui se répète plus tard lorsque les deux adolescents espionnent leurs camarades de classe par la fenêtre alors qu’elles se mettent en pyjama. 

Voyeurisme masculin

Nous devenons des peeping Tom, selon un regard particulier celui des hommes hétérosexuels. Cette image traverse le film, notamment par la présence d’un judas (peephole en anglais) installé sur la porte de la coach alors qu’elle rentre chez elle : comme elle, nous sursautons lorsque la perceuse traverse la porte juste au niveau de ses yeux. Ce n’est pas qu’une question de regard mais également de pouvoir : celui qui regarde sait ce que l’autre fait sans que cette dernière ne soit au courant. Ce motif n’est pas particulier au slasher mais il en est un élément indispensable puisque le tueur est également un voyeur, et un stalker.

Pourtant, dans ces scènes, ce n’est pas son point de vue qui est adopté, mais bel et bien celui imaginé des spectateurs, et celui des personnages masculins. Neil et Jeff vont s’inviter à la fête, espionner les jeunes femmes contre leur volonté alors qu’elles sont dénudées, leur jouer une farce qui consiste à leur faire peur en coupant le courant et finalement être invités à les rejoindre, après néanmoins que l’un d’eux s’est pris un coup en pleine figure par Trish. Ils présentent les mêmes comportements que le tueur de slasher mais s’arrêtent avant de commettre des meurtres. La violence du regard masculin, le male gaze de Mulvey, n’est pas que du côté de l’antagoniste, elle est également du côté de ces adolescents, mais montrée comme inoffensive puisque les jeunes femmes vont les laisser entrer, et flirter avec eux. Inoffensive ou intériorisée ? 

Puisqu’on parle de violence, abordons donc le massacre du titre. Russ Thorn n’est guère mémorable et ne figurera pas au panthéon des tueurs de slasher puisqu’il n’est là que pour incarner le prototype même. Le film n’a donc pas perdu tous ses éléments parodiques : s’il sacrifie l’humour, du moins volontaire, il ne perd pas forcément en auto-références au genre auquel il appartient. Slumber Party Massacre a conscience d’être un film d’horreur, une fois que les spectateurs l’ont accepté, le film se révèle bien plus amusant et intriguant qu’il ne l’est en abord. Il suffit de faire attention à la réplique de Jeff avant de jouer un tour à ses camarades : « Girls love to scream ! ». Ce double sens incarne parfaitement le genre de l’horreur et plus spécifiquement le slasher. Tout film digne de ce nom doit donner à voir des femmes qui crient pour deux raisons : sexe et mort. Les deux forment un couple inséparable, et globalement de causalité.

Le lien entre « promiscuité » sexuelle des héroïnes et leur mort est un sujet étudié et discuté depuis longtemps, mais dont deux tropes apparaissent également dans notre film. La screaming queen, c’est-à-dire la demoiselle en détresse qui hurle à plein poumons, est également un produit des années 80, bien qu’elle précède évidemment la mise en concept. La dépanneuse du début du film ouvre le bal et, ne criant pas suffisamment fort, elle devient la première victime. Suivra alors Jackie dont la fin est annoncé hors champ puisque sa voix disparaît soudainement.

Les adolescentes crient par peur pour leur vie, et en tant que spectateurs et spectatrices d’un film d’horreur nous avons signé pour les entendre crier. Nous voulons les faire pousser des hurlements, comme Jeff, en leur jouant un mauvais tour, mais aussi comme Russ. Elles crient également, ou gémissent, par plaisir sexuel. Bien que de telles scènes soient quasi absente du film (exception faite de Diane et son petit ami dans la voiture, mais qui sont également interrompus), cela ne signifie pas que la sexualité en soi absente. Ces adolescentes et adolescents en parlent, s’embrassent et flirtent, se font voyeurs, lisent des magazines érotiques, etc.

Centré autour du désir hétérosexuel, le film a néanmoins une scène au début qui joue avec ce code. Après leur match de basket, les jeunes femmes vont se doucher et nous assistons alors à une nouvelle scène de nue. La caméra passe en plans rapprochés et gros plans sur les seins et fesses de celles-ci, comme le souhaitait le producteur. Mais au milieu des conversations, Trish se met à regarder Valérie, la nouvelle, et la caméra change de point de vue. Tout à coup nous sommes elle, et les regards qu’elles s’échangent avant que Trish s’approche restent au niveau de leurs têtes et épaules. Dans cette scène au regard masculin existe une parenthèse de quelques secondes durant laquelle un autre type de désir s’esquisse. Lorsqu’elles échangent quelques mots, la caméra coupe Valérie, encore sous la douche, avant de passer à la scène suivante dans laquelle Trish propose de l’inviter à leur soirée pyjama, et « sans garçons » précise-t-elle à Diane. Cet échange qui peut passer inaperçu préfigure pourtant le triomphe final de nos survival girls, cet autre type féminin du film d’horreur.

Revenons un instant à Russ, ou plutôt à son arme de choix : une perceuse. L’affiche du film annonce déjà la couleur ou vous l’annoncera si elle n’était pas encore claire pour vous. Si les petits amis veulent faire crier de plaisir leurs partenaires, le tueur lui veut les faire crier de douleur. Le sous-texte sexuel a toujours été présent dans les slashers et il est ici particulièrement explicite puisque le film a conservé des éléments parodiques. Repensons au judas qui est installé dans la porte de la coach au début, puis aux meurtres de Russ qui percent des trous dans les crânes de ses victimes. Lorsque Trish, en larmes, lui demande pourquoi il commet ce massacre il lui répond qu’il sait ce qu’elles le veulent et qu’elles vont aimer ça.

Ces meurtres sont également symboliquement des viols dont les autres personnages masculins ne peuvent les protéger, puisqu’ils deviennent également des victimes en essayant de les aider à s’enfuir. Trish n’est donc pas sauvée par l’un d’eux, mais par Valérie (et sa petite sœur Courtney qui deviendra la protagoniste du deuxième film de la trilogie) armée d’une machette. Après lui avoir coupé le bout de la perceuse, et une main, elle finira par l’empaler avec l’arme blanche, et retourne ainsi contre ses armes, en essayant d’abord de le priver de ses moyens d’exercer cette violence. Valérie, dite « Val », incarne parfaitement la survival girl qui, au lieu de faire la fête avec de l’alcool, des drogues et des garçons, reste sagement chez elle pour s’occuper de sa petite sœur et révise pour son contrôle. Néanmoins, Trish, qui a transgressé les « règles » du genre, vit grâce à sa collaboration avec les deux sœurs. Ce qui les sauve de cette violence misogyne se trouve dans une alliance féminine.

Déjà en 1982, Slumber Party Massacre propose une redéfinition du slasher (dans la veine de l’excellent remake de Black Christmas sorti en décembre 2019) qui passe par la sororité et qui ne rejette pas les attentes de violence, sang et gore des spectateurs et spectatrices.


Disponible sur AmazonPrime Video


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